Entre le Hezb et Israël, guerre ou paix?

Les appels à l’accalmie entre le Hezbollah et Israël se multiplient. Entre les deux belligérants qui se sont engagés, au lendemain de l’offensive du 7 octobre dernier, dans des affrontements qui vont crescendo, on assiste à une montée des extrêmes. Pour faire éviter à la région un embrasement général, les diplomates internationaux se succèdent ainsi au Liban et en Israël, s’engageant dans une course contre la montre pour apaiser les tensions. Les efforts diplomatiques l’emporteront-ils sur les ravages d’une éventuelle guerre que prévoit une grande majorité d’experts militaires et de géopolitologues?
La diplomatie réussirait-elle son pari?
À l’heure où les menaces sont échangées agressivement de part et d’autre de la frontière entre le pays du Cèdre et l’État hébreu, ministres et émissaires européens et américains s’acharnent à mettre en garde contre les retombées de cette dynamique destructrice, appelant les parties prenantes à la retenue.
Lundi, la ministre allemande des Affaires étrangères (AE), Annalena Baerbock, a entamé une tournée au Moyen-Orient, qui a commencé à Tel-Aviv. Elle devrait s’entretenir, mardi, avec le Premier ministre palestinien, Mohammad Moustafa, à Ramallah en Cisjordanie, avant de se rendre à Beyrouth pour rencontrer les responsables libanais.
Une visite qui s’annonce au lendemain d’un Conseil des Affaires étrangères, tenu lundi à Luxembourg. Réunis, les ministres des AE de l’Union européenne ont notamment discuté de la situation au Moyen-Orient, question qui faisait partie des principaux points à l’ordre du jour. «Le Royaume-Uni souhaite une solution pacifique par le biais d’un règlement négocié» entre les deux parties, a affirmé le ministre britannique des Affaires étrangères, David Cameron, sur son compte X. De son côté, et dans le cadre d’un entretien accordé au média Al-Hadath, son homologue italien, Antonio Tajani, a appelé Washington à «présenter un plan garantissant une zone tampon entre le Liban et Israël».
Ces déclarations porteront-elles leurs fruits? Il faut dire que «la diplomatie joue le rôle qu’elle peut jouer», affirme Frédéric Encel, géopolitologue et consultant spécialiste du Moyen-Orient. «À partir du moment où les belligérants décident d’aller jusqu’au bout, plus de doute sur la tenue ou non de la guerre. Les diplomates ne mettent en musique que la volonté des dirigeants. Ils n’ont aucun pouvoir de décision», enchaîne-t-il.
Le Liban au bord de la guerre?
Jusqu’alors, on a toujours parlé de guerre de «basse intensité» entre le Hezbollah et Israël. «Ceux qui considèrent, de manière un peu simpliste, que les guerres ne sont que des accidents de l’histoire se trompent lourdement. On risque, aujourd’hui, d’enregistrer une guerre de très haute intensité», indique Frédéric Encel. Quels en sont, selon les experts, les indices révélateurs?
Déplacement des habitants des villages frontaliers 
Avec près de 140.000 déplacés des deux côtés de la frontière entre le Liban et Israël, «nous sommes proches d’un point de rupture», considère le professeur Encel. D’après lui, les Israéliens ont atteint le «seuil de tolérance, au-delà duquel n’importe quel gouvernement aurait déclenché une guerre pour faire cesser le harcèlement à sa frontière, internationalement reconnue en vertu de la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée au lendemain de la guerre de 2006 entre le Hezbollah et Israël (ndlr)». Une thèse que confirme Didier Leroy, chercheur à l'École royale militaire de Belgique: «Que Netanyahou soit encore à la manœuvre ou que l’on assiste à des élections anticipées avec la désignation d’un nouveau Premier ministre, la priorité sera de gérer la menace sécuritaire à l’égard des habitants du nord d’Israël et qui réclament un retour dans leurs villages». D’un point de vue politique, difficile donc d’imaginer que le gouvernement israélien – actuel ou nouveau – puisse passer outre cette réalité.
Histoire de tunnels

Si certains experts redoutent le scénario d’une guerre imminente, c’est que principalement la question sécuritaire susmentionnée est étroitement liée à l’affaire du métro de Gaza. Alors que les analystes estimaient quelque 500 km de tunnels, l’armée israélienne en aurait découvert environ le double, soit 1.000 km. «L’on peut s’imaginer à présent ce que le Hezbollah a pu construire sous le territoire du Liban-Sud mais aussi dans d’autres régions depuis 2006. C’est de ça qu’il s’agit lorsqu’on parle d’élément sécuritaire et c’est dans ce sens que l’on comprend que les conséquences économiques et politiques d’une guerre puissent être reléguées au second plan», indique M. Leroy. «N’oublions pas aussi le fait que l’armée israélienne aurait, dans le cadre de l’opération sur Gaza, mis la main – au grand dam de Hassan Nasrallah – sur des documents faisant état d’un scénario équivalent à l’offensive meurtrière du 7 octobre, devant être mis à exécution par la force Radwan du Hezbollah, contre les localités israéliennes de Galilée», rappelle le professeur David Rigoulet-Roze, consultant en relations internationales, spécialiste de la région du Moyen-Orient et rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques.
Fin des opérations à Rafah
Dimanche dernier, le Premier ministre israélien déclarait ce qui suit: «La phase intense des combats contre le Hamas est sur le point de se terminer (...) Cela ne signifie pas que la guerre est sur le point de se terminer, mais la guerre dans sa phase intense est sur le point de se terminer à Rafah.» Il a, dans ce sens, poursuivi: «Après la fin de la phase intense, nous serons en mesure de redéployer certaines forces vers le nord et nous le ferons.» Dans les prochaines semaines, l’objectif premier de l’armée israélienne sera, par conséquent, de libérer quelques otages supplémentaires et d’éliminer, d’une manière ou d’une autre, quelques commandants du Hamas. Il sera donc question, à ce stade, «de fouiller, de sonder et de détruire les tunnels de Gaza et de les neutraliser», avance M. Leroy. Alors que quatre divisions sont déployées actuellement sur le front nord, «un transfert des troupes se prépare actuellement vers cette zone, en vue d’un engagement d’envergure alors que la grande majorité des parkings, comme celui de Rambam à Haïfa s’est désormais transformée en hôpitaux de campagne», signale M. Rigoulet-Roze.
Déclarations officielles
Le 18 juin dernier, le ministre israélien des Affaires étrangères, Israël Katz, a brandi la menace d’une guerre totale. «Nous sommes très proches du moment où nous déciderons de changer les règles du jeu contre le Hezbollah et le Liban. Dans une guerre totale, le Hezbollah sera détruit et le Liban durement touché.» Une déclaration qui intervient le jour même de l’approbation des plans d’offensive israéliens contre le Liban. Or, Israël considère que les règles ont changé de manière irréversible. Dès le 9 octobre, Netanyahou avait signalé que son pays allait changer le Moyen-Orient, «avec tous les attendus incertains d’une telle proclamation», souligne M. Rigoulet-Roze. Il ajoute: «Au début de l’année 2024, son ministre de la Défense, Yoav Gallant, estimait que la question d’un front au Nord se poserait à terme et qu’elle devrait être réglée, anticipant une guerre multi-fronts.» De fait, dès avant le 7 octobre, soit le 24 avril 2023, ce dernier considérait déjà que «l’ère des conflits limités était révolue», «compte tenu de la ‘convergence des arènes’, favorisée par Téhéran contre l’État hébreu», suggère M. Rigoulet-Roze. C’est lui, d’ailleurs, qui vient de se rendre à Washington pour faire un point de la situation à la fois à Gaza et à la frontière libanaise.
Côté Hezbollah, le secrétaire général de la formation pro-iranienne, Hassan Nasrallah, n’a pas tardé à rétorquer aux menaces d’Israël Kantz: «Si la guerre était imposée au Liban, la résistance se battra sans règles et sans limites. Israël sait qu’aucune partie de son territoire ne sera à l’abri de nos drones et de nos missiles.» Des propos tenus alors que le Hezbollah avait diffusé des images prises par un de ses drones au-dessus de Haïfa, grand port du nord d’Israël et avait menacé Chypre si l’île ouvrait ses aéroports et ses bases (militaires) à Israël pour cibler le Liban.
Éviter la guerre, encore possible?
Pour le général Jean-Bernard Pinatel, officier parachutiste, instructeur commando, expert reconnu en intelligence stratégique et économique et vice-président du think tank Geopragma, la guerre, si elle devait se dérouler au Liban, aurait été déclenchée juste après le 7 octobre 2023. «D’un point de vue stratégique, il n’y a aucune raison pour que l’Iran, qui a empêché le Hezbollah de s’y engager massivement pendant plusieurs mois, change de position maintenant, alors qu’Israël est sur le point d’achever ses attaques massives à Gaza», indique-t-il. D’autant plus que, «côté israélien, la guerre à Gaza ayant pesé cher en termes de pertes humaines et de PIB, une confrontation au Liban serait beaucoup trop coûteuse», souligne le général Pinatel, ce qui écarte, selon lui, la possibilité qu’Israël prenne l’initiative de déclencher un conflit de haute intensité contre le Hezbollah. D’après lui, une sortie de crise n’étant pas pour bientôt, la situation telle qu’elle se présente aujourd’hui se prolongerait sur plusieurs mois encore.
Pour Frédéric Encel, l’issue – peu probable, du moins pour le moment – serait la chute du régime iranien, sachant que selon des informations obtenues par Ici Beyrouth, un soulèvement populaire à Téhéran devait voir le jour au lendemain de la mort, dans un accident d’hélicoptère le 19 mai dernier, d’Ebrahim Raïssi. Tentative vaine étant donné l’incohérence signalée au sein des rangs des insurgés.
Une troisième éventualité serait qu’une fois la guerre finie à Gaza, le Hezbollah cesse ses attaques contre Israël, ayant toujours créé une sorte de corrélation entre les deux éléments. Par conséquent, l’État hébreu se verrait dans l’obligation de se rétracter aussi. Or, un tel scénario placerait le Hezbollah dans une position ascendante et ne règlerait pas, pour Tel-Aviv, le problème sécuritaire dont il a été question plus haut.
Face à cette grande inconnue qu’est l’éventualité de la guerre et au quasi-échec des efforts diplomatiques, la plus grande victime demeure le Liban qui continue de payer le prix de guerres qui ne sont pas les siennes et qui s’imposent à lui, par manque de souveraineté.
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