Alors que le Liban fait face à des crises internes et externes, Naji Hakim mobilise son art pour ériger l'harmonie et insuffler l'espoir. Plus que jamais nécessaire.
Qui aurait cru que le Liban survivrait? Et pourtant, malgré la menace perpétuelle de l’épée de Damoclès, le pays du Cèdre a tenu bon au fil des siècles. Il a tracé son chemin même durant les périodes les plus sombres, où les larmes se mêlaient au sang pour narrer la tragédie d’un pays martyrisé. C’est alors que la musique s’est révélée comme une puissance salvatrice, apaisant les cœurs meurtris et insufflant l’espoir aux âmes épuisées. Les frères Rahbani en sont un exemple probant. Leur génie, immortalisé par la voix turquoise de Fairouz, a ainsi permis d’esquisser un Liban idyllique, un pays-message uni. Mais cet espoir ne fut qu’éphémère, hélas. À présent, l’histoire semble se répéter. Une fois de plus. Et alors que le clairon retentit et que les tambours de la guerre grondent, Naji Hakim déploie ses mélodies pour (re)créer l’harmonie. Son engagement viscéral fait écho à la réflexion du musicologue suisse Jean-Jacques Eigeldinger, partagée lors d’un entretien accordé en mars 2024 à Ici Beyrouth: «Orphée, le musicien-poète de légende, avait apporté la civilisation à des peuplades barbares. Puisse la barbarie technologique de notre temps se voir traversée par l’essence transcendante de la musique.»
Constructeurs et destructeurs
De retour à Beyrouth, pour un concert célébrant sa musique à Beit Tabaris, le compositeur nous donne rendez-vous à l’église du Collège du Sacré-Cœur à Gemmayzé. Un sourire serein illumine son visage tandis qu’il effleure les touches de l’orgue, comme pour convoquer les anges, ses éternelles muses. D’esthétique française romantique, ce Gloton-Debierre a vu éclore, dans les années 1960, le grand talent de Hakim. Un talent qu’il peaufina, plus tard, auprès de grands maîtres dont Jean Langlais (1907-1991), lui permettant de s’affirmer sur la scène musicale internationale. À cet égard, feu le grand virtuose Henri Goraïeb répétait à chaque occasion: «Naji Hakim compte parmi les trois grands compositeurs que le Liban a connus, aux côtés de Wadih Sabra et d’Anis Fuleihan.» Face aux innombrables crises qui ébranlent le Liban, l’artiste se sent investi d’une noble mission: «Tout s’inscrit dans une foi, ma foi chrétienne, où l’homme contribue à la création du monde. Notre devoir, voire notre témoignage, est d’être des constructeurs face aux destructeurs de la planète», affirme-t-il.
Harmonie universelle
Par le biais de ses multiples vertus, la musique aurait-t-elle le pouvoir d’accorder les nations? «J’en suis certain!», répond le maître libanais sans hésitation. «On ne saurait mener deux actions antagonistes. Si l’on se consacre à cultiver l’amour, on n’a ni le temps de se lamenter, encore moins de détruire. Cette attitude nous pousse alors à apaiser les douleurs et les chagrins qui, hélas, ont marqué plus souvent l’histoire de l’humanité que les périodes de paix», poursuit-il. Profondément croyant, Hakim fait aussitôt référence aux paroles du Christ dans l’Évangile selon Saint Jean: «Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix» (Jean 14:27). Une promesse de réconfort que Jésus adresse à ses disciples avant son départ. «L’art doit y contribuer et être un moyen d’exprimer ce sourire, cet espoir et cette foi en un monde meilleur», exprime l’organiste avec solennité avant de lancer à brûle-pourpoint: «Nous ne cèderons pas à la noirceur diabolique des destructeurs.»
Instrument-orchestre
À l’instar de Ludwig van Beethoven (1770-1827), le compositeur beyrouthin aspire à communiquer à travers sa musique d’art occidentale un message universel, sans pour autant dissimuler sa fierté pour l’identité levantine libanaise qu’il infuse parfois dans ses partitions: «Que voulez-vous? Le Liban coule dans mes veines.» Un Liban qu’il a activement promu et fait rayonner à travers le monde. Le séjour de l’artiste s’inscrit d’ailleurs dans cette même volonté de soutenir son pays natal et la jeunesse musicale libanaise à travers une série de masterclasses de composition, organisée par Zeina Saleh Kayali à Beit Tabaris. Cet évènement s’est clôturé, le 30 juin, par un concert donné par le violoniste Mario Rahi, et dont le programme était entièrement consacré à la musique pour violon seul de Naji Hakim. «Durant le confinement, j’ai eu une prise de conscience philosophique et j’ai pensé à tous les musiciens qui étaient isolés, empêchés de jouer en orchestre ou en musique de chambre. C’est pour cela que j’ai composé une série de pièces pour instrument seul», explique-t-il.
Selon Hakim, un musicien doit être capable de transmettre tout un message musical expressif par lui-même. Il évoque, dans ce contexte, une leçon avec son maître Serge Nigg (1924-2008), durant laquelle un des élèves affirma qu’un orchestre sonne évidement plus fort qu’un orchestre de chambre. Serge Nigg lui rétorqua aussitôt que cela dépendait entièrement de la manière dont la musique est composée. «J’ai poussé cette réflexion encore plus loin, souligne le compositeur libanais. Un instrument seul occupe tout le temps et l’espace sonore, donc il revient entièrement à lui d’exprimer un message musical.» Et ainsi fut fait! Mario Rahi livra un concert de haut vol, proposant une lecture soignée des œuvres de Naji Hakim, dont quatre créations (Étoile d’or, Vertigo, Évocation et Tarentelle ainsi qu’une Gigue). Quatre variations tout en nuances sur le célèbre Menuet en sol majeur, attribué à Jean-Sébastien Bach (1685-1750) puis réattribué à Christian Petzold (1677-1733), clôtura la soirée, mettant en exergue les capacités tant techniques qu’expressives du violoniste.
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