Dans les alentours de Wazzani, l’odeur de fumée masque celle des fleurs et des oliviers. Des vergers, des champs de blé portent tous les stigmates des flammes qui ont tout ravagé sur leur passage.
Soumis à des bombardements et des raids israéliens intensifs, le Liban-Sud, dévasté, est confronté cette saison à un risque élevé d’incendies de forêts en raison des bombes incendiaires et au phosphore blanc, ainsi que des fusées éclairantes lancées régulièrement par l’armée israélienne.
Celle-ci prend pour cible de nombreux villages frontaliers, mais aussi des terres fertiles, des forêts, des espaces verts et des terres agricoles, de Naqoura jusqu’à Chebaa, en passant par Wazzani.
Ces attaques, qui menacent directement la vie des civils, portent un coup fatal à l’économie et aux moyens de subsistance de milliers d’agriculteurs et de travailleurs agricoles. Les habitants de la région, y compris ceux dont les terres n’ont pas été brûlées par les frappes, ont, soit interrompu leurs récoltes, soit abandonné leurs terres, craignant pour leur sécurité.
Plus de 8.500 dounoums ont déjà brûlé et tout le monde s’inquiète des conséquences sur le long terme de l’impact de la violence en cours sur le secteur agricole.
Dans les alentours de Wazzani, la verdure n’est plus que cendres et la brise peut à tout moment ranimer le feu endormi. Des chants d’oiseaux tranchent avec ce spectacle de désolation.
Un agriculteur se désole: «L’objectif d’Israël est de brûler nos terres. Les villageois ont dû se mobiliser avec leurs moyens limités pour venir à bout des flammes dans les champs de légumes, les vergers et les oliveraies». «Les pompiers aussi étaient occupés à étouffer le feu. Son étendue est catastrophique. Les conditions météorologiques ont favorisé la propagation des flammes, les rendant difficiles à maîtriser. Ici, chaque arbre a une valeur économique et écologique, mais aussi culturelle», poursuit-il, en allusion aux oliviers millénaires et aux vieux chênes. «Nous n’avons pas beaucoup de ressources. Ces terres permettent aux paysans de gagner leur vie. Mais maintenant, qui peut aller sur ses terres?» s’inquiète Abou Issam, les yeux rivés sur les images des feux.
La plupart des forêts au sud du Liban sont constituées de larges surfaces de maquis avec de grandes populations de feuillus comme des chênes et des pins, parfois très vieux. On y trouve aussi différents types de lauriers et de caroubiers.
Avec 800 hectares de terres agricoles complètement ravagées, 340.000 animaux morts et environ 75% des agriculteurs ayant perdu leur dernière source de revenus, la réalité sur le terrain est sombre.
«Chaque fois qu’on éteint un incendie, le feu reprend à un autre endroit à cause de l’artillerie israélienne. Certains foyers sont éloignés et ne peuvent pas être atteints», raconte le président de la municipalité de Wazzani (caza de Hasbaya), Ahmad Mohammad. «Nous regardons, impuissants, le feu dévorer nos terres et nos arbres», se lamente-t-il.
Le feu ravageant des espaces verts.
Des forêts entières brûlées
À Chebaa (caza de Hasbaya), un habitant du village, Moustapha, raconte comment «le feu a ravagé des forêts proches du village». «Les flammes étaient à quelques mètres des habitations. Une montagne entière a pris feu, les pins et les chênes ont été décimés», témoigne-t-il. «Tous les habitants du village, hommes, femmes et enfants, ont aidé à éteindre ces incendies», poursuit Moustapha qui appelle à mieux équiper les régions frontalières pour combattre les incendies.
Tout le long de la frontière, les terres agricoles calcinées mettent en relief les défis à relever pour rétablir la viabilité agricole et économique de la région. «Ces feux intensifs auront un impact sur tout l’écosystème: l’exposition de la terre à un risque de dégradation et la fragmentation des forêts, ce qui augmente leur stress et leur vulnérabilité aux risques d’incendies», s’inquiète Nassif, un habitant de la région.
Nemr, un agriculteur propriétaire d’une oliveraie, montre du doigt, au pied des oliviers et des plants de légumes, des centaines de débris noirs qui s’enflamment lorsqu’on les piétine. «Ce sont des bouts de phosphore. Tout est contaminé. Ma récolte est bonne pour la poubelle», souffle-t-il, désespéré.
Les oliveraies de Deir Mimas représentent un patrimoine agricole et culturel d’une grande valeur. Elles sont célèbres pour leurs arbres millénaires, certains, dit-on, datant d’avant Jésus-Christ, ce qui leur confère une valeur historique inestimable. L’huile d’olive produite à partir de leurs arbres est réputée pour sa qualité et son goût unique.
Les oliviers de ce village sont ainsi surtout un symbole de résilience et un lien avec l’histoire ancienne de la région. Leur préservation est essentielle au maintien de cet héritage précieux pour les générations futures.
Les incendies causés par les bombardements israéliens constituent une grave menace pour ce patrimoine et mettent en péril l’existence même de ces arbres vénérables et de l’industrie de l’huile dans la région.
Un olivier dévoré par les flammes.
Résilience au milieu des ruines
La destruction des terrains agricoles frappe durement les femmes agricultrices du Sud, qui en dépendent pour leur subsistance et leur autonomie économique. À Chebaa, au cœur de cette catastrophe, Samia, une agricultrice de 52 ans, résume une situation tragique pour de nombreuses femmes: «La guerre a éclaté au moment de la récolte des olives (7 octobre 2023), ce qui a eu un effet dévastateur. Les bombardements et les bombes éclairantes nous ont obligés à abandonner les champs, ce qui a entraîné des pertes considérables et des occasions manquées».
Sa voix se brise. Elle a du mal à cacher son désarroi, pendant qu’elle expose les défis combinés de la guerre, des conflits économiques et des dommages écologiques.
Suzanne, une autre agricultrice de Wazzani, ne veut pas baisser les bras, quoi qu’il arrive. «Je dois rester pour m’occuper de mes arbres. Si je ne le fais pas, il n’y aura pas de fruits cette saison», affirme-t-elle, au milieu de ses pêchers. «Notre lien à la terre est fort. Je ne quitterai pas la région. C’est ici que j’ai grandi. Je n’ai aucune raison de partir. Tout cela est à moi. L’agriculture, c’est tout, c’est la souveraineté alimentaire, la vie et le contrôle de la terre», martèle-t-elle, la voix vibrante.
Fouad, un éleveur de volailles, propriétaire d’un vignoble à Marjeyoun, se fait l’écho des difficultés des agriculteurs et parle de l’impact, plus large, des bombes incendiaires et au phosphore, sur les pratiques agricoles de la communauté. Il fait état d’une «forte baisse de production» et brosse le tableau d’une communauté «en état de siège». «Cette année, l’exportation de nos produits a posé des problèmes considérables. Les sociétés de collecte n’ont pas pu atteindre nos fermes en raison du conflit. De plus, la commercialisation et la vente de nos produits se sont heurtées à d’autres obstacles, et non des moindres: les acheteurs potentiels craignaient les effets à long terme et incertains de la contamination des cultures par le phosphore blanc», déplore-t-il.
«Nous avons survécu à la guerre de 2006», insiste un vieux villageois de Kfarkila, en montrant du doigt des pousses de salades qui seront bientôt plantées dans son champ du Marj (la plaine de Marjeyoun), soumis à des bombardements. «Et je pense que nous allons encore survivre», lance-t-il.
«C’est une forme de violence lente qui ne touche pas seulement les personnes, mais l’air qu’elles respirent, l’eau qu’elles boivent, et l’environnement dans lequel elles évoluent», commente à son tour un chercheur écologique auprès de l’association Jnoubiyoun, au Liban-Sud.
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