Qu’ils mangent de la brioche!

 
Une célèbre phrase (faussement) attribuée à Marie-Antoinette, quand on lui annonçait que les Parisiens n’avaient plus de pain sous la Révolution française.
Qu’ils mangent de la brioche! Voilà ce que les militaires à la retraite ont l’impression d’entendre depuis des années. Mardi, anciens officiers et soldats ont une nouvelle fois manifesté pour réclamer une parcelle de dignité perdue. En déambulant parmi les protestataires, l’on pouvait ressentir un mélange de colère et de honte parmi ces hommes. Leurs revendications sont justes. Cela fait longtemps que l’armée libanaise est la seule institution respectable. Son chef, le général Joseph Aoun, fait tout ce qu’il peut pour maintenir une vie décente pour ses hommes, en sollicitant l’aide de pays amis. Parce que ces militaires à la retraite ont dédié leurs vies à protéger, aider et rassurer une population maltraitée par ses dirigeants. Leur récompense, se retrouver dans les rues, à quémander un minimum vital.

Il est rare dans l’histoire d’un pays qu’un mouvement de protestation dure aussi longtemps. En vain. Les gouvernants n’ont cure des souffrances de ces hommes.
Mais, contrairement à d’autres, les anciens militaires restent soudés et mobilisés. D’ailleurs, le terme «anciens militaires» est inapproprié. Quand on entre dans l’armée libanaise, on reste soldat ou officier toute sa vie. Un ancien général est décédé il y a quelques mois. Son armée, il l’avait dans le sang. Même longtemps après son départ à la retraite, il disait: «Nous, les soldats», «chez nous à l’armée». Il racontait ses camarades de promotion, leur fraternité, leur affection mutuelle. Il réunissait ses enfants et petits-enfants pour leur inculquer le sens de l’honneur, de l’honnêteté, de la probité. Le sens du devoir également. En rajoutant, à chaque fois, qu’il avait appris cela en servant son pays, le Liban, et que ces valeurs sont celles de l’armée libanaise.
Il leur racontait aussi «sa» guerre. Comment il était vain de s’entretuer. Il expliquait que, durant sa vie active, il prenait soin de ses soldats. Et peu importe leur confession, ils portaient tous le même uniforme. Ce général vénérait De Gaulle. Il se lamentait souvent de l’absence d’un Libanais providentiel de sa trempe. Il parlait trois langues et faisait tous les jours du sport, en ayant une hygiène de vie irréprochable. Et quand on lui demandait pourquoi il ne se laissait pas aller à son âge, il répondait «walaw», je suis un soldat, j’ai appris à me respecter dans l’armée.
Vers la fin de sa vie, il s’est retrouvé en soins intensifs durant près de deux mois sans bouger. Un jeune homme proche de lui est un jour entré dans sa chambre d’hôpital, s’est mis au garde-à-vous et lui a dit: «Mes respects, mon général.» Le vieil officier a alors bougé son bras pour la première fois depuis des semaines et lui a rendu un salut militaire sans dire un seul mot. C’était son dernier geste. Il est mort trois heures après. En soldat. Ce général était mon père, il s’appelait Elias Saikali. Il aurait voulu que je termine ce papier par «bas les pattes, ne faites pas de mal aux soldats, respectez-les, vive l’armée, vive le Liban». Alors, voilà.
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