Lors des sessions des 14 et 15 décembre 2023, le Parlement a adopté quatorze lois. Le 19 décembre dernier, le Conseil des ministres a décidé de promulguer ces lois par intérim, en l’absence de président de la République.
Par la suite, le Premier ministre sortant, Najib Mikati, a publié onze de ces lois au Journal officiel, mais a refusé d’en publier trois: la loi modifiant certaines dispositions relatives au personnel enseignant des écoles privées et à l’organisation du budget scolaire; celle visant à accorder une aide financière au Fonds de compensation des enseignants des écoles privées; et enfin la loi modifiant les baux pour les lieux non résidentiels. Ce refus a déclenché un vif débat sur la constitutionnalité de la décision de M. Mikati de renvoyer ces lois au Parlement.
Cette démarche a engendré des divisions concernant les prérogatives respectives de la présidence et du gouvernement, soulevant la question de savoir si le chef de l'Exécutif a outrepassé ses attributions présidentielles en refusant de publier les lois.
Certains experts en droit constitutionnel soutiennent que, selon l’article 51 de la Constitution, le président de la République est tenu de promulguer les lois dans les délais prescrits (un mois ou cinq jours pour les lois urgentes) après leur adoption par le Parlement, sans y apporter de modifications.
Quant à l’article 57, il octroie le droit de demander un réexamen des lois une seule fois, et le Parlement doit alors les adopter à nouveau à la majorité absolue.
Si les délais expirent sans promulgation ou demande de réexamen, la loi est automatiquement exécutoire et doit être publiée.
Partant, renvoyer des lois pendant une vacance présidentielle serait contraire à la Constitution et constituerait une violation des prérogatives présidentielles, ces dernières étant exclusivement réservées au Président.
De plus, même si le gouvernement exerce temporairement certaines fonctions présidentielles, il ne peut bloquer le travail du Parlement en renvoyant les lois sous prétexte de l’article 57.
D’un autre côté, certains constitutionnalistes estiment que la situation actuelle est exceptionnelle en raison de la vacance présidentielle et que le gouvernement peut donc exercer certaines prérogatives présidentielles, dont celle de renvoyer des lois. Toutefois, ce pouvoir ne devrait pas revenir au Premier ministre seul, mais à l’ensemble du gouvernement.
Quoi qu’il en soit, la décision de Najib Mikati fin 2023 a suspendu l’application de ces lois, les renvoyant au Parlement pour un second examen et un nouveau vote à la majorité qualifiée.
Nonobstant, il faut savoir que toute personne concernée peut déposer un recours devant le Conseil d’État, à condition que ce dernier ne considère pas la décision comme un acte gouvernemental, auquel cas elle échappera à sa compétence. Si tel est le cas, les lois resteront suspendues et renvoyées au Parlement.
Le refus de M. Mikati de publier la loi a poussé le syndicat des propriétaires à déposer une plainte en janvier 2024 devant le Conseil d’État contre sa décision.
Le 5 avril 2024, le Conseil d’État, présidé par le juge Fadi Elias et composé des juges Karl Irani et Malika Mansour, a émis une ordonnance suspendant l’exécution du décret renvoyant la loi sur les baux non résidentiels au Parlement.
Il faut savoir qu’une telle décision renvoie le jugement final au Conseil d’État, attendu pour la fin septembre 2024, qui tranchera la légalité de la décision du Premier ministre chargé des affaires courantes de suspendre la publication des trois lois.
Ce qui s’applique à la loi sur les baux non résidentiels pourrait également s’appliquer aux lois relatives aux enseignants et au Fonds de compensation.
Sur ce, l'attente reste de mise en ce qui concerne la décision finale, qui sera rendue par le Conseil d'État.
Certains observateurs et experts en droit constitutionnel estiment que la décision du Conseil de suspendre l'exécution de la décision de M. Mikati après la publication pourrait bien être un prélude à une annulation complète de cette décision par le Conseil d'État dans son verdict final, une fois les arguments de fond examinés.
Par ailleurs, le Conseil d’État a souligné, dans son jugement préparatoire, l’absence d’éléments nouveaux, qu’ils soient factuels ou juridiques, justifiant un retour sur sa décision de suspendre l’exécution du décret.
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