Les enjeux de guerre et de non-guerre

L’attaque frontale d’Israël par la République islamique d’Iran est un tournant dans la dynamique de la guerre des ombres menée depuis plus de quarante ans. Elle avait pour prétexte le bombardement de l’ambassade iranienne à Damas, considérée prétendument comme une violation de l’intégrité territoriale et de l’extraterritorialité diplomatique, selon les stipulations du droit international. Cet alibi, car c’en est un, relève du sophisme juridique qui cherche à brouiller les registres. La pertinence aussi bien juridique que politique de cette configuration fait entièrement défaut, car les soi-disant ambassades de la République islamique d’Iran, sont tout sauf des ambassades, comme c’est le cas pour l’ensemble des représentations diplomatiques des pays totalitaires, des dictatures et des États voyous.
Il s’agit, en réalité, de plateformes extraterritoriales instrumentalisées au profit des politiques de subversion et de criminalité organisée qui résument leur grille de travail. Il suffit de lire John Le Carré, de voir les films de James Bond pour se rendre à l’évidence du rôle effectif de ces pseudo-représentations diplomatiques. J’ai eu l’occasion de visiter l’ambassade irakienne à l’époque de Saddam Hussein et d’observer la vie quotidienne de l’ambassade soviétique à Washington, D.C. dans les années 1980 parce que j’habitais dans les parages, pour me rendre compte de la caricature d’État qu’était l’Irak de Saddam Hussein et du rideau de fer qui séparait l’Union soviétique des démocraties occidentales. Ceci étant dit, la Syrie actuelle est loin d’être un État et la représentation iranienne à Damas n’est pas, a fortiori, diplomatique, car il s’agit d’une antenne opérationnelle instrumentalisée par le régime iranien, en vue de coordonner les politiques de subversion, de monter les actions terroristes et de maintenir les faux-semblants de légalité et de souveraineté, alors que toute cette chorégraphie n’est que théâtre d’ombres. Sinon, Il suffit de se rappeler l’épisode de l’occupation de l’ambassade américaine à Téhéran en 1979 pour se rendre compte du respect du droit international de la part du régime naissant.

L’action israélienne contre les quartiers généraux des Gardiens de la révolution iranienne est un acte de guerre légitime à l’encontre de la brigade iranienne qui coordonne la politique de subversion dans la région du Proche-Orient et qui est à l’origine du 7 octobre 2023. Donc, on est bien loin des arguties juridiques portant sur des entités et des acteurs qui sont loin de relever du droit international, il s’agit bien d’une centrale de subversion et de terreur qui est payée de retour par ses ennemis. Ce sont également des constats personnels, lors de visites intermittentes aux quartiers généraux du Hezbollah dans les années 1990, qui m’autorisent des conclusions à cet endroit. Donc, il faudrait cesser le bavardage sur les évidences d’une chronique de guerre ordinaire entre la République islamique d’Iran et l’État d’Israël. La riposte de l’Iran s’inscrit dans les interstices d’une politique de l’ambiguïté qui essaye de contenir les dégâts occasionnés par le déraillement de la guerre de Gaza et ses effets délétères sur l’ensemble de la politique de subversion iranienne au Proche-Orient. L’attaque frontale est loin d’être une simulation caricaturale, il s’agit d’une menace qui remet en question la sécurité nationale de l’État israélien. La riposte d’Israël est manifestement résolue, elle a déjoué le système de défense iranien et vise ostensiblement les infrastructures nucléaires du régime iranien. Les bombardements de la zone militaire d’Ispahan ne laissent aucun doute sur les objectifs qui sont visés et la nature de la riposte en question.
Les appels à la retenue de la part des États Unis, de la communauté européenne et des Nations unies sont parfaitement compréhensibles, mais ils ne peuvent pas avoir une incidence directe sur le cours des événements, à moins de les assortir d’une vision politique qui permettrait de mettre fin aux dynamiques conflictuelles en cours. Les vœux de paix non associés à une stratégie d’ensemble sont des lettres mortes. Or, comment peut-on convaincre la politique impériale iranienne qui se croit victorieuse à terme, ou la dessaisir des dossiers et des acteurs dans les pays qu’elle domine totalement ou partiellement (Liban, interfaces syro-irakiennes, Yémen, territoires palestiniens…), ou la faire renoncer aux politiques de déstabilisation en cours? Les vicissitudes de la dynamique conflictuelle, qui a été propulsée par le 7 octobre 2023, nous renvoient aux intonations de la guerre froide, aux scénarios d’une guerre totale et à la rhétorique idéologique du wokisme et ses élucubrations ubuesques comme substitut fonctionnel à la doxa marxiste.
Cette dynamique conflictuelle ne peut se résorber en maintenant le statu quo stratégique et en gérant de manière indéfinie ses convulsions tectoniques. Cela dit, la guerre devient inévitable et le changement de la donne stratégique devient irrémissible surtout que nous sommes dans une région entièrement éclatée. Autrement, la diplomatie des voies intérimaires ne peut indéfiniment ignorer les aléas d’un ordre géopolitique déliquescent, ou surseoir à l’impératif des mutations géostratégiques. Le régime iranien a choisi la voie de la politique expansionniste et de la déstabilisation au niveau régional et celle de la politique de répression à l’intérieur de ses frontières nationales comme portes de sortie à ses crises conjuguées de légitimité. La question palestinienne est reléguée au rôle de levier idéologique et stratégique et la remise en question de l’existence de l’État d’Israël et de la légitimité des États territoriaux aux Proche et Moyen-Orient sont les véritables ressorts de la politique impériale du régime islamique en Iran. Les difficultés d’une solution négociée sont manifestes et l’hypothèse des conflits ouverts n’est que probable. La diplomatie des stades ultimes arrivera-t-elle à contenir les hasards d’une guerre totale ou est-il trop tard?
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