Le refus du ministre des Finances, Youssef Khalil, de signer un projet de permutations judiciaires, approuvé pourtant par son collègue de la Justice, pose de façon directe une problématique autre que celle du blocage de la justice: celle du respect du principe de la séparation des pouvoirs, fondamental dans un système démocratique.
Les atteintes aux règles démocratiques ne se comptent plus au Liban, mais avec l’initiative inexpliquée de Youssef Khalil (proche du président de la Chambre, Nabih Berry), elles atteignent malheureusement un nouveau sommet et montrent comment tous les secteurs de la vie publique sont sous la coupe directe de quelques forces politiques qui les manipulent en fonction de leurs intérêts.
Une autorité judiciaire s’étonnait récemment de la cabale menée par les autorités et les forces politiques contre le pouvoir judiciaire, visant notamment son indépendance, au moment où celui-ci se trouve presque sous l’emprise des politiques. Alors que des magistrats n’ont aucun problème à se faire l’instrument des forces politiques dont ils sont proches, d’autres essaient encore de résister et de faire barrage à une fragmentation totale du pouvoir judiciaire. De ce fait, la relation des autorités politiques avec les autorités judiciaires s’est tellement dégradée qu’elle est devenue malsaine.
L’échange d’accusations, il y a quelques jours, entre le président Michel Aoun et le député d'Amal Ali Hassan Khalil, au sujet des responsabilités dans les blocages au niveau judiciaire était tout simplement ubuesque.
En réponse à la question d’un journaliste au sujet du blocage des nominations des présidents des chambres près la Cour de cassation, le président Michel Aoun a accusé le tandem Amal-Hezbollah d’en être responsable, critiquant de la sorte indirectement le refus de Youssef Khalil de signer le décret. Le ministre des Finances devait réagir quelques heures plus tard, en justifiant sa décision par des «vices de fond» qu’il n’a pas pour autant détaillés.
Quelques jours plus tard, c’était au tour du député Ali Hassan Khalil de se déchaîner contre le chef de l’État. Il a rejeté ses accusations en lui reprochant de bloquer lui-même la justice, depuis qu’il a refusé en juin 2020 de signer un train de permutations judiciaires élaboré par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
Cet échange d’accusations aurait pu faire rire s’il n’était pas l’illustration même d’un des maux qui frappent le Liban. Parce qu’en fait, presque toutes les parties politiques interviennent grossièrement dans les affaires de la justice, faisant tout pour bloquer son fonctionnement de manière autonome et sur base des seules règles du droit.
En juin 2020, le CSM, présidé par le juge Souheil Abboud qui venait d’être nommé, avait élaboré un train de permutations judiciaires selon des critères rigoureux, établis afin d’être systématiquement adoptés dans des nominations ultérieures. Sa démarche s’était heurtée à une fin de non-recevoir du pouvoir politique. Les ministres de la Justice, Marie-Claude Najm, et de la Défense, Zeina Akar, les avaient d’abord rejetées. Zeina Akar notamment s’y était fermement opposée, répercutant les intérêts des partis politiques dont elle était proche et qui voulaient maintenir certains magistrats à des postes précis. Le CSM n’avait pas lâché l’affaire pour autant et le processus des nominations avait suivi son cours, recueillant les signatures des ministres concernés, ainsi que celle du chef du gouvernement. Il a été bloqué au Palais présidentiel lorsque le chef de l’État avait refusé de le signer.
Le refus de signer les nominations n’a pas été la seule mesure ayant eu une incidence négative sur le système judiciaire. Les agissements de certains magistrats proches du pouvoir sont en cause également. La démission présentée par une juge au chef de l’Etat, parce qu’elle en est proche, pour protester contre des mesures du CSM à son encontre en prétendant qu’elle était ciblée illustre bien ces propos.
Les pressions sur la justice ne se sont pas arrêtées au gel du décret des permutations, puisqu’on sait ce qu'il est advenu de l’enquête menée par le juge d’instruction Tarek Bitar dans l’affaire de l’explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020. Sa procédure a fait l’objet de nombreuses entraves, à force de recours présentés contre lui, à partir du moment où des hommes politiques et des responsables de sécurité proches du tandem Amal-Hezbollah et du chef de l’État ont été mis en cause. Le refus du ministre des Finances de signer le décret de nominations partielles des présidents de la Cour de cassation, sous prétexte «qu’elles comprennent des vices de fond et que leur signature reviendrait à créer un précédent dont le Liban se passerait bien volontiers», s’inscrit dans le prolongement de ces entraves. D’autant qu’on ignore la nature de ces vices de fond et les raisons pour lesquelles ils constitueraient un précédent.
Ce n’est pas tout. Le ministre des Finances n’est sûrement pas l’autorité habilitée à se prononcer sur le fond, surtout lorsque son collègue de la Justice l’a avalisé, souligne-t-on de sources juridiques. À moins que cette signature ne soit devenue un passage obligé devant le tandem chiite après le «filtrage politique». La signature du ministre des Finances est uniquement obligatoire lorsque des charges financières sont en jeu, explique-t-on de sources ministérielles et, à ce moment-là, c’est sur ce point précis qu’il intervient et certainement pas sur «le choix d’ajouter une nouvelle chambre à la Cour de cassation». C’est ce dernier point que Ali Hassan Khalil avait évoqué pour justifier le blocage au niveau du ministre de la Justice.
Or, en bloquant le décret de nominations partielles à la Cour de cassation, le ministre de la Justice empêche celle-ci de compléter sa composition et de pouvoir trancher au sujet des recours présentés contre Tarek Bitar, de peur qu’ils ne soient encore une fois rejetés. Le décret se trouve désormais dans les tiroirs du ministère des Finances pour des vices de fond qui demeurent inconnus, en d’autres termes pour des fins politiques, comme ce fut le cas précédemment pour les nominations judicaires complètes qui se sont retrouvées dans les tiroirs de Baabda.
Selon une source judiciaire, Youssef Khalil doit au moins dévoiler les motivations derrière son refus de signer. Le ministre n'a pas demandé d'éclaircissements au Conseil supérieur de la magistrature. Il n'a pas soumis ses observations à ce dernier non plus, ni posé le problème en Conseil des ministres.
Sans ces nominations, le juge Bitar restera mains et poings liés dans le dossier de l’enquête sur le port de Beyrouth, et la procureure générale près la Cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, ne comparaîtra pas devant le Conseil de discipline à cause des abus dont elle s’est rendue responsable dans le cadre de son acharnement contre le secteur bancaire. Une situation qui arrange tout le monde, dans la sphère politique, mais qui porte un nouveau coup aux Libanais et à la justice.
Plus important encore, elle montre que les composantes du pouvoir en place restent réfractaires à toutes réformes.
Les atteintes aux règles démocratiques ne se comptent plus au Liban, mais avec l’initiative inexpliquée de Youssef Khalil (proche du président de la Chambre, Nabih Berry), elles atteignent malheureusement un nouveau sommet et montrent comment tous les secteurs de la vie publique sont sous la coupe directe de quelques forces politiques qui les manipulent en fonction de leurs intérêts.
Une autorité judiciaire s’étonnait récemment de la cabale menée par les autorités et les forces politiques contre le pouvoir judiciaire, visant notamment son indépendance, au moment où celui-ci se trouve presque sous l’emprise des politiques. Alors que des magistrats n’ont aucun problème à se faire l’instrument des forces politiques dont ils sont proches, d’autres essaient encore de résister et de faire barrage à une fragmentation totale du pouvoir judiciaire. De ce fait, la relation des autorités politiques avec les autorités judiciaires s’est tellement dégradée qu’elle est devenue malsaine.
L’échange d’accusations, il y a quelques jours, entre le président Michel Aoun et le député d'Amal Ali Hassan Khalil, au sujet des responsabilités dans les blocages au niveau judiciaire était tout simplement ubuesque.
En réponse à la question d’un journaliste au sujet du blocage des nominations des présidents des chambres près la Cour de cassation, le président Michel Aoun a accusé le tandem Amal-Hezbollah d’en être responsable, critiquant de la sorte indirectement le refus de Youssef Khalil de signer le décret. Le ministre des Finances devait réagir quelques heures plus tard, en justifiant sa décision par des «vices de fond» qu’il n’a pas pour autant détaillés.
Quelques jours plus tard, c’était au tour du député Ali Hassan Khalil de se déchaîner contre le chef de l’État. Il a rejeté ses accusations en lui reprochant de bloquer lui-même la justice, depuis qu’il a refusé en juin 2020 de signer un train de permutations judiciaires élaboré par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
Cet échange d’accusations aurait pu faire rire s’il n’était pas l’illustration même d’un des maux qui frappent le Liban. Parce qu’en fait, presque toutes les parties politiques interviennent grossièrement dans les affaires de la justice, faisant tout pour bloquer son fonctionnement de manière autonome et sur base des seules règles du droit.
En juin 2020, le CSM, présidé par le juge Souheil Abboud qui venait d’être nommé, avait élaboré un train de permutations judiciaires selon des critères rigoureux, établis afin d’être systématiquement adoptés dans des nominations ultérieures. Sa démarche s’était heurtée à une fin de non-recevoir du pouvoir politique. Les ministres de la Justice, Marie-Claude Najm, et de la Défense, Zeina Akar, les avaient d’abord rejetées. Zeina Akar notamment s’y était fermement opposée, répercutant les intérêts des partis politiques dont elle était proche et qui voulaient maintenir certains magistrats à des postes précis. Le CSM n’avait pas lâché l’affaire pour autant et le processus des nominations avait suivi son cours, recueillant les signatures des ministres concernés, ainsi que celle du chef du gouvernement. Il a été bloqué au Palais présidentiel lorsque le chef de l’État avait refusé de le signer.
Le refus de signer les nominations n’a pas été la seule mesure ayant eu une incidence négative sur le système judiciaire. Les agissements de certains magistrats proches du pouvoir sont en cause également. La démission présentée par une juge au chef de l’Etat, parce qu’elle en est proche, pour protester contre des mesures du CSM à son encontre en prétendant qu’elle était ciblée illustre bien ces propos.
Les pressions sur la justice ne se sont pas arrêtées au gel du décret des permutations, puisqu’on sait ce qu'il est advenu de l’enquête menée par le juge d’instruction Tarek Bitar dans l’affaire de l’explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020. Sa procédure a fait l’objet de nombreuses entraves, à force de recours présentés contre lui, à partir du moment où des hommes politiques et des responsables de sécurité proches du tandem Amal-Hezbollah et du chef de l’État ont été mis en cause. Le refus du ministre des Finances de signer le décret de nominations partielles des présidents de la Cour de cassation, sous prétexte «qu’elles comprennent des vices de fond et que leur signature reviendrait à créer un précédent dont le Liban se passerait bien volontiers», s’inscrit dans le prolongement de ces entraves. D’autant qu’on ignore la nature de ces vices de fond et les raisons pour lesquelles ils constitueraient un précédent.
Ce n’est pas tout. Le ministre des Finances n’est sûrement pas l’autorité habilitée à se prononcer sur le fond, surtout lorsque son collègue de la Justice l’a avalisé, souligne-t-on de sources juridiques. À moins que cette signature ne soit devenue un passage obligé devant le tandem chiite après le «filtrage politique». La signature du ministre des Finances est uniquement obligatoire lorsque des charges financières sont en jeu, explique-t-on de sources ministérielles et, à ce moment-là, c’est sur ce point précis qu’il intervient et certainement pas sur «le choix d’ajouter une nouvelle chambre à la Cour de cassation». C’est ce dernier point que Ali Hassan Khalil avait évoqué pour justifier le blocage au niveau du ministre de la Justice.
Or, en bloquant le décret de nominations partielles à la Cour de cassation, le ministre de la Justice empêche celle-ci de compléter sa composition et de pouvoir trancher au sujet des recours présentés contre Tarek Bitar, de peur qu’ils ne soient encore une fois rejetés. Le décret se trouve désormais dans les tiroirs du ministère des Finances pour des vices de fond qui demeurent inconnus, en d’autres termes pour des fins politiques, comme ce fut le cas précédemment pour les nominations judicaires complètes qui se sont retrouvées dans les tiroirs de Baabda.
Selon une source judiciaire, Youssef Khalil doit au moins dévoiler les motivations derrière son refus de signer. Le ministre n'a pas demandé d'éclaircissements au Conseil supérieur de la magistrature. Il n'a pas soumis ses observations à ce dernier non plus, ni posé le problème en Conseil des ministres.
Sans ces nominations, le juge Bitar restera mains et poings liés dans le dossier de l’enquête sur le port de Beyrouth, et la procureure générale près la Cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, ne comparaîtra pas devant le Conseil de discipline à cause des abus dont elle s’est rendue responsable dans le cadre de son acharnement contre le secteur bancaire. Une situation qui arrange tout le monde, dans la sphère politique, mais qui porte un nouveau coup aux Libanais et à la justice.
Plus important encore, elle montre que les composantes du pouvoir en place restent réfractaires à toutes réformes.
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