Pour Hezbollah, est-ce l’adieu aux armes?

Un match revanche! Dans la nuit du dimanche au lundi dernier, les cyclomoteurs de la banlieue sud ont célébré dans la liesse l’apothéose du Hezbollah: ce dernier venait de venger l’assassinat de son haut commandant militaire, Fouad Chokr, abattu le 30 juillet dernier dans Haret Hreik, fief du parti de Dieu. Et pour cause! À l’aube du 25 août, plus de 300 projectiles se sont abattus sur Israël, avec pour seul objectif des cibles militaires. La milice pro-iranienne venait de faire preuve de plus de vaillance que son mentor iranien, qui tergiverse ou tarde à laver l’affront que lui a infligé Tel-Aviv. N’est-ce pas que les Gardiens de la révolution ont à venger l’exécution d’Ismaël Haniyé, hôte de marque du régime des ayatollahs, abattu dans des circonstances suspectes le 31 juillet dans leur propre capitale, Téhéran? Eh bien non, ce ne fut pas à l’Iran de se mouiller ou de prendre des risques. Cette tâche périlleuse fut dévolue au Hezbollah, l’un de ses «proxies» qui, dans l’enthousiasme juvénile qui le caractérise, est toujours candidat au martyre et prêt à monter au créneau. Et tant pis si le Liban encaisse les coups dans la mêlée qui s’ensuit!
La vérité, c’est que l’on s’attendait à un embrasement général vu la rhétorique vindicative affichée sur les réseaux sociaux depuis un moment. Ce fut cependant une démonstration d’euphorie grégaire dans les rues de Dahyé, sur instruction du Sayyed, alors que cette même allégresse aurait été condamnée comme impudique et qualifiée de sacrilège si elle s'était déployée sur les plages de Maameltein ou dans ses discothèques. Que voulez-vous de plus? Une joie populaire sur ordonnance, conformément à un taklif char’i et dans un cadre régi par les inspecteurs de la morale.
Et, qui plus est, pour clore l’accrochage matinal et ses effets spéciaux, Hassan Nasrallah a déclaré, tout aussi triomphalement, que son attaque d’envergure contre une base de renseignement militaire israélienne près de Tel-Aviv à l’aide de drones, roquettes et autres objets volants plus ou moins identifiés, était terminée pour cette journée du dimanche du moment qu'elle avait atteint ses objectifs1.
On nous sert du truqué
C’est à n’y rien comprendre! Imaginez le Generalfeldmarschall Paul von Hindenburg, à la suite de l’échec de son offensive de l’été 1918, faisant savoir à son adversaire le maréchal Ferdinand Foch, généralissime des forces alliées, que «l’attaque d’ampleur» qu’il avait lancée était arrivée à son terme! Ce serait, ma foi, une drôle de tactique militaire que cette transparence quant aux buts avoués des belligérants! Serions-nous à l’époque de la glasnost de Gorbatchev, qui préconisait la publicité pour affronter l’obscurantisme et déjouer le magouillage de la vieille garde soviétique? Assurer à l’adversaire que l’opération était achevée et que, par conséquent, il n’avait plus rien à craindre, relève non seulement du théâtre de l’absurde, mais de la frivolité incongrue. On ne pouvait s’attendre à un tel échange de civilités entre antagonistes qui précédemment s’étaient pris à la gorge. Quant aux célébrations populaires nocturnes, auxquelles nous nous serions volontiers joints, elles se sont avérées sans objet, «puisqu’aucun drone n’avait frappé à l’intérieur du territoire israélien» et qu’aucune cible potentielle n’avait été touchée. Sinon un poulailler, si l’on croit la rumeur assassine: ce qui est à vérifier... Est-ce donc là l’adieu aux armes du Hezbollah?
C’est que l’affaire a été vraisemblablement montée de toutes pièces2. Les représailles du Hezbollah aussi bien que la frappe préventive d’Israël semblent avoir été préalablement scénarisées3. De même, les régisseurs de ce grand-guignol et autres librettistes de l’opéra-comique avaient prévu une fin heureuse de l’épisode, un épisode que nous avions pourtant vécu au bord du gouffre, dimanche dernier. Un happy ending puisque les deux adversaires se sont accordé chacun son autosatisfecit. Une histoire qui finit bien, mais que dire si nous devions très vite déchanter? Car nous ne nous faisons pas d’illusions: la guerre d’attrition reprendra aussitôt de plus belle et s’élargira pour englober des zones de plus en plus larges, jusqu’à atteindre le point de rupture et la déflagration générale, que certains situent au lendemain de l'élection présidentielle américaines.
Foin de la politique de l’endiguement!
Un commentateur qui préfère garder l’anonymat n’a pas hésité à dire que l’accrochage du dimanche 25 août ne constituait que les premières salves d’un conflit sanglant à plusieurs épisodes, maintenant que la question du Liban-Sud a été formellement détachée de la question de Gaza, si tant est que ces deux questions aient jamais été intrinsèquement reliées. Pour l’opinion publique israélienne, le sort des otages reste crucial, mais cette opinion n’hésiterait pas, dans sa majorité, à sacrifier «cent otages qui restent aux mains du Hamas pour assurer la sécurité de dix millions» d’Israéliens. Au bout de plus de dix mois de combat, durant lesquels les forces militaires de l’État hébreu ont perdu leur réputation aussi bien d’invincibilité que de haute moralité, Israël ne peut plus se contenter de revenir à la situation d’avant le 7 octobre4. S’il a détruit les capacités militaires du Hamas, Israël se doit désormais de liquider le stock de missiles, drones et autres engins aériens du Hezbollah. C'en est donc fini de la politique d’endiguement (containement) de la milice pro-iranienne qui consistait à la tenir en respect. Pour le cabinet de guerre israélien, cette politique s’est avérée insuffisante; il lui faut désormais éradiquer ce fléau politico-religieux qui ravage de vastes régions du Liban. Ce qui implique une offensive au-delà de la frontière nord, à présent que la bande de Gaza est ratissée et soi-disant quadrillée comme jamais auparavant.
La rive nord du Litani?

L’échauffourée du dimanche matin n’aura pas fait long feu; les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures. L’État hébreu comme la milice iranienne ont revendiqué la victoire et déclaré haut et fort l’arrêt des opérations. Les Sudistes, ces premières victimes de tout engagement avec Israël, se disent soulagés. Ils peuvent rentrer dans leurs foyers et les élèves dans leurs établissements scolaires. Mais, si cessez-le-feu il y a, ce ne sera qu’un leurre.  Et même un simulacre de retrait des troupes du Hezbollah au-delà des rives du Litani ne mettrait pas fin aux affrontements qui reprendront au moindre prétexte.
Elle se poursuivra, la guerre larvée ou de haute intensité! La survie politique de Netanyahou en dépend. L’implacable Premier ministre va se retourner contre le Liban et poursuivre sa politique de terre brûlée, quitte à entraîner les États-Unis dans un choc frontal avec l’Iran5. Notre pays et sa capitale vont crouler sous les bombardements: ce sera en grande partie la rançon de l’aventurisme du Hezbollah et des crises qu’il suscite pour se maintenir au pouvoir.
Qui vivra verra! Et là, difficile d’imaginer des noctambules à mobylette exprimer leur triomphalisme dans les dédales de la banlieue sud!
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1.« Nasrallah : Riposte accomplie? », ICI Beyrouth, 25 août 2024.
2.Rien ne pouvait mieux résumer la situation que cette boutade de mon excellent ami A. C. : « La mise en scène du film Revanches réciproques était parfaite. « 0 » morts ».
3.Jean-Philippe Rémy, « Comment le Hezbollah et Israël se sont affrontés tout en évitant l’embrasement », Le Monde, 26 août 2024.
4.Dahlia Scheindlin, « With the region on the brink of war, Israel must realize there is no going “back to normal”, The Guardian, 27 août 2024.
5.Julian Borger, Quique Kierszenbaum, William Christou, “Netanyahu says attacks on Hezbollah in Lebanon not the end of history”, The Guardian, 25 août 2024.
 
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