Jodie Devos, la fulgurante soprano belge, s’est brutalement envolée vers d’autres cieux, dimanche 16 juin 2024 à Paris, foudroyée par un cancer à seulement 35 ans. En une décennie à peine, cette artiste hors norme avait conquis le cœur du public et l’admiration de ses pairs par son talent aussi lumineux que généreux.
Révélée en 2014 en remportant le 2e prix et le prix du public au prestigieux Concours Reine Elisabeth en Belgique, Jodie Devos avait rapidement imposé sa voix cristalline et son charisme magnétique sur les plus grandes scènes lyriques. De l’Opéra-Comique à l’Opéra de Paris en passant par les Chorégies d’Orange, le public français s’était enflammé sans réserve pour cette soprano à la technique éblouissante et à la musicalité innée.
Native de Wallonie où ses parents élevaient des canards, rien ne prédestinait Jodie Devos à une carrière lyrique. Passée par la danse avant de se former tardivement au chant à la Royal Academy of Music de Londres, elle possédait une grâce et une présence scénique irrésistibles. Son port altier, son regard pétillant et son sourire lumineux éclairaient la scène avant même qu’elle n’ouvre la bouche.
Car c’est d’abord par sa voix que Jodie Devos subjuguait. Un instrument d’une pureté et d’une agilité rares, alliant en un même souffle l’éclat diamantin des aigus, la densité charnelle du médium et l’assise profonde des graves. Une voix capable de toutes les acrobaties et volutes du répertoire de soprano colorature, mais aussi de déployer une large palette d’émotions et de nuances.
Son interprétation intense et habitée de l’air de la Reine de la Nuit Der Hölle Rache extrait de La Flûte enchantée de Mozart est entrée dans la légende. Cet air de colorature extrêmement virtuose mettait en valeur l’agilité et l’éclat de sa voix dans le registre suraigu. Elle avait aussi triomphé dans le rôle-titre de Lakmé de Léo Delibes à l’Opéra de Tours, notamment dans le célèbre air des clochettes Où va la jeune Hindoue parfaitement adapté à son timbre.
Autre sommet de sa carrière, son interprétation à l’Opéra-Comique de Paris d’Olympia, la poupée mécanique des Contes d’Hoffmann d’Offenbach, un rôle nécessitant une grande maîtrise technique qu’elle surmontait avec une aisance confondante. Dans le répertoire mozartien, son interprétation de l’air Vorrei spiegarvi, oh Dio extrait de Cosi fan tutte était considérée comme idéale, mettant en valeur toute l’étendue et la beauté de sa voix.
Mais loin de se cantonner aux rôles de virtuosité pure, Jodie Devos était une artiste curieuse et passionnée, avide de découvrir des raretés du répertoire. Ses enregistrements très remarqués pour le label Alpha Classics ont ainsi exhumé des trésors méconnus de l’opéra français du dix-neuvième siècle, de Auber à Massenet. Une démarche artistique exigeante et généreuse, animée par le désir de partager avec le public ces joyaux oubliés.
Car la générosité et le partage étaient au cœur de la personnalité solaire de Jodie Devos. Loin des caprices de diva, elle cultivait des rapports simples et chaleureux avec ses partenaires, les metteurs en scène et les chefs d’orchestre. Son énergie communicative et sa bonne humeur constante en faisaient une collègue adorée et admirée de tous.
Cet appétit de la vie et ce tonus d’acier, Jodie Devos en aura eu besoin pour affronter avec un courage et une dignité extraordinaires la maladie qui l’a brutalement rattrapée au sommet de son art. Jusqu’au bout, elle aura chanté et vibré intensément, transcendant la douleur par la force de son engagement artistique et de sa passion intacte. La voir incarner une ultime fois les tourments d’Électre dans Idomenée de Mozart à l’Opéra de Paris en avril dernier, le souffle court, mais la voix et la volonté intactes, restera comme un moment de grâce et d’émotion indicibles.
Avec la disparition de Jodie Devos, le monde lyrique perd une artiste lumineuse et solaire, une amoureuse de la vie et du partage, une belle personne qui emporte avec elle un peu de la flamme sacrée de l’opéra. Jodie Devos rejoint au firmament des voix éternelles les plus grandes légendes de l’art lyrique qu’elle admirait tant, de Maria Callas à Edita Gruberova. Et depuis là-haut, nul doute que son rire cristallin continuera à enchanter la musique des sphères.
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