Tout porte à croire que les gens du FMI aiment visiter le Liban, mais pas pour les raisons qu’on croit connaître, ou pas uniquement. Ces hauts fonctionnaires (sur)chargés du dossier libanais semblent surtout enclins à le visiter pour son côté lifestyle, y faire un peu de tourisme, humer l’air des montagnes, déguster le mezzé, passer de belles soirées.
Ah oui, il y a aussi cette vieille histoire d’une certaine crise financière. Cela fait bien sûr partie du programme, mais viendrait désormais en deuxième lieu, peut-être. Car, depuis des années, rien ne bouge de ce côté-là. Circulez, il n’y a rien à voir, rien à (re)dire. Rien n’a évolué dans ce pays chapeauté, à défaut d’être gouverné, par des figurines inanimées.
Mais rien, ce n’est pas exactement rien (dixit Raymond Devos); la preuve, si un rien ne vaut pas grand-chose, ce n’est pas le cas si on le multiplie par trois, car pour trois fois rien on peut déjà acheter quelque chose et pour pas cher!
Tous les quelques mois depuis quatre ans, la délégation du FMI vient donc d’abord constater de visu la constante aberration de cet immobilisme. Un phénomène paranormal qu’ils se doivent de visualiser occasionnellement pour y croire, car dans aucun autre pays victime d’une crise financière on a passé 56 mois sans rien faire. On dirait un épisode X files.
Une fois le choc digéré à coup de Maalox, ces braves gens, pour justifier leur voyage en classe affaires et leurs salaires élevés, se mettent à écouter les mêmes laïus des mêmes personnes. D’Ibrahim Kanaan à Mohammad Choucair en passant par des banquiers et autres Mansouri, ils se voient infliger l’assertion, serinée pour la énième fois, à juste titre, que «les dépôts ne peuvent être éliminés; les déposants doivent être remboursés ou dédommagés, même si c’est à long terme». Y compris en faisant appel aux actifs de l’État.
Un refrain auquel les Ramirez (le chef régional du FMI et son équipe) opposent immanquablement, en bons fonctionnaires étroits, une version contraire. Comme quoi il faut effacer la dette de la banque centrale à l’égard des banques et donc éliminer autant de milliards de dollars revenant aux déposants – les «gros déposants» pour faire avaler la pilule. Quant au recours à l’État, sa contribution devrait rester minimale.
Une scie qui va et vient, de part et d’autre, dans un mouvement de balançoire perpétuel qui mène nulle part, duquel les grands absents sont une vraie autorité constitutionnelle en place et les pauvres bougres qui attendent qu’on s’occupe de leur misère.
La séance se termine par des réprimandes, en nous faisant comprendre qu’on continue de foirer grave, qu’on ne prend aucune initiative sérieuse, aucune réforme parmi la dizaine qui sont exigées depuis toujours. «Allez, un peu d’effort, vous pouvez le faire; c’est vrai qu’on n’a pas vu une telle concentration de frivolité dans un tel laps de temps, mais ceci n’est pas une fatalité», disent-ils sans trop de conviction.
Certes, ils distribuent, en guise d’encouragement, quelques gommettes colorées pour des mesurettes virtuelles telles que le budget équilibré et le taux de change unique. Mais sans aller au-delà. Et cet au-delà montre la vacuité de ces deux réalisations.
D’abord l’État, pour équilibrer son budget, fait payer toujours les mêmes bougres mais pas les pillards, n’offre plus aucun service à la population, qui est abandonnée à son sort. Pire, n’ouvre ses portes que le quart du temps et fait vivre ses propres serviteurs dans la misère.
Et ce taux de change unique ne sert lui non plus à rien puisqu’il ne permet pas aux gens de l’appliquer pour échanger leurs lollars. De sorte que la pauvreté continue de faire des ravages selon le cousin germain du FMI, la Banque mondiale, qui vient de sortir un rapport poignant sur la question. Ce qui n’émeut outre mesure ni Najib Mikati, ni Wassim Mansouri, les décideurs sur la question du taux, se rejetant mutuellement la responsabilité, puis sur les pays bienfaiteurs, qui n’auraient pas été aussi généreux cette année.
Et c’est ainsi que s’achève cet épisode FMI, en attendant le prochain dans quelques mois. Entretemps, chacun va revenir à ses petites occupations: l’un va bailler, l’autre sommeiller, le troisième piller, le quatrième trimer pour survivre et le Hezbollah compter ses martyrs, ceux qui l’ont voulu et tous les autres qui subissent cette plaie ouverte comme une fatalité.
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