Vahan Roumelian: une symphonie picturale
Vahan Roumelian est un de ces artistes dont la présence, l’aura, parle d’elle-même. Dans le nouveau local de la galerie Aramé, sur l’esplanade de Zaitunay Bay, quelque chose d’immatériel semble émaner d'une personne qui a tout du charisme mais aussi du mystère. Vahan Roumelian est né et a passé la majorité de sa vie en Arménie, bien qu’il ait séjourné en Angleterre et en France où il a étudié l’art contemporain dans les années 1990. Aujourd’hui, c’est un artiste reconnu et exposé sur trois continents que nous avons eu l’opportunité de rencontrer.

Memories of the Future

Dès lors que l’on pénètre dans la minuscule galerie, ce qui fait, outre la vue sublime sur la marina, son charme intimiste, on est surplombés par des toiles d’une intensité inhabituelle. Les couleurs arrivent comme des claques, mais de celles qu’on aime bien. Le bleu criant de Wild Vision vous ferait presque cligner des yeux. Chaque toile existe par elle-même, comme la mémoire d’un moment concret, dont on perçoit tour à tour dans les jets de peinture la violence, la frustration, la douceur et l’euphorie. Le fond des œuvres, aplats unis et monochromes, d’un lisse absolu, évoque le calme et la sérénité, dont ressortent d’autant plus agressifs les coups de brosse et de pinceaux. Selon Vahan, «c’est la visualisation plastique, bien que chaotique, de toutes ces mémoires qui permet d’entrevoir et d’envisager le futur».

Un procédé de création dépuratif

«Je me sens comme une femme enceinte, et j’accouche de chacune de mes œuvres indépendamment» Vahan nous confie adorer la phase créative – l’élaboration – qui lui permet de figer sur la toile la constellation de son esprit, son humeur et ses questionnements. L’artiste arbore une approche très philosophique du processus créatif qui devient le territoire de son expression absolue, de sa liberté sans limite. L’idée de «purge émotionnelle» est évoquée par Vahan, qui nous raconte avoir été un élève très perturbateur dont les professeurs avaient des difficultés à gérer l’effervescence créative. Loin des salles de classes, son atelier est maintenant son bunker comme son havre de paix, et les traces sont visibles sur les murs autant que sur les châssis.



Un génie de l’abstrait aux inspirations diverses


Vahan est à un carrefour d’influences, entre l’art japonais, la calligraphie arabe et l’omniprésence du courant abstrait. Selon la critique d’art Zara Airoumyan, on doit naître abstractionniste, on ne peut pas le devenir; sans doute en écho à Picasso, qui nous invite à «devenir ce que nous sommes». Vahan a donc l’abstrait dans l’âme, et lui-même se dit le pousser à l’extrême, le fouiller dans ses moindres recoins. Ainsi, l’artiste, s’il tient à la spontanéité de l’exécution dans son tracé, son choix des formes et des couleurs, admet une réflexion très poussée sur les connexions associatives entre le réel et le méta-réel, le tout dicté par la culmination de ses émotions transcendantales.

Un rapport privilégié à la musique

L’artiste met en exergue sa relation étroite avec la musique, dans chacun des aspects de sa vie, et particulièrement dans l’élaboration de ses toiles. L’âme de chacune d’elle reflète les émotions de l’artiste au moment de la conception. «Chaque note est une couleur, une texture, une odeur.» Ce propos relève du mouvement de l’hyperréalisme; Vahan se voit comme le chef d’orchestre des pigments de la palette, et par la même occasion de la palette de ses propres sensations. Il entend voir plus loin que les couleurs, que les pinceaux et rouleaux qu’il transforme en trompette et en guitare. «J'essaie de changer le rythme respiratoire de l'art»: l’exposition devient en effet une expérience multi-sensorielle, la symphonie picturale de Vahan Roumelian.

Un état de transe au service de l’expression

La visite est en arménien, avec la traduction du galeriste. Néanmoins, les émotions sont translucides et n’ont pas le temps pour la barrière de la langue. Vahan rit de ses propres explications farfelues, et il nous faut une dizaine de secondes pour le rejoindre. Aucun problème. Des châssis dégoulinent la mémoire et l’énergie de l’artiste, et c’est tout ce qu’on est venus chercher. Durant le vernissage, une courte vidéo, disponible sur le site internet de l’artiste, montre Vahan en plein processus créatif. Il saute frénétiquement au rythme d’une musique, tantôt classique, tantôt psychédélique. L’artiste est vêtu d’une toge et déambule. Il n’a pas l’air d’un moine; et pourtant, il nous décrit un état profond de préméditation cathartique qui a tout du spirituel. Toutefois, même au paroxysme de sa danse folle, Vahan ne laisse pas l’intensité le consumer. Quand il peint il sent que ce n’est plus lui aux commandes: «Il y a une énergie qui me pousse, comme une sorte de transe. Lorsque j’atteins le maximum, l’apogée, c’est l’infinité. Donc il faut que je puisse encore décider où et quand arrêter.» Ce processus témoigne d’une maturité émotionnelle évidente et de la maîtrise parfaite d’une montée créative où «tout est énergie».



Léa Samara
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