©(Photo Ludovic MARIN / AFP)
L’année 2024 est une année électorale dans le monde entier, avec plus d’une trentaine de scrutins présidentiels et une vingtaine d’élections parlementaires au programme. Plus de la moitié de la population mondiale devrait se sentir directement concernée, ce qui n’est pas hélas le cas. L’encadrement de ces scrutins par les autorités dans de nombreux pays explique des taux d’abstention très importants, comme ce sera probablement le cas ce samedi en Algérie, où se tient une élection présidentielle.
En Afrique, l’élection présidentielle sénégalaise a créé la surprise, et celle du Ghana, prévue pour décembre prochain, pourrait produire un effet similaire. En revanche, les élections présidentielles au Rwanda et en Tunisie cet automne, ainsi qu'en Mauritanie au printemps dernier et en Algérie, aujourd'hui, samedi, ressemblent davantage à des rituels où les présidents sortants se représentent avec l’assurance d’être réélus.
Ces élections peuvent-elles être considérées comme des simulacres démocratiques ? Sans doute, si l’on se base sur les critères occidentaux d’un régime représentatif qui garantit la liberté d’expression et le libre arbitre des partis politiques. Toutefois, de nombreux pays, dont l’Algérie, qui autorise le multipartisme depuis 1989, ne sont plus des dictatures à la manière de la Corée du Nord, même s’ils n’ont pas encore atteint le statut de régimes démocratiques.
On a baptisé cette zone grise de «démocrature», un régime politique qui, tout en respectant les règles formelles de la démocratie, notamment en matière d’élections, restreint les libertés publiques. Pourtant, ces scrutins ont un impact sur le fonctionnement des régimes, qui sont contraints de faire publiquement le bilan de leur action et de se projeter vers l’avenir.
Première conséquence, les pouvoirs en place doivent envisager les nouvelles configurations qui se produiront à l’intérieur des systèmes politiques et négocier les postes, comme cela se pratique en France ou au Royaume-Uni. Deuxième contrainte, les opposants doivent évaluer leurs forces et mesurer leur capacité de résistance, bien que celle-ci soit souvent entravée par des détentions arbitraires. Troisième conséquence, la communauté internationale est amenée à porter un jugement sur le fonctionnement des institutions des pays concernés, qui doivent organiser ce moment électoral dans le calme, sans violences ni outrances.
L’art difficile du compromis
La présidentielle algérienne n’occupe pas une grande place à l’échelle internationale. Une campagne électorale orientée, les menaces contre la diaspora et la présence de deux autres candidats qui font de la figuration face au président Tebboune ne favorisent pas une véritable compétition, qui seule pourrait susciter une couverture médiatique significative.
Le système politique en Algérie a été forgé dès l’indépendance en 1962, sous la férule d’une «armée des frontières» toute puissante. L’institution militaire cautionne les candidats qui incarnent la façade civile du régime; les leviers d’intervention de la classe politique restent sous haute surveillance, à l’exception notable du président Bouteflika, qui a su équilibrer les forces avec les militaires.
La presse internationale souligne que cette élection se déroule dans un climat particulièrement instable. Le président Tebboune a œuvré depuis cinq ans pour stabiliser le régime après la mort inexpliquée de son protecteur, l’ex-chef d’État-major Gaïd Salah, en décembre 2019. Avec une certaine habileté, le président algérien a négocié des compromis successifs avec l’institution militaire. Cependant, les purges permanentes au sein de l’armée et des services de sécurité fragilisent le régime au moment où il est menacé d’isolement sur le plan international, lâché par Paris et en conflit avec la Russie.
«L’armée, avait proclamé le président Boumediene, est la colonne vertébrale du pays.» Les plus anciens à Mondafrique se souviennent d’une discussion entre un groupe d’Algériens et des journalistes européens à Rome, aux marges de la réunion de San Egidio en 1995, où Abdelhamid Mehri, alors secrétaire général du FLN, décrivait le pouvoir effectif: «Depuis janvier 1992, l’armée n’acceptera aucune élection qui échapperait à son contrôle.» La prophétie autoréalisatrice de l’ancien ministre du GPRA est plus qu’une simple vision objective. L’emprise du haut commandement de l’armée sur le politique est une constante, qui, à force de se répéter, est devenue un postulat accepté de tous.
«Un système militaro-politique»
Le système «militaro-politique» qu’Emmanuel Macron a dénoncé lors d’un déjeuner de presse à l’Élysée, furieux de voir l’Algérie mener sa propre politique au Mali, est une réalité. Encore faut-il en décrypter les racines, qui plongent dans la guerre d’indépendance, ainsi que le fonctionnement plus sophistiqué qu’il n’y paraît.
Le Haut conseil de sécurité (HCS), regroupant le haut commandement, les chefs des services de sécurité et le président Tebboune, est le cœur du pouvoir. Ce HCS a été convoqué plus souvent durant le mandat de Tebboune que depuis l’indépendance du pays. C’est lors de ces conclaves que des décisions stratégiques ont été prises, comme la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc, suivie de la fermeture de l’espace aérien civil aux avions marocains. C’est également lors d’une réunion de cette même structure que la crise diplomatique avec l’Espagne a été déclenchée.
Le second mandat du président Tebboune n’a été validé par le haut commandement que sous la condition que ce dernier puisse exercer le droit d'intervenir sur l’ensemble de l’administration, ce qui lui est accordé plus que jamais. Selon un texte récent, les militaires encore actifs peuvent désormais être détachés pour occuper des fonctions civiles au sein des grandes entreprises nationales ou des collectivités territoriales.
La cohabitation qui s’annonce entre la présidence et l’armée demeure un gage de stabilité. Cependant, cela reste sous réserve que le peuple algérien, le grand oublié depuis les mobilisations du Hirak, reste passif face à un partage du pouvoir figé entre la présidence, l’armée et les services secrets.
Par Nicolas Beau, MONDAFRIQUE
En Afrique, l’élection présidentielle sénégalaise a créé la surprise, et celle du Ghana, prévue pour décembre prochain, pourrait produire un effet similaire. En revanche, les élections présidentielles au Rwanda et en Tunisie cet automne, ainsi qu'en Mauritanie au printemps dernier et en Algérie, aujourd'hui, samedi, ressemblent davantage à des rituels où les présidents sortants se représentent avec l’assurance d’être réélus.
Ces élections peuvent-elles être considérées comme des simulacres démocratiques ? Sans doute, si l’on se base sur les critères occidentaux d’un régime représentatif qui garantit la liberté d’expression et le libre arbitre des partis politiques. Toutefois, de nombreux pays, dont l’Algérie, qui autorise le multipartisme depuis 1989, ne sont plus des dictatures à la manière de la Corée du Nord, même s’ils n’ont pas encore atteint le statut de régimes démocratiques.
On a baptisé cette zone grise de «démocrature», un régime politique qui, tout en respectant les règles formelles de la démocratie, notamment en matière d’élections, restreint les libertés publiques. Pourtant, ces scrutins ont un impact sur le fonctionnement des régimes, qui sont contraints de faire publiquement le bilan de leur action et de se projeter vers l’avenir.
Première conséquence, les pouvoirs en place doivent envisager les nouvelles configurations qui se produiront à l’intérieur des systèmes politiques et négocier les postes, comme cela se pratique en France ou au Royaume-Uni. Deuxième contrainte, les opposants doivent évaluer leurs forces et mesurer leur capacité de résistance, bien que celle-ci soit souvent entravée par des détentions arbitraires. Troisième conséquence, la communauté internationale est amenée à porter un jugement sur le fonctionnement des institutions des pays concernés, qui doivent organiser ce moment électoral dans le calme, sans violences ni outrances.
L’art difficile du compromis
La présidentielle algérienne n’occupe pas une grande place à l’échelle internationale. Une campagne électorale orientée, les menaces contre la diaspora et la présence de deux autres candidats qui font de la figuration face au président Tebboune ne favorisent pas une véritable compétition, qui seule pourrait susciter une couverture médiatique significative.
Le système politique en Algérie a été forgé dès l’indépendance en 1962, sous la férule d’une «armée des frontières» toute puissante. L’institution militaire cautionne les candidats qui incarnent la façade civile du régime; les leviers d’intervention de la classe politique restent sous haute surveillance, à l’exception notable du président Bouteflika, qui a su équilibrer les forces avec les militaires.
La presse internationale souligne que cette élection se déroule dans un climat particulièrement instable. Le président Tebboune a œuvré depuis cinq ans pour stabiliser le régime après la mort inexpliquée de son protecteur, l’ex-chef d’État-major Gaïd Salah, en décembre 2019. Avec une certaine habileté, le président algérien a négocié des compromis successifs avec l’institution militaire. Cependant, les purges permanentes au sein de l’armée et des services de sécurité fragilisent le régime au moment où il est menacé d’isolement sur le plan international, lâché par Paris et en conflit avec la Russie.
«L’armée, avait proclamé le président Boumediene, est la colonne vertébrale du pays.» Les plus anciens à Mondafrique se souviennent d’une discussion entre un groupe d’Algériens et des journalistes européens à Rome, aux marges de la réunion de San Egidio en 1995, où Abdelhamid Mehri, alors secrétaire général du FLN, décrivait le pouvoir effectif: «Depuis janvier 1992, l’armée n’acceptera aucune élection qui échapperait à son contrôle.» La prophétie autoréalisatrice de l’ancien ministre du GPRA est plus qu’une simple vision objective. L’emprise du haut commandement de l’armée sur le politique est une constante, qui, à force de se répéter, est devenue un postulat accepté de tous.
«Un système militaro-politique»
Le système «militaro-politique» qu’Emmanuel Macron a dénoncé lors d’un déjeuner de presse à l’Élysée, furieux de voir l’Algérie mener sa propre politique au Mali, est une réalité. Encore faut-il en décrypter les racines, qui plongent dans la guerre d’indépendance, ainsi que le fonctionnement plus sophistiqué qu’il n’y paraît.
Le Haut conseil de sécurité (HCS), regroupant le haut commandement, les chefs des services de sécurité et le président Tebboune, est le cœur du pouvoir. Ce HCS a été convoqué plus souvent durant le mandat de Tebboune que depuis l’indépendance du pays. C’est lors de ces conclaves que des décisions stratégiques ont été prises, comme la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc, suivie de la fermeture de l’espace aérien civil aux avions marocains. C’est également lors d’une réunion de cette même structure que la crise diplomatique avec l’Espagne a été déclenchée.
Le second mandat du président Tebboune n’a été validé par le haut commandement que sous la condition que ce dernier puisse exercer le droit d'intervenir sur l’ensemble de l’administration, ce qui lui est accordé plus que jamais. Selon un texte récent, les militaires encore actifs peuvent désormais être détachés pour occuper des fonctions civiles au sein des grandes entreprises nationales ou des collectivités territoriales.
La cohabitation qui s’annonce entre la présidence et l’armée demeure un gage de stabilité. Cependant, cela reste sous réserve que le peuple algérien, le grand oublié depuis les mobilisations du Hirak, reste passif face à un partage du pouvoir figé entre la présidence, l’armée et les services secrets.
Par Nicolas Beau, MONDAFRIQUE
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