Après des années d’abus et de dérapages judiciaires, la procureure générale près la Cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, devrait, enfin, comparaître, lundi, à 15h devant le Conseil supérieur de discipline. Une instance à laquelle la magistrate a tourné le dos, refusant à plusieurs reprises de comparaître devant elle, depuis qu’elle a été démise de ses fonctions en mai 2023.
À plusieurs reprises aussi, Mme Aoun a fait fi des multiples procédures judiciaires engagées à son encontre par ses supérieurs, abusant de la protection politique du Courant patriotique libre (CPL) qui, elle le croyait, la plaçait au-dessus des lois.
Aujourd’hui, et plus de trois mois après la nomination par intérim de Jamal Hajjar comme procureur général près la Cour de cassation par intérim, il est temps pour Ghada Aoun de se conformer aux procédures qu’elle dénigrait. Il faut dire que le chef du parquet a ordonné à la police judiciaire (Sécurité de l’État, Sûreté générale, Forces de sécurité intérieure, douanes…) de ne plus se conformer à ses instructions, écartant ainsi cette dernière de toutes les affaires qu’elle traitait – dans la plus grande illégalité – puisque démise de ses fonctions.
Pour l’occasion, un retour s’impose sur les débordements de la procureure qui, sous prétexte de combattre la corruption, a lancé une véritable chasse aux sorcières contre les adversaires du CPL, pratiquant ainsi une justice sélective et tordue, dont elle a foulé au pied les principes les plus élémentaires.
Nous sommes en 2019, lorsqu’au lendemain du soulèvement populaire d’octobre de la même année contre la classe dirigeante libanaise, Mme Aoun s’engage dans une voie qui sert principalement les intérêts du courant aouniste et, plus particulièrement, du chef de ce parti, Gebran Bassil. Elle mène une campagne tous azimuts contre des hommes politiques, des chefs de sécurité, le gouverneur de la banque centrale, des banquiers, dans le seul but d’orienter la colère des Libanais vers des cibles précises.
Le Premier ministre sortant, Najib Mikati, son fils Maher et son neveu Azmi (fils de Taha Mikati, frère du chef de l’Exécutif) seront ses premières proies. Ils sont poursuivis par la magistrate pour enrichissement illicite par le biais de prêts au logement subventionnés par la Banque de l'habitat. Des accusations qualifiées de mensongères par le cercle du Premier ministre sortant, s’estimant être la cible d’une campagne de dénigrement.
En 2020, c’est au tour du directeur général des Forces de sécurité intérieure (FSI), le général Imad Osman, mais aussi du général de brigade, Hussein Saleh, d’être dans la ligne de mire de Ghada Aoun. Ils sont alors pointés du doigt pour manquement aux devoirs de la fonction ayant entravé, selon elle, le cours de l’enquête sur les «dollars subventionnés».
Un an plus tard, soit en 2021, la magistrate s’acharne contre plusieurs personnes et entreprises, dont la société Mecattaf pour le transfert de fonds et son PDG, Michel Mecattaf, mort, le 18 mars 2022, d’une crise cardiaque après avoir été accablé par des accusations de blanchiment d’argent, qu’elle n’a jamais prouvées, en dépit de promesses répétées de «tout dévoiler».
Mme Aoun avait lancé son jugement contre Michel Mecattaf sur les réseaux sociaux, le considérant d’emblée coupable. Elle avait procédé, à plusieurs reprises et dans la plus grande illégalité, à la perquisition des locaux de son entreprise, de renommée internationale, qui a toujours œuvré conformément aux règles et aux régulations monétaires locales et internationales, et qui bénéficiait à cause de cela, de la confiance de ses partenaires internationaux. Elle avait également saisi les documents et ordinateurs de la société avant de les confier étonnamment à une religieuse réputée pour être proche du régime syrien, soi-disant parce qu’elle faisait confiance à cette dernière.
En 2022, elle s’attaque au gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, ainsi qu’à quatre anciens vice-gouverneurs de la BDL, les jugeant responsables de la crise financière dans laquelle le Liban est plongé et lançant, toujours sur les réseaux sociaux, une série d’accusations à leur encontre. Toutes non étayées. Parce que, suivant la logique déformée de Ghada Aoun, un individu est jugé coupable jusqu’à ce que son innocence soit prouvée, si jamais celle-ci est, bien sûr, dans l’intérêt de ceux qui soutiennent sa cabale.
Elle porte plainte également contre l’ex-directeur du ministère des Finances, Alain Bifani, des employés de la Banque centrale et contre le cabinet international de consultation Deloitte, qui avait audité la BDL en 2018. Mme Aoun perquisitionne la villa du gouverneur à Rabieh, au nord de Beyrouth, accompagnée d’une patrouille du Service de sécurité de l’État, dont le chef, Tony Saliba, est également proche du CPL.
Ces manœuvres acharnées contre la BDL et celui qui la représente s’expliquent surtout par la volonté du CPL de détourner les regards de la gestion calamiteuse du pays, durant le mandat du fondateur de ce parti, l’ex-président Michel Aoun.
Le CPL, majoritaire aux gouvernements successifs durant ce mandat, un des pires que le Liban ait connus, cherchait à se dédouaner en faisant assumer à M. Salamé seul la responsabilité de l’effondrement économique et financier du pays, et de placer le secteur bancaire entre les mains de personnalités proches du camp aouniste. Pour ce faire, il fallait une façade judiciaire, dont l’heureuse élue fut Ghada Aoun, qui n’a à aucun moment songé à orienter son enquête anticorruption vers ces ministères qui engloutissaient les milliards de la BDL, sans assurer les services dont ils étaient en charge.
Quand le juge se soustrait à la justice
Déférée plus d’une fois devant l’Inspection judiciaire et devant le Conseil de discipline, la procureure générale refuse de se soumettre à ses supérieurs, alors que ses transgressions se multiplient. De ses réunions avec l’homme d’affaires Omar Harfouche, à ses relations suspectes avec l’avocat français William Bourdon, qui s’est associé aux plaintes contre Riad Salamé via son association Sherpa, en passant par la publication d’informations erronées et de messages diffamatoires sur les réseaux sociaux, dans lesquels elle s’en prend à ses «adversaires», dont notamment l’ancien procureur de la République, Ghassan Oueidate, Mme Aoun accumule les infractions contre une justice qu’elle contribue à détruire.
Trouvant toujours le moyen d’éviter d’être notifiée des poursuites engagées contre elle, la magistrate est dessaisie, en 2023, par le procureur Oueidate, de tous les dossiers financiers qu’elle suivait jalousement.
Elle est ensuite radiée de la magistrature par le Conseil de discipline pour abus de pouvoir et pour fronde contre les règles de procédure judiciaire. Autant de mesures disciplinaires qui n’ont pas empêché Ghada Aoun d’en faire à sa tête.
Aujourd’hui, le nouveau procureur Hajjar signe sa mise à l’écart. Aura-t-il raison de ses abus judiciaires et des violations des textes en vigueur menés, depuis des années, par la procureure générale?
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