Les avancées technologiques d’Israël ont, durant cette guerre, surpris plus d’un. Après l’affaire des bipeurs et des talkies-walkies appartenant à des membres du Hezbollah, qui ont explosé simultanément par une attaque à distance dans plusieurs régions du Liban, l’assassinat du secrétaire général de la formation pro-iranienne, Hassan Nasrallah, le 27 septembre dernier, a alimenté les spéculations.
Une vidéo largement diffusée sur les réseaux sociaux émet l’hypothèse selon laquelle les avions supersoniques qui survolent la capitale à basse altitude et franchissent le mur du son permettent de géolocaliser leurs cibles. Dans quelle mesure cela est-il vrai et plausible? Quel seuil technologique les Israéliens ont-ils atteint sur le plan militaire?
Retour sur les faits. Le 19 septembre, soit au lendemain de l’attaque aux bipeurs et aux talkies-walkies, le secrétaire général du Hezbollah décide de s’exprimer. Un discours tant attendu, qui s’avérera être son dernier. Il y reconnaît alors la supériorité des Israéliens sur le plan technologique, mais promet des représailles sévères à l’État hébreu. Une promesse qui restera sans lendemain, puisque huit jours plus tard, plusieurs bâtiments s’effondrent en l’espace de quelques secondes à la suite d’une attaque de l’armée de l’air israélienne. Des dizaines de bombes anti-bunker, de 900 kg chacune, sont larguées sur le quartier général du Hezbollah, où se réunissait Hassan Nasrallah avec d’autres hauts responsables de la formation. Alors que les Israéliens parlent de 20 personnes présentes au moment de l’assassinat, les Iraniens démentent cette assertion sans toutefois en préciser le nombre.
Place, depuis, aux supputations qui vont dans tous les sens. Selon des responsables de la défense israélienne cités par le New York Times, «les dirigeants de l'État hébreu savaient depuis des mois où se trouvait Hassan Nasrallah et la décision de le frapper a été prise au cours de [la même] semaine parce qu'ils pensaient qu'ils ne disposaient que d'une courte fenêtre d'opportunité avant que le chef du Hezbollah ne disparaisse dans un autre endroit».
Une thèse que confirme à Ici Beyrouth (IB) un expert militaire, spécialisé en renseignement, lutte contre le terrorisme et contre-espionnage. D’après lui, «le Hezbollah est tellement infiltré que cela ne devrait pas nous étonner». Il ajoute: «Les agents qui travaillent pour le compte de l’État hébreu sont tellement nombreux, qu’ils ont réussi, au fil des ans, à préparer le terrain.» Et de poursuivre: «Les résultats de leurs ‘activités’ sont alors soumis à des logiciels très développés pour une analyse minutieuse de toutes les données recueillies.»
Si l’élément humain constitue un vecteur premier et incontournable pour la collecte d’informations, il n’en demeure pas moins que la technologie a permis aux Israéliens de mener des attaques extrêmement ciblées à large échelle.
Pour revenir à l’hypothèse des avions supersoniques, Garri Khireddine, expert en cybersécurité, considère cette théorie peu plausible, faisant partie de la guerre psychologique que mènent les Israéliens contre le Hezbollah. Pourquoi? Selon lui, «tous les radars dits passifs fonctionnent sur la base d’un seul principe: l’analyse des ondes électromagnétiques». En d’autres termes, le radar émet une onde électromagnétique en direction d’une cible et c’est l’écho qui est réfléchi par la cible elle-même qui permet de la détecter après analyse des ondes. «Ainsi pouvons-nous recueillir des informations sur la position de l’objet, sa distance, sa vitesse et parfois même sa forme», explique l’expert.
Toutefois, dans le cas d’avions supersoniques, «l'utilisation des ondes sonores pour la détection des cibles devient moins pratique», indique M. Khireddine, puisque ces avions «produisent des ondes de choc qui peuvent déformer ou masquer les échos recueillis pour la phase d’analyse, ce qui rend difficile l'utilisation des méthodes traditionnelles». À noter également, selon lui, que la vitesse supérieure de ces engins réduit considérablement le temps dont dispose un système radar pour l’envoi des ondes électromagnétiques, la réception de l’écho, la détection et l’analyse de la cible».
L’hypothèse des avions supersoniques étant donc écartée, pour les raisons susmentionnées, il est probable, selon M. Khireddine que les Israéliens aient «infiltré un appareil appartenant soit à H. Nasrallah lui-même, soit à l'un de ses gardes, pour l’écoute et la géolocalisation». «Ils l’ont d’ailleurs fait avec l’affaire des bipeurs et des talkies-walkies, même si j’estime qu’avoir fait exploser ces objets relève d’une mauvaise décision stratégique puisqu’ils auraient pu continuer à utiliser cette méthode pour davantage de traçabilité», signale l’expert en cybersécurité. «À moins qu’ils n’aient eu pour objectif d’instiller la peur plutôt que d’atteindre un objectif purement militaire», indique-t-il.
Interrogé par Ici Beyrouth, l’auteur de la vidéo sur les avions supersoniques, Guy Cramer, explique: «Ce n'est qu'une spéculation, mais elle est basée sur des années de recherche portant sur la détection des avions.»
Il ajoute: «Dans les années 1980, mon grand-père, Donald L. Hings, qui a inventé le talkie-walkie juste avant la Seconde Guerre mondiale, avait développé un instrument très sensible qui pouvait suivre toutes sortes d'avions à partir de leurs interactions avec l'atmosphère, créant un signal qui s'éloigne de l'avion à un tiers de la vitesse de la lumière.» Après avoir travaillé avec lui entre 1985 et 1991 en tant qu’assistant-chercheur, MM. Hings et Cramer découvrent que, «le 29 avril 1990, l’instrument a détecté et suivi un avion hypersonique». Il s’agissait de la navette spatiale Discovery volant à 25.898 km/h et qui est rentrée dans l'atmosphère près de l'île Midway au-dessus de l'océan Pacifique à une altitude d'environ 122 km de haut. «31 minutes avant l'atterrissage, l'instrument a détecté la rentrée de la navette et l’a suivie jusqu'à l'atterrissage dans la base aérienne Edwards en Californie», poursuit-il. Il affirme, dans ce contexte, que «la distance qui séparait l’instrument qui se trouvait à Vancouver de la navette était de plus de 5.000 km et que l'atterrissage a eu lieu à plus de 1.600 km de distance. Aucun retard apparent du signal n’a été signalé et tout semblait être instantané.» «C’est sur cette base que j’ai élaboré mon hypothèse», conclut-il.
Si le recours à la technologie de pointe constitue un sujet complexe dans le contexte des tensions entre le Hezbollah et Israël, celle-ci se décline sous plusieurs formes. Pour optimiser sa stratégie militaire et minimiser les pertes humaines de son côté, l’État hébreu a recours à plusieurs formes d’intelligence. Selon l’expert militaire spécialisé en renseignement, les Israéliens continuent indubitablement de se pencher sur les «éléments de base», comme le renseignement d'origine électromagnétique, ROEM (signals intelligence ou SIGINT), le renseignement d'origine image, ROIM (imagery intelligence ou IMINT) et le renseignement de sources ouvertes ou Open Source Intelligence (OSINT), mais aussi et surtout sur l’élément humain.
Une technologie militarisée
Pionnier dans le domaine de la défense technologique, l’État hébreu a développé des systèmes sophistiqués de défense, allant du Dôme de fer à des drones avancés. Dans cette dynamique, l’intelligence artificielle (IA) s’est progressivement imposée comme un outil clé dans les opérations militaires israéliennes, notamment contre le Hezbollah. Un des domaines d’application les plus importants est la collecte et l’analyse de renseignements. «En raison de la nature asymétrique du conflit – avec des combattants du Hezbollah souvent mêlés à des civils – il est essentiel pour Israël d’obtenir des informations précises et en temps réel», signale l’expert militaire. «Les systèmes d’intelligence artificielle permettent d’analyser rapidement d’énormes volumes de données provenant de sources variées: images satellites, communications interceptées, vidéos de drones, etc», affirme-t-il.
Selon lui, les algorithmes d’IA sont capables de détecter des schémas et de prédire des comportements, ce qui permet de mieux identifier les cibles ennemies et de réduire les dommages collatéraux.
Drones autonomes et armes de précision
Israël utilise également l’intelligence artificielle pour améliorer l’efficacité de ses systèmes d’armement. «Les drones autonomes et semi-autonomes, par exemple, intègrent des systèmes d’IA pour naviguer, identifier des cibles et même prendre des décisions en temps réel sur l’opportunité d’une frappe. Ces systèmes permettent à Israël de mener des opérations de surveillance ou de frappes sans exposer directement ses soldats à des dangers», note l’expert en cybersécurité, sous couvert d’anonymat.
Souvent dotés d’intelligence artificielle, les drones israéliens sont capables de voler sur de longues distances tout en collectant des renseignements visuels et acoustiques. «Certains peuvent même frapper des cibles spécifiques de manière autonome après avoir identifié un objectif potentiel grâce à l’analyse des données recueillies. Ces technologies permettent d’améliorer la précision des attaques, réduisant ainsi le risque de frapper des cibles civiles, ce qui est crucial dans des zones densément peuplées comme le sud du Liban», explique l’expert.
Le programme Lavender
En avril dernier, le magazine d'information et d'opinion de gauche israélien +972 et le site d'information en hébreu Local Call révèlent l'existence d'un programme d'intelligence artificielle appelé «Lavender» développé et utilisé par les forces israéliennes dans le cadre de leurs opérations de sécurité, de surveillance et de collecte de renseignements. Toutefois, les informations publiques sur ce programme particulier restent limitées et souvent classifiées. «Il n’existe pas de source officielle à ce sujet et la plupart des informations qui concernent ce programme proviennent de sources ouvertes. Aucune confirmation non plus que ce système soit utilisé au Liban», insiste M. Khireddine.
Il explique cependant que le programme Lavender est «un système d'IA développé par l'armée israélienne, conçu pour analyser et traiter de grandes quantités de données afin d'identifier les individus potentiellement affiliés à des groupes militants, tels que le Hamas». Il s'appuie, selon lui, «sur une combinaison de modèles de communication, d'associations et de comportements pour générer un score, déterminant la probabilité qu'une personne soit impliquée dans des activités militantes».
Il est important de noter qu’Israël dispose de plusieurs entités gouvernementales et militaires, comme l’unité d’élite 8200 de l’armée, spécialisée dans le renseignement numérique et les opérations de cybersécurité. C’est dans ce contexte que des programmes comme Lavender émergent, souvent destinés à renforcer les capacités de surveillance, d’analyse des données et d’interception des communications.
«Pour que le système Lavender ou toute solution analytique d'IA soit le plus efficace possible, il doit être alimenté avec le maximum de données possibles», précise M. Khireddine. «Plus les données sont complètes, mieux le système peut établir des corrélations et tirer des conclusions», ajoute-t-il. Il indique, dans ce sens, que «dans des régions de conflit comme Gaza et le Liban, où il existe des réseaux complexes de relations entre des groupes de résistance comme le Hamas et le Hezbollah, le programme pourrait potentiellement bénéficier de recoupements de renseignements au sujet de ces groupes». Ainsi, selon lui, les liens entre les deux organisations de résistance peuvent-ils améliorer la capacité de l’IA à détecter des schémas et à cibler des individus en fonction de tactiques ou d’affiliations communes.
En quoi consiste le programme Lavender? Si l’on ignore beaucoup de choses sur le véritable fonctionnement de ce système, il est «possible d’imaginer qu’il intègre certaines caractéristiques standard des technologies de surveillance israéliennes», comme le note M. Khireddine.
- Surveillance numérique: Lavender pourrait être utilisé pour surveiller les réseaux de communication, collecter des informations à partir de plateformes numériques et intercepter des données sensibles.
- Analyse de données massives: Le programme pourrait exploiter des technologies d’intelligence artificielle et de machine learning pour analyser de grandes quantités de données rapidement, détecter des schémas ou anticiper des menaces potentielles.
- Opérations de cyber-défense: Lavender pourrait inclure des outils de protection des infrastructures numériques israéliennes contre des attaques cybernétiques ou des tentatives d’espionnage.
- Collecte de renseignements en temps réel: Il pourrait faciliter la collecte d’informations en temps réel, fournissant aux forces de sécurité israéliennes une connaissance actualisée des situations sur le terrain.
L’utilisation des différentes formes d’intelligence par Israël dans sa guerre contre le Hezbollah témoigne d’une militarisation croissante des technologies de pointe. Alors que ces technologies permettent une meilleure efficacité sur le terrain et une réduction des pertes humaines, elles posent également des défis en termes de responsabilité et de moralité.
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