Et maintenant Sudistes, où comptez-vous aller?


Oui, qu’allez-vous faire, maintenant que le nombre de vos déplacés dépasse les cent mille? Rentrer dans vos foyers, regagner vos pénates sur le conseil du Sayyed Hassan Nasrallah? Chausser le cothurne de la tragi-comédie qui n’a été écrite que pour vous embourber dans les marais de la «grande querelle» du Proche-Orient! Quand je pense que la première République, celle du «maronitisme politique» triomphant, n’avait d’autre souci que de vous épargner, ainsi qu’aux autres Libanais, le sort des Palestiniens que fut la dispersion (al-chatat)! Elle a cherché à le faire en naviguant au mieux dans les eaux démontées du nationalisme verbal et de la surenchère outrancière qu’attisait le conflit avec Israël. Le Liban d’avant la mainmise syrienne était accusé de se distancier de ses frères arabes et de se désolidariser de leurs causes. Il est vrai que notre pays était sur la réserve quant à l’aventurisme passionnel et irréfléchi des politiques postcoloniales du Moyen-Orient. Politiques prônées par les dirigeants du Caire, de Damas, de Bagdad, de Tripoli et soutenues d’ailleurs par les foules chauffées à blanc et ânonnant des slogans répétitifs et creux.

Présentement…
Sudistes, mes compatriotes, on vous a dit, il y a une semaine, que l’affrontement avec l’État hébreu s’est achevé par un match nul, que l’honneur était sauf et que l’ennemi a reçu une telle raclée qu'on ne l’y reprendra plus. Vos réjouissances s’étaient traduites par un défilé de la victoire sur mobylettes et autres bécanes motorisées. Vos klaxons ont salué l’orateur inspiré dont la parole oraculaire vous trace depuis des décennies la voie du jihad.
Mais est-ce là une fatalité marquée du sceau de l’irrémédiable? N’allez-vous pas, un jour donné de l’histoire de Jabal Amel, récuser le Big brother qui réfléchit pour vous et qui prend les décisions à votre place? Et, qui plus est, se sert de vous comme de boucliers humains. Car, que dire de ceux qui, à la moindre pause dans les combats, vous exhortent à regagner vos foyers où les bombes au phosphore font des ravages? N’est-ce pas vous dépêcher à l’abattoir? Alors maintenant, n’allez-vous pas faire preuve de toupet et refuser le sort des moutons de Panurge?
Le Hezbollah, a-t-il prêté main-forte au Hamas?
Et puis, c’est à se demander qu’a fait le Hezbollah pour soutenir la cause palestinienne? Plus précisément, quelles victoires a-t-il remportées depuis l’an 2000 du tahrir (libération) pour qu’il garde ses armes et pour que les souffrances du Sud libanais soient justifiées? La question a d’autant plus d’acuité que cette milice pro-iranienne vient de transférer ses arsenaux et ses dépôts de munitions au nord du fleuve Litani. Ce retrait d’armes létales pourrait s’expliquer comme une manœuvre pour apaiser Israël et éviter l’escalade. Ou alors pour mettre ses outils de destruction à l’abri. Ou encore pour les éloigner des zones résidentielles où ledit Hezb avait l’habitude de les stocker au mépris des conventions internationales. C’est dire combien le sort des civils lui importe!
À part jouer à la roulette russe avec sa propre communauté, la politiste Dahlia Scheindlin s’est demandé quels services le Hezbollah a rendus à la lutte pour la «reconnaissance» revendiquée par le Hamas et initiée en leur temps par le Fatah et l’OLP(1). Et, pour preuve, le Hezb n’a pas répondu à l’appel de ses frères d’armes et n’est pas entré dans la fournaise déclenchée le 7 octobre. Ou si peu: permettre à de petites unités relevant de Yahya Sinwar d’ouvrir le feu, à partir des zones du Sud avec des lance-roquettes, peut tout au plus être considéré comme une diversion, mais, en tout état de cause, ne fait pas sérieux. Certes, le cynisme de la milice chiite dépasse de loin celui du Baas au pouvoir à Damas: ce dernier, tout en écrasant l’OLP en Syrie comme au Liban, se présentait comme le héros de la nation arabe. Et, de fait, il se contentait de commanditer, en les confiant à certaines factions palestiniennes minoritaires réputées à sa solde, certaines basses besognes, comme perpétrer des attentats, pour s’assurer une voix au chapitre.
La question posée par Dahlia Scheindlin est pertinente. Elle reprend mot pour mot les diatribes de cheikh Sobhi al-Toufayli(2), un des fondateurs et ancien secrétaire général du Hezbollah. Ce dernier n’arrête pas de fulminer et d’accuser l’ayatollah Khamenei de lâcheté. Sur les réseaux sociaux, il a demandé à savoir ce qui retenait le Hezb d’intervenir sans arrière-pensée et tout de go dans la mêlée, alors que les Gazaouis se font trucider de manière systématique. Rappelons que le 13 octobre, quelques jours après le déclenchement des hostilités, ce cheikh rebelle avait interpellé le Guide suprême iranien en ces termes: «Khamenei, pour qui et pourquoi avez-vous entassé toutes ces armes au Liban? N’étaient-elles pas censées appuyer les Palestiniens dans leur juste combat pour leur libération?» Et, en dignitaire religieux irascible, de poursuivre: «Et pourtant, Khamenei, vous n’aviez pas hésité à utiliser ces armes pour détruire la Syrie où vous aviez envoyé la fleur de notre jeunesse soutenir l’autocrate Bachar al-Assad»(3).
Qu’une digression…

Mouvement d’indignation en Israël aussitôt parvenue la nouvelle de l’exécution de six otages par leurs geôliers du Hamas! Une grève générale s’est ensuivie, à laquelle a participé le Histadrout, principale confédération syndicale, avec pour mot d’ordre: «Ils ont été abandonnés à la mort. Bloquons le pays»(4). C’est dire que le mouvement enclenché peut renverser Netanyahou dont l’intransigeance est tenue pour responsable de la mise à mort de six personnes.
Qu’en est-il de nos concitoyens sudistes, fugitifs et éparpillés en maintes zones du pays? Sont-ils assez nombreux pour faire entendre raison à Nasrallah et mitiger un bellicisme qui s’est avéré infructueux pour ce qui est des Palestiniens et coûteux pour ce qui est des Libanais? Il faut croire que le nombre de 100.000 déplacés ne fait pas le poids. C’est à partir de 500.000 et même de 700.000 personnes jetées sur les routes que l’on pourra sérieusement faire pression sur le Hezb. Ainsi, pour infléchir la politique de Nasrallah, il faut s’attendre à l’évacuation en catastrophe de Bint Jbeil et de Tyr.
Je parle de 700.000 personnes, au bas mot. Qui dit mieux?  
Youssef Mouawad

  1. Dahlia Scheindlin, «What has Hezbollah ever done for Palestine?», Haaretz, 27 août 2024.

  2. Online Platforms - «Al-Tufayli on You Tube», 13 octobre 2023.

  3. Ibid.

  4. Guillaume de Dieuleveult, «Ils ont été abandonnés à la mort. Bloquons le pays. Le décès de six otages provoque une vague de colère en Israël», Le Figaro, 1ᵉʳ septembre 2024.

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