Raja Salamé, un détenu politique?
Divers responsables politiques assistent avec agacement aux équipées judiciaires de la procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, dont les poursuites sélectives ciblant exclusivement le secteur bancaire et le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, ont été ouvertement critiquées dimanche par le patriarche maronite, Béchara Raï. Sans citer Mme Aoun, proche du camp présidentiel, le chef de l’Eglise maronite s’est interrogé sur le point de savoir si la lutte engagée par les autorités judiciaires est destinée à combattre la corruption ou les adversaires politiques.

Ce ciblage politique n’échappe à personne et reste l’objet de critiques dans les sphères opposées aux procédures suivies par le camp présidentiel qui, à l’approche de la date des législatives et de la fin du mandat raté du président Michel Aoun, est lancé dans une campagne forcenée contre ses détracteurs et opposants dans une tentative de se renflouer.

A ce sujet, un parlementaire relève que les dossiers conflictuels ou sensibles, ainsi que les projets importants ne sont pas normalement abordés en période électorale, pour éviter justement l’écueil des bras-de-fer politiques et du populisme électoral dans lequel le camp présidentiel entraîne actuellement le pays.

Cet avis est partagé dans des milieux bancaires et juridiques où l’on suit avec effarement une chasse aux sorcières qui menace du pire, d’autant que la rhétorique politique qui accompagne l’ouverture de dossiers contre les banques et le gouverneur de le BDL montre clairement une exploitation politique à des fins électorales.

Pour le CPL qui soutient à fond les équipées de la procureure du Mont-Liban, il s’agit de marquer un point à son actif à la veille de l’échéance électorale de mai. Idem pour le sexennat qui essaie de couvrir son échec par des réalisations fictives, et de répondre ainsi à ses détracteurs en faisant assumer au seul secteur bancaire la responsabilité de l’effondrement dans le pays.

Dans ce contexte, un avocat concerné par le dossier bancaire considère que Raja Salamé, le frère du gouverneur de la BDL, est « un détenu politique », voire « un substitut » à l’arrestation de Riad Salamé que Ghada Aoun n’a pas réussi à atteindre. Le gouverneur de la Banque centrale avait réagi à la campagne le ciblant par une contre-attaque judiciaire. Il avait présenté devant le Parquet de la cour d’appel du Mont-Liban un recours en dessaisissement pour parti pris contre la juge qui refuse jusqu’aujourd’hui d’en être notifiée. Dans l’impossibilité d’atteindre Riad Salamé, la magistrate s’est tournée vers son frère qu’elle a convoqué en tant que témoin avant de délivrer un mandat d’arrêt à son encontre le 17 mars, dans le cadre d’une enquête qu’elle mène à la suite d’une plainte pour enrichissement illicite et blanchiment d’argent contre MM. Salamé. Elle devait dans le même temps fixer une audience pour entendre le gouverneur et accentuer la pression sur les banques, mais le tollé politique contre ses agissements et plus particulièrement la levée de boucliers du Premier ministre Najib Mikati contre « une politisation à outrance de dossiers judiciaires » devait freiner la procédure.


Ghada Aoun a confié le dossier de l’enquête au premier juge d’instruction du Mont-Liban, Nicolas Mansour, qui a ordonné la semaine dernière une remise en liberté sous caution de Raja Salamé. La juge a interjeté appel et l’avocat de Raja Salamé devait également faire appel contre la démarche de Mme Aoun. Le dossier est aujourd’hui devant la chambre de mise en accusation du Mont-Liban à qui revient le mot de la fin.

Cet avocat s’interroge sur le point de savoir si Raja Salamé va être libéré lundi ou si sa caution de 20 millions de dollars, la plus élevée au Liban et une des plus élevées au monde, va être réduite. Il insiste sur le fait que Raja Salamé est un « détenu politique », dans la mesure où son arrestation a, selon lui, servi surtout à adresser un message à Riad Salamé, dont le camp présidentiel veut se débarrasser pour le remplacer par une personnalité qui lui est acquise et permettrait éventuellement à ce même camp, en quête de popularité, d’améliorer son coefficient électoral.

De mêmes sources, on indique que la justice est aujourd’hui devant un test crucial pour sa crédibilité. Le secteur bancaire est depuis 2019 dans la ligne de mire du pouvoir qui, face au gigantesque mouvement de colère populaire du 17 octobre de la même année, a essayé de se dédouaner en s’efforçant d’orienter les accusations populaires de corruption et de mauvaise gestion des affaires publiques vers ce seul secteur, expliquent ces sources. À cette fin, il devait déployer tout un arsenal d’instruments capables d’exaucer ses vœux sur commande, ce qui a pu être constaté parallèlement aux campagnes judiciaires menées par la procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban avec le soutien du Service de sécurité de l’État – un autre organisme proche du camp présidentiel - à travers la prolifération de groupes occultes d’avocats qui ont lancé une cascade de plaintes contre le gouverneur de la BDL et de nombreuses banques, au Liban et à l’étranger.

Quoi qu’il en soit, le juge Jean Tannous, en charge du dossier de la BDL, a reporté celui-ci jusqu’après les législatives, conformément aux vœux du chef du gouvernement qui veut éviter les effets négatifs d’un dossier politisé à outrance sur les négociations en cours avec le Fonds Monétaire International (FMI), ainsi que sur la situation générale dans le pays et dans l’espoir, surtout, d’un retour aux fondements de la justice. Ce qui impliquerait, normalement, la remise en liberté du « détenu politique ».

 
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