L’Europe et les paradoxes de la politique étrangère 

 
La politique étrangère de l’Europe est truffée de contradictions qui compromettent son rôle sur la scène internationale. Les politiques migratoires, sécuritaires, internationales, de défense… mettent en relief les difficultés d’un paradigme politique innovant et ses déconvenues. La communauté européenne poursuit, jusque-là, le débat sur ses engagements au sein de l’alliance transatlantique (les dilemmes de l’Otan), la nécessité de dégager des consensus communautaires suffisamment solides pour dissuader les tentatives de sabordage tentées par des dictatures et des mouvements de subversion totalitaire (Russie, Chine, Iran, Turquie, islamismes…), pour contenir les débordements d’une politique migratoire équivoque favorisant les migrations de masse et de désespérance qui remettent en cause les équilibres structurels des sociétés d’accueil* (les flux migratoires du Moyen-Orient et d’Afrique, les capacités d’accueil, le terrorisme islamiste …) et pour maîtriser les conflits délétères du Moyen Orient et de l’Afrique où se jouent des intérêts stratégiques et sécuritaires majeurs. Ces constats nous invitent à reconsidérer les questions épineuses de la cohésion de l’ensemble communautaire, de ses trajectoires différentielles, de ses disparités culturelles et enjeux acculturatifs et de l’absence d’une constitution fédérale. Les constructions juridiques ne peuvent remplacer, sous aucun rapport, le rôle des débats et des arbitrages politiques.
Les politiques migratoires et leurs effets délétères sur l’ensemble de l’Europe, les différends en matière de politique étrangère illustrés par la guerre d’Ukraine, le conflit israélo-palestinien et leurs incidences sur les grands enjeux géopolitiques et sécuritaires, ainsi que la capacité de projection militaire sur des terrains opérationnels aussi proches que le pourtour méditerranéen, l’Afrique subsaharienne et du Nord, l’Europe du Nord, de l’Est et du Centre, font appel à des consensus stratégiques solides et à des ingénieries institutionnelles inédites conformes aux traités de Lisbonne et de Maastricht (2007-2009, 1991-1992), qui remédient aux irrégularités de fonctionnement de la communauté et à ses déficits normatifs et opérationnels.
Les désaccords en matière de politique étrangère ont atteint des degrés d’incohérence qui discréditent les instances de décision (Conseil et Commission) et remettent en cause les bureaucraties européennes qui fonctionnent dans un cadre autoréférentiel qui porte atteinte au caractère discursif et transactionnel du projet européen. Je vais retenir deux cas qui nous touchent directement au Liban: celui des réfugiés syriens et celui de la reconnaissance de l’État palestinien par la Norvège, l’Irlande et l’Espagne qui illustrent l’arbitraire politique et le caractère clivant de ces deux démarches qui contribuent au déraillement politique et sécuritaire dans deux pays qui jouent un rôle central dans le maintien des équilibres extrêmement fragilisés dans un Moyen-Orient éclaté.

On se demande comment l’UE se permet de dicter la politique d’accueil des réfugiés syriens à un pays souverain comme le Liban, alors que le pays est soumis à de rudes épreuves qui mettent en question sa survie, sa paix civile et la viabilité de sa démocratie libérale. Le Liban, quoique déstructuré, n’a pas à recevoir de consignes des institutions européennes quant à sa politique de gestion des flux migratoires dont la nature, le parcours et les modalités ont contribué de manière décisive à la destruction de ses équilibres systémiques (démographie, culture politique, infrastructures, capacité d’accueil…), suite à quatre décennies d’occupation syrienne (1976-2005) et de guerres hybrides qui ont détruit les socles anthropologiques et politiques d’un pays de culture politique libérale et démocratique subverti par des dictatures panarabes, tribales, islamiques et mafieuses se recommandant d’idéologies totalitaires et des politiques de subversion de toutes obédiences (palestinienne, panarabe, panislamiste, communiste et marxiste de tout acabit).
Pourquoi l’Europe s’interdit-elle toute démarche politique visant à régler les questions attenantes à la guerre civile en Syrie, contenir les trajectoires migratoires qui la menacent directement et pourquoi se contente-t-elle de gérer les questions humanitaires en se dessaisissant du dossier politique qui en est la véritable porte d’entrée? La clef d’explication est celle du désistement délibéré au profit de l’Iran et de la Russie, alors que lors de la conférence de Vienne (2015), elle avait opté pour une approche inclusive qui mettrait fin aux effets dévastateurs d’un conflit ouvert. L’incapacité politique se fait relayer par des pis-aller humanitaires et des impasses politiques institutionnalisées.
La reconnaissance de l’État palestinien par le triumvirat (Norvège, Irlande, Espagne) révèle ostensiblement les déficits institutionnels de la communauté européenne et son incapacité à pouvoir dégager un consensus autour d’un enjeu aussi critique alors que la guerre bat son plein sur de multiples fronts. Comment ces trois États peuvent se départir du consensus européen et décider à eux seuls d’un enjeu d’une telle gravité? La réponse est qu’il n’y a pas de politique étrangère européenne et de consensus régulateur à cet égard. La Norvège entend reprendre son rôle de jadis, mais elle s’y prend de manière non seulement maladroite mais inopportune, alors qu’anciennement elle avait réuni les parties au conflit autour d’une table de négociation qui a abouti à un accord exemplaire. Les Irlandais reprennent à leur compte leur pathos victimaire et le projettent sur un autre conflit, contribuant ainsi à son exacerbation sans offrir de contrepartie diplomatique. L’Espagne est gouvernée par une coalition de gauche qui reprend les délires de la guerre civile espagnole (1936). La délinquance de la ministre espagnole des Affaires étrangères atteint des sommets en associant la reconnaissance de l’État palestinien à l’annihilation de l’État d’Israël. Somme toute, au lieu de contribuer à une démarche d’ensemble qui aiderait à régler un conflit pérenne et à mettre fin aux instrumentalisations dont il est l’objet, le triumvirat envenime les enjeux en question et alimente la radicalisation, de part et d’autre, comme contreparties des clivages internes propres aux pays en question. Le spectacle désolant de la politique étrangère de l’Europe nous renvoie à la question principale: comment peut-on expliquer autant d’incohérences qui battent en brèche sa stature politique et diplomatique au bénéfice de politiques disparates qui répercutent des déficits statutaires et démocratiques?
*Nicolas Pouvreau-Monti (directeur de l’observatoire de l’immigration et de la démographie): «En dix ans, l’UE a admis l’équivalent d’un nouvel État membre entièrement composé de demandeurs d’asile». 8 millions de demandeurs d’asile entre 2013 et 2023.
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