Une hypothétique fin de guerre 
 
La proposition faite par le président américain, Joe Biden, afin de mettre fin aux hostilités à Gaza, bute sur plusieurs difficultés qui entravent la démarche irénique et l’empêchent de donner suite à une solution politique concrète qui viendrait à bout des dynamiques conflictuelles en cours et des récits qui les étayent. La durée et les séquences prévues sont envisagées comme autant d’intérims qui devraient rendre possible la libération des otages israéliens et le rapatriement des décédés, l’échange des prisonniers palestiniens, la remise en marche de l’aide humanitaire sans entraves sécuritaires, la préparation des plans de reconstruction de Gaza, la reprise des négociations multilatérales sur sa gouvernance future et les possibilités d’un règlement d’ensemble du conflit israélo-palestinien. Le changement relatif de cap s’explique tant par des considérations propres au déroulement du conflit, que par l’accélération de tempo induite par la proximité de l’échéance présidentielle aux États-Unis.
L’éventualité d’un cessez le feu prolongé devrait paver la voie à une résolution progressive des questions étalée sur des durées et des intervalles décalés. La démarche américaine opère des retournements liés aux effets délétères des affrontements en cours, aux intrications meurtrières des zones de combat, à la stratégie des boucliers humains et à l’instrumentalisation du conflit par l’Iran, ainsi que par les acteurs de la nouvelle guerre froide et des mouvances idéologiques de la gauche woke. Il s’agit d’un acte de foi, «leap of faith», qui essaye de contenir les dérapages en une première phase, quitte à reprendre, subséquemment, les enjeux dans le cadre d’un scénario de négociations englobant et évolutif dans le temps.
Cette nouvelle approche se heurte à des obstacles idéologiques, stratégiques et de politique de puissance qui se servent des conflits en cours à des fins contrastées et mutantes au gré des enjeux de circonstance et des priorités du moment. Le Hamas, en avalisant la proposition du président Joe Biden, compte l’instrumentaliser pour neutraliser la contre-offensive israélienne qui s’avère fatale sur les plans militaire et politique, car elle remet en question son contrôle de Gaza et ses aspirations hégémoniques en milieu palestinien. Il s’agit pour le Hamas d’une politique intérimaire avant de reprendre le combat contre l’État israélien. En réalité, ce n’est que partie remise. Sinon, le fondamentalisme islamique dont il se recommande le situe dans une transcendance religieuse qui rend caduque la territorialité du politique et ses inscriptions statutaires.
Les Israéliens, de leur côté, ont affaire à la question lancinante des otages, aux enjeux sécuritaires et stratégiques actuels et à venir et aux différends idéologiques qui portent atteinte à leur droit à l’existence, alors que la droite ultranationaliste et religieuse en Israël s’enferme dans une vision messianique dirimante qui rend impossible toute négociation. La topographie diffractée du conflit nous renvoie aux politiques de puissance régionale et internationale et à l’effervescence idéologique qui surplombent les conflits en cours et conditionnent leurs trajectoires.
La proposition se saisit de l’état de verrouillage en vue d’opérer des ouvertures qui viendraient à bout de la logique d’enfermement qui s’est emparée de ce conflit depuis la faillite relative des accords de Camp David (1979) et d’Oslo (1993) et de relancer les négociations sur de nouvelles bases qui tiendraient compte des blocages idéologiques et géopolitiques qui leur ont succédé. Les liens de dépendance que les Palestiniens n’ont cessé de cultiver tout au long de leur itinéraire militant se sont transformés en facteurs de blocage pérennes qui les empêchent de tracer un parcours indépendant et de fixer leurs choix sur cette base.

Quant aux Israéliens, ils ont à régler les controverses idéologiques, politiques et sécuritaires et à mettre fin aux dissensions qui ont mené au désastre du 7 octobre 2023. Il y a, de toute manière, une réserve méthodologique qui s’impose et nous invite à surveiller les évolutions sur le terrain, avant de se hasarder dans des projections infondées.
La pesanteur d’un conflit qui se prolonge et dont les effets dévastateurs se manifestent de jour en jour ne peut, en aucun cas, nous leurrer quant à l’attitude manœuvrière du Hamas qui se sert de la proposition américaine pour déjouer l’inévitabilité de la défaite militaire et de la déroute politique qui va s’ensuivre. Les Israéliens envisagent la défaite militaire du Hamas et consorts, comme prélude à toute négociation éventuelle avec les Palestiniens.
Ceci pour ne pas oublier que la configuration idéologique et stratégique de l’«uniformisation des champs de bataille» élaborée par l’Iran porte ombrage aux démarches diplomatiques envisagées, alors que la martialisation du nucléaire iranien poursuit son cours et la stratégie du chaos au niveau régional avance indistinctement et dans toutes les directions.
Toutefois, la politique de puissance iranienne avance dans des terrains minés et n’est, en somme, que le revers d’une crise de légitimité diffuse qui est en passe d’emporter le régime et son récit islamique.
Dans quelle mesure les intermédiations diplomatiques vont-elles pouvoir infléchir les dynamiques souterraines et vaincre les pesanteurs idéologiques doublées des stratégies de subversion? Les démarches diplomatiques vont-elles pouvoir dégager des voies latérales qui permettent de désengorger des conflits aux surdéterminations multiples et aux stratifications denses? Rien n’est moins sûr. La fatigue des sociétés civiles arrivera-t-elle à bout des extrémismes afin de paver la voie à la reprise des négociations? Les rapports de force demeurent-ils le passage obligé vers la paix par les armes ou vers des conflits meurtriers et des nihilismes sans fin?
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