Almodovar, Lindon et Kidman: l’audace et le cinéma d’auteur récompensés à Venise

 
Le palmarès de la 81e Mostra de Venise a couronné Pedro Almodovar, récompensé les interprétations intenses de Vincent Lindon et Nicole Kidman, et mis à l'honneur des actrices de plus de 50 ans, prouvant que le talent n'a pas d'âge. Retour sur une édition célébrant le cinéma d'auteur et l’audace.
Pedro Almodovar enfin sacré avec le Lion d'or pour The Room Next Door
Le réalisateur espagnol Pedro Almodovar, 74 ans, a reçu le Lion d'or du meilleur film pour The Room Next Door, son premier long-métrage en langue anglaise. Cette histoire crépusculaire de suicide assisté met en scène les stars américaines Tilda Swinton et Julianne Moore. Le film retrace les derniers jours de Martha (Tilda Swinton), ancienne reporter de guerre solitaire atteinte d'un cancer en phase terminale. Refusant un nouveau traitement lourd, elle décide de mettre fin à ses jours avec l'aide de son amie romancière Ingrid (Julianne Moore).
Tourner aux États-Unis, en anglais, était un rêve de longue date pour Almodovar. Après quelques projets infructueux à Hollywood, il a choisi de situer son film dans l'État de New York, la ville qui lui a ouvert les portes des États-Unis dans les années 1980. Il retrouve son fidèle compositeur Alberto Iglesias pour la bande originale et collabore avec de grandes maisons de couture pour les tenues des actrices, marque de fabrique de son cinéma flamboyant.
Très almodovarien dans son sujet, The Room Next Door s’écarte néanmoins des comédies kitsch des débuts ou des sommets d’émotion de Tout sur ma mère. De plus en plus hanté par le déclin physique et la mort, Almodovar signe un mélo avec des échappées politico-sociales, dressant un parallèle entre fin de vie et catastrophe climatique. «Dire adieu à ce monde proprement et dignement est un droit fondamental», a-t-il plaidé en recevant son Lion d’or, réparant l’injustice d’une carrière immense, jamais récompensée jusqu’alors par un grand prix en compétition.
Pedro Almodovar et Isabelle Huppert - Crédit photo: Alberto Pizzoli/AFP
Vincent Lindon et Nicole Kidman, meilleurs acteur et actrice
La Mostra a aussi distingué deux icônes, du cinéma français et hollywoodien: Vincent Lindon et Nicole Kidman. À 65 ans, Lindon est sacré meilleur acteur pour Jouer avec le feu, où il incarne un père confronté à la dérive de son fils vers l’extrême droite violente. Un rôle entre intime, social et politique qui sied à merveille à ce visage de la colère et de la fragilité masculine. «Très rare et très chic» qu’un jury présidé par une Française (Isabelle Huppert) couronne un compatriote, s’est amusé Lindon.
L’acteur, révélé dans 37°2 le matin de Beineix en 1985, a construit une carrière éclectique, alternant films grand public et cinéma d’auteur engagé, notamment avec son complice Stéphane Brizé (La Loi du marché, En Guerre). Un parcours mêlant films musicaux (Quelques jours avec moi de Sautet), romance (L’irrésolu avec son ex-épouse Sandrine Kiberlain), comédie (La crise de Serreau) et drame social (Toutes nos envies de Lioret).
Nicole Kidman, 57 ans, a été récompensée pour son audace dans Babygirl, sulfureux thriller post-MeToo. L’actrice s’expose comme jamais dans la peau d’une patronne de la tech nouant une relation SM avec un jeune stagiaire. Un rôle cru (scènes nue, à quatre pattes, de soumission) qui bouscule son image glamour et le politiquement correct. Tourné dans un climat de constante collaboration, le film a permis à Kidman d’être «plus audacieuse avec son corps que jamais». Une prise de risque saluée qui répare, en creux, la façon dont Sharon Stone fut dépossédée du sien dans Basic Instinct en 1992.
Arrivée à Venise le dimanche pour recevoir son prix, Nicole Kidman a appris peu après le décès de sa mère Janelle, 84 ans. Sous le choc, elle a dû quitter précipitamment le festival, ne pouvant pas prendre elle-même sa récompense. C’est la réalisatrice de Babygirl, Halina Reijn, qui a accepté le prix en son nom et lu son message empreint d’émotion. Très proche de sa mère qui l’a profondément influencée, Nicole Kidman a été dévastée par cette triste nouvelle en plein cœur de ce moment de consécration.
Maura Delpero - Crédit photo: Alberto Pizzoli/AFP
Des actrices quinquas et plus au sommet

Au-delà de Kidman et Swinton, cette Mostra aura consacré le retour en force des actrices de plus de 50 ans. En maîtresse de cérémonie, Isabelle Huppert, 71 ans, qui fut aussi à l’affiche cet été. Sigourney Weaver, 74 ans, a reçu un Lion d’or d’honneur pour une carrière loin d’être finie. Angelina Jolie, 49 ans, a ébloui en Maria Callas. Monica Bellucci, 59 ans, et Winona Ryder, 52 ans, ont accompagné Tim Burton pour Beetlejuice 2.
Autant de rôles ambitieux qui rompent avec l’éviction traditionnelle des actrices passé 40 ans. Le plus symptomatique fut celui de Kidman dans Babygirl, thriller érotique largement commenté et primé où elle s’abandonne à ses désirs avec un employé, au risque de se perdre. Une audace inconcevable il y a 30 ans, favorisée par une réalisatrice et une coordinatrice d’intimité soucieuses de la filmer sans la trahir.
Cette présence en force d’actrices de plus de 50 ans marque un tournant dans une industrie qui peine encore à offrir des rôles importants aux femmes d’âge mûr. La Mostra prouve qu’il est possible et souhaitable d’écrire pour elles des personnages complexes, nuancés, loin des clichés sur la ménopause ou le «vieillir gracieusement». Un signal fort pour faire évoluer les mentalités.
Murilo Hauser et Heitor Lorega - Crédit photo: Alberto Pizzoli/AFP
Autres films et cinéastes distingués
L’Italienne Maura Delpero remporte le Grand Prix du jury pour Vermiglio, et le Britannique Brady Corbet le Prix de la mise en scène pour The Brutalist, portrait d’un architecte rescapé de la Shoah, avec Adrien Brody.
Le duo brésilien Murilo Hauser et Heitor Lorega est primé pour le scénario de I’m Still Here, de Walter Salles. Dea Kulumbegashvili décroche le Prix spécial du jury avec April, coproduction franco-italo-géorgienne.
Enfin, le Français Paul Kircher, en vue ces derniers mois, est sacré meilleur espoir pour Et leurs enfants après eux, adapté du roman de Nicolas Mathieu. À seulement 22 ans, il incarne avec une maturité bouleversante un jeune homme déchiré entre deux mondes, confirmant les espoirs placés en lui après Le Lycéen de Christophe Honoré.
Des grands noms sont en revanche repartis bredouilles, comme Wes Anderson et Asteroid City, Yorgos Lanthimos et Poor Things, ou Joker: Folie à Deux avec Joaquin Phoenix et Lady Gaga – preuve que la compétition fut relevée et le jury peu sensible aux paillettes.
Paul Kircher - Crédit photo: Alberto Pizzoli/AFP
Au final, la Mostra 2024 aura savamment mêlé consécration de monuments (Almodovar, Lindon, Kidman), révélations (Kircher, Corbet) et prises de risques (les rôles de quinquas assumés, le retour tonitruant d’Almodovar).
Elle répare des injustices (le Lion d’or si attendu d’Almodovar, les actrices de plus de 50 ans trop longtemps invisibilisées), ouvre de nouvelles voies (Almodovar tournant en anglais, Kidman s’émancipant radicalement de son image) et récompense une forme d’audace tranquille, qu’incarne idéalement Lindon.
Loin des blockbusters, elle célèbre un cinéma d’auteur mu par des partis pris forts, porté par des interprètes qui osent sortir de leur zone de confort. Une vision artistique ambitieuse et ouverte, portée par un jury exigeant présidé par Isabelle Huppert. De quoi tracer une voie stimulante pour le cinéma d’auteur international.
Isabelle Huppert - Crédit photo: Alberto Pizzoli/AFP
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