Laurence Peter n’était pas vraiment un homme cynique à la base. C’était un simple pédagogue canadien, compétent, qui a surtout officié à l’Université de Californie du Sud, et décéda en 1990. Mais entre-temps, il a offusqué le monde de l’administration et des entreprises avec The Peter Principle, ouvrage publié en 1960, traduit en 38 langues, best-seller partout, enseigné dans les meilleures universités.
Son principe est simple: «Dans une hiérarchie, tout individu a tendance à s'élever à son niveau d'incompétence.» La raison est qu’un professionnel compétent, en guise de récompense, est promu en général à un niveau supérieur. Par suite des promotions successives, il finira par atteindre un poste dans lequel il sera incompétent, raison pour laquelle il n’aura plus de promotion et continuera à exercer son incompétence dans ce même poste.
Illustration pratique du principe: la plupart de nos députés, ministres, hauts fonctionnaires – ce qui explique l’état piteux de notre État, et de votre état. Considérons par exemple les ministres. On en prend connaissance dès la formation du gouvernement: bardés de diplômes, CV bien fournis… Et puis la sombre réalité: ils ont atteint avec ce portefeuille leur niveau d’incompétence.
Voici d’abord le ministre de l’Énergie qui promettait un courant continu, ce qui est normal puisque les tarifs ont été relevés jusqu’au coût de revient. Les gens avaient alors avalé le boa en se disant qu’on va se débarrasser au moins du générateur.
Peine perdue. Quatre heures de courant, peut-être aucune si la Banque du Liban (BDL), le ministre des Finances, le Parlement, le Premier ministre irakien, peut-être le secrétaire général de l’ONU n’interviennent pas dans les temps pour décharger un navire qui attend son heure de gloire depuis deux semaines au large de Zahrani, fruit d’un accord libano-irakien d’un flou surréaliste.
En fait, les ministres, à la place d’une vraie réalisation qui ne viendra pas, appliquent ce que Laurence Peter a prévu: «Les hiérarques, quand ils sont devenus réellement incompétents, se complaisent à fréquenter des réunions, colloques, conférences.» Application: les voyages de nos ministres n’ont jamais été aussi fréquents, leurs réunions et leurs conférences de presse aussi fournies, leurs réalisations aussi anémiques.
En voilà un qui annonce pour la treizième fois le projet de circulation des bus français, à commencer par une flotte de 8 bus! À faire rougir la RATP d’admiration. Un autre qui sort un chef-d’œuvre dans le genre: Stratégie nationale pour la santé mentale, selon laquelle le ministre pourrait tranquilliser ses sujets: «Vous avez perdu votre maison au sud, votre frère, votre dépôt bancaire, votre couverture santé pour hospitaliser votre mère. Ce n’est pas grave, on a élaboré une stratégie pour vous éviter la déprime.»
Une annexe pour agrémenter l’épisode, le ministre de l’Économie, voyant que son collègue de la Santé n’a nullement réussi à hospitaliser les plus démunis, il se dit que lui aussi peut atteindre la même nullité. Et c’est exactement ce qui sortira de la réunion élargie qu’il tint avec tous les acteurs de la profession médicale.
Et puis voilà le ministre des Télécoms qui se démène pour raccorder les distributeurs privés d’Internet au réseau officiel d’Ogero – lequel annonce en même temps une possible interruption de son réseau, faute de matériel, d’argent, ou suite à une grève. Autrement dit, le ministre espérait ramener tout le monde à son niveau d’incompétence.
D’autres exemples? Il y en a plein encore. Mais passons plutôt à une conséquence directe de ce qui précède: Murphy’s Laws, inventées par un ingénieur américain, Edward Murphy, qui ont fait, depuis, le tour du monde. D’après ses lois, «tout ce qui est susceptible d'aller mal, ira mal». Pire encore: «Entre deux événements qui peuvent mal se passer, c’est le pire qui arrivera.»
Et c’est exactement ce à quoi on assiste tous les jours et qui ne nous étonne même plus. Il suffit d’écouter les gens palabrer dans n’importe quel café: «Vous recevez encore l’eau de l’Office deux fois par semaine? Je suis sûr que ça va se tarir de plus en plus.» On est arrivé à un stade où l’on est inconsciemment des adeptes fervents des lois de Murphy.
Concluons par un troisième illuminé, Joseph Overton, du Mackinac Center for Public Policy, un think tank à Michigan, États-Unis. Selon Overton, une idée complètement impensable au début est amenée par les décideurs progressivement vers quelque chose de radical, puis envisageable, puis possible, puis probable, avant d’ancrer dans la réalité et d’être acceptée par conviction ou par résignation.
C’est tout à fait l’histoire d’un pays sans président, des dépôts bancaires qui se volatilisent, d’une guerre au sud avec laquelle on cohabite en attendant une guerre totale envisageable, des services étatiques inexistants qu’on trouve tout à fait tolérable, et enfin l’histoire de ces politiciens corrompus ou nuls, ou les deux, qu’on finit par supporter comme une fatalité.
Mais au moins aura-t-on servi à quelque chose dans ce pays: étayer de la belle façon les meilleurs concepts alarmistes de la littérature... au milieu de 50 spectacles estivaux joués à guichet fermé.
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