L’éditorial – Le Hezb au Liban-Sud: banaliser le fait accompli 
Les députés de l’opposition, représentant les partis, courants et personnalités souverainistes, ont clairement mis le doigt sur la plaie… Sans atermoiements ni complaisance, ils ont proclamé leur refus de voir le Liban entraîné dans une guerre à grande échelle dont «le seul et unique objectif est de renforcer le positionnement de l’Iran sur l’échiquier régional». «Nous n’accepterons pas d’être poussés dans une guerre globale qui ne servirait pas la cause palestinienne et qui détruirait le Liban», ont-ils affirmé au cours d’une rencontre avec la presse et les médias au siège du Parlement.

Cette position tranchée reflète, à n’en point douter, un point de vue exprimé déjà à maintes reprises par nombre de faiseurs d’opinion et par une écrasante majorité de la population. Son mérite est, toutefois, de réaffirmer haut et fort une réalité que le Hezbollah tente d’occulter avec assiduité, à savoir le rejet par la quasi-totalité des Libanais de la banalisation d’un fait accompli destructeur: celui que la formation pro-iranienne s’emploie à instaurer par la force des armes en créant, à la frontière avec Israël, une situation de guerre d’usure permanente qui dure depuis neuf mois et qui risque à n’importe quel instant de dégénérer en une vaste confrontation généralisée.

Cette insistance du Hezbollah – qui dépasse les limites de l’arrogance – à banaliser une guerre qu’il a pris l’initiative d’imposer dans le seul but de renforcer la position négociatrice de la République islamique iranienne a un impact dévastateur sur le plan interne. Faisant preuve d’un inqualifiable mépris en la matière, le Hezb montre qu’il tient très peu compte des pertes en vies humaines (notamment dans les rangs de ses miliciens), des destructions massives dans les villages du Sud, de l’exode auquel ont été forcés près de 100.000 Libanais, des graves dégâts causés aux terres agricoles. Ce dédain, qui entretient la perception qu’il considère le pays comme sa propriété privée – ou, pire encore, comme celle du régime des mollahs – suscite un dangereux ressentiment au sein de la population, approfondissant, par le fait même, le fossé qui se creuse de jour en jour entre lui et les autres composantes du tissu social libanais.


Ce ressentiment provoqué par les comportements miliciens et les aventures guerrières, fruit d’initiatives unilatérales, est aggravé encore plus par la tentation totalitaire d’imposer des valeurs, des coutumes sociales, un mode de vie, d’un autre âge. La récente tirade du député Mohammed Raad, qui a stigmatisé ceux qui ne songent qu’à «mener leur vie, à fréquenter des lieux de loisirs et à se rendre à la plage», contribuant de la sorte, selon lui, à «la destruction du pays»(!), aurait pu être inscrite au registre d’une simple boutade maladroite. Sauf qu’elle confirme les propos tenus, il y a quelque temps, par le leader du Hezbollah qui, dans un discours télévisé, avait classé les Libanais en quatre catégories: les «bons» Libanais (en l’occurrence ses partisans) qui soutiennent la «résistance»; les «mauvais» Libanais qui «collaborent avec l’ennemi»; les Libanais condamnables «qui sont indifférents au sujet de ce qui se passe autour d’eux»; et les Libanais, non moins condamnables, «qui ne pensent qu’à se promener le dimanche avec leur famille»(!).

C’est cette ligne de conduite globale et ces étranges positions à caractère sociétal adoptées par la formation pro-iranienne qui apportent largement de l’eau au moulin de ceux qui réclament l’adoption d’un système fédéral, voire la partition. Le directoire du Hezbollah, en fin stratège, devrait pouvoir admettre que le vivre ensemble ne saurait être fondé sur une tentative d’Anschluss visant le Liban ou sur une volonté de défigurer le visage du pays du Cèdre en cherchant à imposer des valeurs, un mode de vie diamétralement opposés aux spécificités historiques des diverses composantes de la société libanaise.

Le cumul de ressentiments ne peut donner naissance qu’à une montée aux extrêmes des deux côtés de la barricade. Les développements en cours dans la région et dans certains pays occidentaux en sont la preuve la plus éclatante. Ce cercle vicieux des extrémismes destructeurs ne pourrait être brisé, ici et ailleurs, qu’en respectant la dignité de l’individu… Et, surtout, en s’abstenant de vouloir imposer à autrui ses propres valeurs théocratiques et sociales, souvent par la force des armes et les actions terroristes les plus démentielles.
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