Le Conseil des ministres a décidé jeudi de démolir les silos de Beyrouth et chargé le Conseil du développement et de la reconstruction de cette mission. Une décision à laquelle s’opposent les proches des victimes qui considèrent qu’il s’agit d’une «volonté d’effacer la mémoire collective».
Édifiés en 1969 au port de Beyrouth, les silos à grains sont devenus depuis la double explosion du 4 août 2020 un symbole de résistance et de tragédie. Aujourd’hui, ils sont menacés de destruction. Le Conseil des ministres, qui a enchaîné les décisions contradictoires à cet égard, a en fait chargé jeudi le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) de les démolir. Il a également demandé au ministère de la Culture de concevoir un mémorial qui sera édifié à leur place sur le site.
Selon le ministre de l’Information Ziad Makkari, cette décision a été prise sur base d'un rapport du cabinet d’ingénieurs Khatib et Alami, établi à la demande du Conseil des ministres. Le document recommande, selon M. Makkari, leur démolition. «Il a également recommandé la construction de nouveaux silos sur un site différent que celui de l’explosion», explique-t-il à Ici Beyrouth.
Contacté par notre plateforme, Samir Khatib, vice-président exécutif du cabinet en charge d’élaborer le rapport, a fait savoir que «l’édifice est très fissuré et que le document remis au Premier ministre Nagib Mikati comporte une évaluation strictement technique de l’état des silos». «Nous avons conseillé au gouvernement de construire des ponts sur un rayon de 50 mètres pour protéger quiconque fréquente les lieux au cas où les silos – ou une partie de la structure – s’effondrent», avance M. Khatib, soulignant qu’il existe deux possibilités. «Si le gouvernement décide de détruire le bâtiment, nous avons un dossier prêt pour la démarche à prendre. S’il décide de les garder, il faudra accomplir davantage d’investigations sur le site», note-t-il. Ce qui pousse à demander si l’étude technique menée par ce bureau et censée donner lieu à des recommandations bien fondées est assez pertinente.
Le feu vert du gouvernement intervient après deux décisions contradictoires prises en mars dernier comme dans une foire aux enchères. Le 16 mars, le gouvernement avait donné l'ordre de les démolir. Deux jours plus tard, le ministre de la Culture Mohammed Mortada a annoncé vouloir les inscrire sur la liste du patrimoine culturel, ce qui signifiait qu’aucune action ne pouvait être entreprise sur le site sans son accord préalable. Quelques jours plus tard, il faisait machine arrière.
La décision gouvernementale de jeudi a suscité la colère des proches des victimes qui ont organisé le jour-même un sit-in devant la statue de l’Émigré dans le secteur du port en guise de protestation contre la démolition des silos.
Exigence morale et juridique
Or pour de nombreux experts, la préservation des silos de Beyrouth est une exigence morale et juridique. «Le port demeure une scène de crime tant que l’enquête n’a pas abouti et que les faits n’ont pas été révélés aux victimes et à l’opinion publique», affirme à Ici Beyrouth Lynn Maalouf, directrice régionale adjointe à Amnesty International. «Ils ont le droit de connaître les circonstances et les causes de l’explosion. Il s’agit du premier principe de justice, qui dans le cadre de cette affaire n’est pas encore atteint. Le lieu de la scène de l’explosion doit donc être préservé jusqu’à ce que justice soit rendue», dit-elle. Pour la directrice adjointe, le fait de soulever la question de la démolition des silos «s’inscrit dans le cadre d’une tentative intentionnelle d'étouffer les demandes de justice de la part des familles des victimes». Elle estime qu’il est «trop tôt» d’évoquer ce sujet.
Paul Naggear, qui a perdu sa fille Alexandra alors âgée de 3 ans, explique que les familles des victimes cherchent à prouver techniquement que «les silos ne posent pas de problème». «Cet avis est d’ailleurs validé par l’ingénieur qui les a construits», affirme-t-il à Ici Beyrouth. «Les silos qui ont protégé la moitié de la ville ne peuvent pas être dangereux. L’État, qui n’a pas protégé ses citoyens de ce drame dévastateur, essaie maintenant de se présenter comme le garant de leur sécurité. Nous continuerons de coordonner nos efforts avec l’ordre des ingénieurs qui a déjà pris position à cet égard», dit-il.
Même son de cloche du côté de William Noun, frère du pompier Joe Noun, tué dans l’explosion. «Nous avons contacté l’ordre des ingénieurs pour qu’il élabore un rapport à ce sujet, lance-t-il. Au cas où une partie du bâtiment pourrait être dangereuse, une étude sera établie pour renforcer les silos.»
En effet, l’ordre des ingénieurs avait déclaré le 9 mars dernier qu’il rejetait la décision du gouvernement de démolir les silos. En voulant le faire, le gouvernement «détruit l’une des principales traces de la plus grande explosion dont le Liban a souffert, et nous appelons au renforcement du bâtiment, qui représente la mémoire collective de la ville et de ses habitants», a-t-il ajouté dans un communiqué.
Un devoir de mémoire collective
Antoine Courban, professeur d’université et chroniqueur à Ici Beyrouth, estime que «la démolition des silos est un acte aussi violent que l’explosion, car en les détruisant la caste politique cherche à effacer la mémoire des citoyens». «C’est donc un acte violent contre la mémoire collective», insiste-t-il.
Pour M. Naggear, la préservation des silos est d’autant plus importante que ceux-ci «sont devenus une empreinte visuelle ancrée dans l’espace pour servir la mémoire commune des Libanais et pour donner à voir, à tout étranger qui visiterait le pays, l’atrocité de l’explosion advenue au port de la capitale et qualifiée de troisième plus puissante explosion non nucléaire dans le monde».
Les familles des victimes ne comptent pas baisser les bras. Elles menacent de recourir à l’escalade en bloquant les travaux. «Il est inadmissible que le gouvernement ordonne la destruction de cet emblème, alors que la vérité n’a pas encore été tirée au clair et que la justice n’a toujours pas été rendue, martèle Paul Naggear. Nous n’accepterons pas que l’État touche aux silos et qu’il passe l’éponge sur une page dramatique de notre histoire. Ce lieu doit être un mémorial pour ce qui s’est passé afin d'éviter une autre catastrophe de cette ampleur.»
Et William Noun d’insister: «Nous voulons édifier un mémorial au pied de ces silos, sur lequel nous graverons les noms des personnes assassinées ainsi que ceux des blessés. Nous y inscrirons également le nombre des déplacés et, si possible, les circonstances de l’explosion. Le but de l’État est de brouiller la vérité et d’effacer le crime de la mémoire des gens. Nous ne les laisserons pas les détruire. S’ils veulent construire de nouveaux silos, qu’ils le fassent ailleurs.»
Édifiés en 1969 au port de Beyrouth, les silos à grains sont devenus depuis la double explosion du 4 août 2020 un symbole de résistance et de tragédie. Aujourd’hui, ils sont menacés de destruction. Le Conseil des ministres, qui a enchaîné les décisions contradictoires à cet égard, a en fait chargé jeudi le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) de les démolir. Il a également demandé au ministère de la Culture de concevoir un mémorial qui sera édifié à leur place sur le site.
Selon le ministre de l’Information Ziad Makkari, cette décision a été prise sur base d'un rapport du cabinet d’ingénieurs Khatib et Alami, établi à la demande du Conseil des ministres. Le document recommande, selon M. Makkari, leur démolition. «Il a également recommandé la construction de nouveaux silos sur un site différent que celui de l’explosion», explique-t-il à Ici Beyrouth.
Contacté par notre plateforme, Samir Khatib, vice-président exécutif du cabinet en charge d’élaborer le rapport, a fait savoir que «l’édifice est très fissuré et que le document remis au Premier ministre Nagib Mikati comporte une évaluation strictement technique de l’état des silos». «Nous avons conseillé au gouvernement de construire des ponts sur un rayon de 50 mètres pour protéger quiconque fréquente les lieux au cas où les silos – ou une partie de la structure – s’effondrent», avance M. Khatib, soulignant qu’il existe deux possibilités. «Si le gouvernement décide de détruire le bâtiment, nous avons un dossier prêt pour la démarche à prendre. S’il décide de les garder, il faudra accomplir davantage d’investigations sur le site», note-t-il. Ce qui pousse à demander si l’étude technique menée par ce bureau et censée donner lieu à des recommandations bien fondées est assez pertinente.
Le feu vert du gouvernement intervient après deux décisions contradictoires prises en mars dernier comme dans une foire aux enchères. Le 16 mars, le gouvernement avait donné l'ordre de les démolir. Deux jours plus tard, le ministre de la Culture Mohammed Mortada a annoncé vouloir les inscrire sur la liste du patrimoine culturel, ce qui signifiait qu’aucune action ne pouvait être entreprise sur le site sans son accord préalable. Quelques jours plus tard, il faisait machine arrière.
La décision gouvernementale de jeudi a suscité la colère des proches des victimes qui ont organisé le jour-même un sit-in devant la statue de l’Émigré dans le secteur du port en guise de protestation contre la démolition des silos.
Exigence morale et juridique
Or pour de nombreux experts, la préservation des silos de Beyrouth est une exigence morale et juridique. «Le port demeure une scène de crime tant que l’enquête n’a pas abouti et que les faits n’ont pas été révélés aux victimes et à l’opinion publique», affirme à Ici Beyrouth Lynn Maalouf, directrice régionale adjointe à Amnesty International. «Ils ont le droit de connaître les circonstances et les causes de l’explosion. Il s’agit du premier principe de justice, qui dans le cadre de cette affaire n’est pas encore atteint. Le lieu de la scène de l’explosion doit donc être préservé jusqu’à ce que justice soit rendue», dit-elle. Pour la directrice adjointe, le fait de soulever la question de la démolition des silos «s’inscrit dans le cadre d’une tentative intentionnelle d'étouffer les demandes de justice de la part des familles des victimes». Elle estime qu’il est «trop tôt» d’évoquer ce sujet.
Paul Naggear, qui a perdu sa fille Alexandra alors âgée de 3 ans, explique que les familles des victimes cherchent à prouver techniquement que «les silos ne posent pas de problème». «Cet avis est d’ailleurs validé par l’ingénieur qui les a construits», affirme-t-il à Ici Beyrouth. «Les silos qui ont protégé la moitié de la ville ne peuvent pas être dangereux. L’État, qui n’a pas protégé ses citoyens de ce drame dévastateur, essaie maintenant de se présenter comme le garant de leur sécurité. Nous continuerons de coordonner nos efforts avec l’ordre des ingénieurs qui a déjà pris position à cet égard», dit-il.
Même son de cloche du côté de William Noun, frère du pompier Joe Noun, tué dans l’explosion. «Nous avons contacté l’ordre des ingénieurs pour qu’il élabore un rapport à ce sujet, lance-t-il. Au cas où une partie du bâtiment pourrait être dangereuse, une étude sera établie pour renforcer les silos.»
En effet, l’ordre des ingénieurs avait déclaré le 9 mars dernier qu’il rejetait la décision du gouvernement de démolir les silos. En voulant le faire, le gouvernement «détruit l’une des principales traces de la plus grande explosion dont le Liban a souffert, et nous appelons au renforcement du bâtiment, qui représente la mémoire collective de la ville et de ses habitants», a-t-il ajouté dans un communiqué.
Un devoir de mémoire collective
Antoine Courban, professeur d’université et chroniqueur à Ici Beyrouth, estime que «la démolition des silos est un acte aussi violent que l’explosion, car en les détruisant la caste politique cherche à effacer la mémoire des citoyens». «C’est donc un acte violent contre la mémoire collective», insiste-t-il.
Pour M. Naggear, la préservation des silos est d’autant plus importante que ceux-ci «sont devenus une empreinte visuelle ancrée dans l’espace pour servir la mémoire commune des Libanais et pour donner à voir, à tout étranger qui visiterait le pays, l’atrocité de l’explosion advenue au port de la capitale et qualifiée de troisième plus puissante explosion non nucléaire dans le monde».
Les familles des victimes ne comptent pas baisser les bras. Elles menacent de recourir à l’escalade en bloquant les travaux. «Il est inadmissible que le gouvernement ordonne la destruction de cet emblème, alors que la vérité n’a pas encore été tirée au clair et que la justice n’a toujours pas été rendue, martèle Paul Naggear. Nous n’accepterons pas que l’État touche aux silos et qu’il passe l’éponge sur une page dramatique de notre histoire. Ce lieu doit être un mémorial pour ce qui s’est passé afin d'éviter une autre catastrophe de cette ampleur.»
Et William Noun d’insister: «Nous voulons édifier un mémorial au pied de ces silos, sur lequel nous graverons les noms des personnes assassinées ainsi que ceux des blessés. Nous y inscrirons également le nombre des déplacés et, si possible, les circonstances de l’explosion. Le but de l’État est de brouiller la vérité et d’effacer le crime de la mémoire des gens. Nous ne les laisserons pas les détruire. S’ils veulent construire de nouveaux silos, qu’ils le fassent ailleurs.»
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