Les voies de la diplomatie sont bloquées malgré la réunion annuelle à New York de l'Assemblée générale de l'ONU. Les objectifs de la guerre ont évolué, notamment depuis l’annonce faite par le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, le 17 septembre dernier, concernant l’élargissement du conflit, afin de permettre aux 68.000 habitants du nord d’Israël de retourner chez eux en toute sécurité. La structure du Hamas, très largement affaiblie, fait désormais du front nord, tenu par le Hezbollah, une cible prioritaire.
Alors que les moyens envisagés pour «assurer le retour en toute sécurité des résidents évacués du nord du pays» n’étaient pas alors bien clairs, la stratégie militaire de l’État hébreu semble aujourd'hui entrer dans une nouvelle phase. Le Liban connaîtra-t-il le même sort que celui de la bande de Gaza?
Dans le contexte actuel, une chose est sûre: nous sommes entrés dans une nouvelle phase de la guerre. C’est d’ailleurs ce qu’ont explicitement affirmé tant le Hezbollah que les Israéliens. Au lendemain des explosions, par une attaque à distance, d’appareils de communication appartenant à des membres du Hezbollah les 17 et 18 septembre derniers, le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a déclaré: «Nous entrons dans une nouvelle phase de la guerre. Il avait alors précisé que «le centre de gravité se déplace vers le nord». Même son de cloche du côté de la formation pro-iranienne. Le 22 septembre, soit quatre jours après les déflagrations simultanées ayant fait des dizaines de morts et des milliers de blessés, le secrétaire général adjoint du Hezbollah, Naïm Qassem, se prononçait sur la situation lors des funérailles d'Ibrahim Akil, chef de la force Al-Radwane du Hezbollah, tué le 20 septembre dans une frappe israélienne sur la banlieue sud de Beyrouth. Annonçant une nouvelle phase dans la bataille contre Israël, le numéro deux du mouvement chiite signalait qu’il s’agissait d’une étape dédiée à un «règlement de compte ouvert». Si les deux parties s’alignent sur l’évolution de la guerre, leurs objectifs et stratégies diffèrent.
Israël: tactique, objectifs déclarés et desseins masqués
Si les objectifs officiels d’Israël sont la libération des otages à Gaza, c'est une priorité mise, un temps, au second plan. Aujourd'hui, c’est le retrait du Hezbollah, la destruction de ses armements et de ses infrastructures, et la création d’une zone tampon qui irait du fleuve Litani à la frontière, qui sont des priorités. Ceci afin de permettre le retour des citoyens israéliens en Galilée avant, si possible, le 8 octobre.
Avant d'atteindre cet objectif final, Israël doit passer par le Liban. « Sa stratégie consiste à poursuivre les frappes militaires intensives et à éliminer les cibles prioritaires, c’est-à-dire tous les membres du Hezbollah classés par l’OFAC, l’organisme des sanctions du département d’État », pour « aboutir au désarmement total du Hezbollah au sud du Litani », explique Jean Sébastien Guillaume, expert et consultant en intelligence économique et stratégique et fondateur du cabinet Celtic Intelligence. Cette stratégie « vise à affaiblir non seulement les capacités militaires du Hezbollah, mais aussi son pouvoir politique et civil ».
Cela implique des attaques contre « les infrastructures militaires, de télécommunications et de logistique du Hezbollah, y compris les bases utilisées pour les tirs de roquettes, les tunnels, et ses positions stratégiques en profondeur au Liban, de la banlieue sud de Beyrouth, de la Békaa et du Liban-Sud, mais aussi tous les points de la logistique multimodale mis en place depuis 20 ans ».
Cependant, si l’objectif de la sécurité de la Galilée n'est pas atteint dans les jours qui viennent, une invasion terrestre est largement envisagée par Israël.
En plus de ces frappes, Israël cherche à éliminer les hauts dirigeants du Hezbollah, « notamment les membres du Conseil du Jihad », précise M. Guillaume. Et de fait, cinq membres importants de ce Conseil ont déjà été neutralisés : Fouad Chokr, haut commandant militaire, tué en juillet ; Ibrahim Akil, chef de l’unité d’élite Al-Radwane, tué en septembre ; Ali Karaki, qui a échappé à une frappe le 23 septembre. Le 24 septembre, le chef de l’unité de contrôle des missiles du Hezbollah, Ibrahim Kobeissy, a été tué dans un raid israélien à Ghobeiry, dans la banlieue sud de Beyrouth.
Israël entend cibler également des figures majeures du Hezbollah, dont « son secrétaire général Hassan Nasrallah, Esmail Qaani, le chef de la force Al-Qods, Talal Hamia, responsable des opérations étrangères du Hezbollah, et Hachem Safieddine, le chef du Conseil exécutif du Hezbollah ».
Quid du Hezbollah?
Si Israël semble avoir mis en place les moyens de sa stratégie, le Hezbollah, lui, semble aussi déterminé à poursuivre les combats, «tant qu’un cessez-le-feu n’a pas été décrété à Gaza», comme l’a répété à plusieurs reprises le secrétaire général de la formation, Hassan Nasrallah, depuis le début de la guerre, le 7 octobre 2023.
Mais lorsqu’on sait que plusieurs de ses combattants et hauts cadres ont été éliminés, que son système de communication a été quasi entièrement infiltré, que ses dépôts d’armes et bases militaires sont en train d’être massivement détruits (50% de ses capacités ont été ciblées selon une estimation, lundi, de l'armée israélienne), on se demande si le Hezbollah pourra d’une part maintenir son front de soutien à Gaza et, d’autre part, accomplir les objectifs qu’il s’est fixés.
Ces objectifs sont (selon un discours prononcé par M. Nasrallah, le 19 septembre dernier) ceux de « punir Israël » et « empêcher les habitants du nord d’Israël de rentrer chez eux avant l’arrêt des combats dans la bande de Gaza ».
Une énième guerre par procuration ?
Le conflit entre Israël et le Hezbollah s’inscrit également dans une confrontation plus large entre l’Etat hébreu et l’Iran. Le Hezbollah, soutenu financièrement et militairement par Téhéran, est depuis des décennies un relais d’influence iranienne dans la région, faisant du Liban « le terrain où des puissances extérieures viennent se faire la guerre », déclare M. Guillaume.
« La République islamique privilégie toujours une stratégie de guerre asymétrique », explique-t-il, et « l’Iran cherche à maintenir son influence régionale via des groupes comme le Hezbollah, tout en évitant un affrontement direct avec Israël, dont il est de plus en plus incapable ». D’où le recours à des proxies. Il faut donc s’attendre, selon M. Guillaume à l’arrivée de 40.000 miliciens d’Irak, de Syrie et du Yémen vers le Golan ». Son soutien est cependant compromis par les sanctions internationales et la pression croissante exercée par Israël et ses alliés occidentaux, ainsi que par la crise intérieure qui traverse le pays depuis des années
Pour Israël, si « l’anéantissement » du Hamas et du Hezbollah sont des buts déclarés, l’objectif ultime pourrait être l’Iran. C’est ce que souligne Jean Sébastien Guillaume, en observant les interventions lors du dernier forum qui s’est tenu à Washington, au Conseil israélo-américain (IAC), une organisation américaine de soutien à Israël.
Plusieurs voix s’élèvent, tant en Israël qu’aux États-Unis, pour envisager une stratégie de changement de régime en Iran. Cette stratégie trouve d’ailleurs un écho dans les propos du prince héritier Reza Pahlavi, fils du dernier empereur d’Iran : « Nous devons mettre fin à ce régime, mais sans conflit armé frontal (...) avec un soutien aux populations et un renversement de régime dans les mois qui viennent ».
Reza Pahlavi demande l’appui des Israéliens et des Américains pour une « solution qui viendra du peuple iranien, et non par une guerre ou une intervention étrangère ». Pahlavi a également appelé à « organiser des campagnes et des grèves en Iran, ce qui est le moyen le plus rapide de paralyser ce régime ».
Si la situation continue de dégénérer, le Liban, déjà plongé dans une crise économique et politique pourrait être entraîné dans un conflit encore plus large, alors que la communauté internationale demeure impuissante face à une telle escalade.
Lire aussi
Commentaires