Droits de la femme: ces oubliés des législatives
Les droits de la femme sont les grands oubliés des programmes électoraux pour les législatives de mai 2022. Le Liban continue d’ailleurs d’être à la traîne à l’échelle mondiale pour tout ce qui est égalité des genres. Seule une meilleure représentation des femmes à l’hémicycle peut garantir une évolution à ce niveau.

«Si vous voulez savoir combien une société est civilisée, regardez comment on y traite les femmes». Cette citation de Bacha Khan, leader politique afghan connu pour son combat pour les droits des femmes, trouve son écho aujourd’hui au Liban, où les droits de la femme sont bafoués. De fait, rares sont les parties politiques en lice pour le scrutin de mai qui les ont inclus dans leur programme électoral. «Pour les législatives de 2018 et pour le prochain scrutin de mai, les droits de la femme figurent sur le programme des listes issues de la société civile», constate cependant Zoya Jureidini Rouhana, candidate au siège grec-orthodoxe de Aley et présidente de l’ONG Kafa, qui milite pour les droits de la femme. «Pour les candidats des partis traditionnels, le droit des femmes n’est pas une priorité, constate-t-elle. Depuis le début du mouvement de contestation populaire du 17 octobre 2019, Kafa œuvre en faveur d’un code civil unifié du statut personnel. C’est le premier pas vers une société civile et laïque.»

«Le système patriarcal qui prévaut au Liban permet au mari de faire chanter la femme en jouant la carte des enfants, d’autant que les différents codes sur le statut personnel en vigueur au Liban relèvent des communautés et sont en faveur du père, s’indigne Mirna, divorcée et mère de deux enfants. La femme est obligée d’accepter toutes les conditions de l’homme pour préserver l’intérêt des enfants.»

«Les politiciens puisent leur pouvoir dans le système patriarcal confessionnel, il n’est pas dans leurs intérêts de le remettre en question. Il faut donc commencer par abolir l’ensemble des codes confessionnels sur le statut personnel», constate Zoya Jureidini Rouhana.

De l’importance du quota
Or qui mieux que les femmes pour faire évoluer leurs droits? D’où l’importance de les pousser à participer davantage à la vie politique. Une légère amélioration est d’ailleurs constatée par rapport au scrutin de 2018. «Actuellement, 118 femmes sont inscrites sur les listes électorales, contre 86 en 2018», se félicite Joëlle Abou Farhat, cofondatrice de Fiftyfifty, une ONG qui milite pour l’égalité des genres dans la vie politique. «Nous sommes fiers du progrès accompli depuis les dernières élections législatives, poursuit-elle. Fiftyfifty accompagne les femmes en politique et leur fournit des techniques pour leur campagne de communication et leur collecte de fonds. Notre réseau compte 90% des femmes en lice pour les législatives. Elles viennent des différentes régions.»

L’ONG couvre le domaine politique, mais son objectif premier est humain. Pour Joëlle Abou Farhat, la femme libanaise est le pilier de la société et sa place en politique est primordial pour faire évoluer les mœurs. «La femme cherche le changement alors que l’homme cherche le pouvoir», résume-t-elle. Pour elle, l’instauration du quota féminin donne une chance considérable aux femmes de contribuer à l’évolution de leurs droits, un combat qui «doit également être mené par l’homme». «Il faut que les femmes occupent au moins le tiers des sièges de l’hémicycle pour qu’elles soient en mesure de changer les lois et de s’attaquer au code civil, fait-elle remarquer. Aux Émirats arabes unis, 50% des parlementaires sont des femmes.»

Le quota féminin boycotté
Une proposition de loi pour un quota féminin de 26 sièges a été présentée par la députée Inaya Ezzedine (mouvement Amal) en 2020 et soumise au Parlement, mais n’a pas été adoptée. «Certains partis ont accepté d’appliquer un quota féminin au sein de leur organisation, mais pas au sein du Parlement, explique-t-elle. Aujourd’hui, la présence de la femme à l’hémicycle devient une évidence et le quota féminin ne peut plus être ignoré, puisque les femmes sont plus nombreuses à vouloir poursuivre une carrière politique.»

L’article 7 de la Constitution garantit l’égalité entre hommes et femmes. De plus, le Liban a ratifié en 1996 la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Cedaw). «À l’approche des élections législatives, les hommes politiques essaient de sauver leur image en disant qu’ils sont en faveur des droits de la femme, mais quand il s’agit de voter, la majorité s’y oppose, affirme Inaya Ezzeddine. En 2020, les partis les plus réticents à la proposition de loi que j’avais présentée étaient les Forces libanaises (FL), le Courant patriotique libre (CPL) et le Hezbollah.»

Ici Beyrouth a contacté des représentants du Hezbollah qui ont refusé de donner plus de précisions à cet égard. Pour ce qui est du CPL, Alain Aoun, député sortant et candidat au siège maronite de Baabda, a défendu la prise de position de son parti. «Nous n’avons pas tenu de séance au préalable pour étudier la proposition de loi, avance-t-il. Évidemment c’est une discrimination.»


Même constat auprès des Forces libanaises. «Nous étions méfiants vis-à-vis de la proposition de loi présentée par Inaya Ezzedine, mais il y a eu un revirement depuis, affirme Georges Okaïs, député sortant et candidat au siège grec-catholique à Zahlé. Aujourd’hui, nous sommes en faveur du quota, mais nous préférons la proposition de loi présentée par Chamel Roukoz». Candidat au siège maronite à Mont-Liban I, celui-ci avait déposé en décembre 2021, une proposition de loi visant à établir un nouveau quota féminin de 24 sièges.

Le droit de transmettre la nationalité 
Les deux partis n’ont pas inclus les droits de la femme sur leurs programmes électoraux. Les FL estiment qu’ils ont fait leurs preuves à ce niveau au cours des dernières années et que par conséquent, il n’était pas nécessaire de l’inclure.

Interrogés sur le droit de la femme à transmettre la nationalité, un sujet épineux au Liban, MM. Okaïs et Aoun y ont affiché leur opposition «pour empêcher la naturalisation des Palestiniens et un déséquilibre démographique». Un argument qui ne tient pas la route, puisque conformément à la loi en vigueur l’homme qui épouse une Palestinienne peut lui accorder la nationalité. Cela ne pose-t-il pas un problème de naturalisation des Palestiniens et de déséquilibre démographique? À cela, les deux députés répondent qu’ils «soutiennent ce droit avec une limitation constitutionnelle pour les Palestiniens et les réfugiés syriens».

Il convient de rappeler à ce niveau que le décret de 1925 sur le droit à la nationalité stipule dans son article premier: «Est considéré comme Libanais tout enfant né de père libanais». Plus encore dans ses articles 4 et 5, il stipule qu’une femme étrangère mariée à un Libanais peut obtenir la citoyenneté libanaise après un an de mariage. Elle peut aussi transmettre la nationalité libanaise à ses enfants étrangers mineurs issus d’un précédent mariage.

«Ce qui est aberrant c’est que la loi actuellement en vigueur date du temps du mandat français et a été émise avant l’adoption de la Constitution en 1926 et l’édification de l’État libanais», s’insurge Karima Chebbo, coordinatrice de la campagne «Ma nationalité, un droit pour moi et ma famille». «Ce décret va de plus à l’encontre de la Constitution libanaise qui garantit l’égalité des citoyens libanais devant la loi, poursuit-elle. Ce décret servait les intérêts politiques et militaires des autorités du mandat qui voulaient assurer les femmes – et leurs enfants – dont les hommes mouraient sur le champ d’honneur en les mariant à des Libanais.»

Cela est d’autant plus aberrant que la femme porte en elle l’identité libanaise et la transmet de génération en génération. Cette injustice crée un sentiment d’infériorité vis-à-vis de l’homme. «La femme porte l’enfant et l’élève, c’est pour cela qu’on parle de langue maternelle, s’exclame Christelle, mère libanaise de trois enfants et ex-épouse d’un citoyen français. Mais dans la mentalité libanaise, la femme est inférieure à l’homme et cela se ressent au niveau sociétal. Mes enfants sont Libanais. Ils sont nés ici, ils parlent la langue et malgré cela ils ont besoin d’un titre de séjour que je dois renouveler chaque année. Même les réfugiés sont mieux traités.»

Le Liban est très en retard à ce niveau par rapport à ses voisins. L’Égypte, la Tunisie, l’Algérie et le Maroc ont déjà adoptés une loi autorisant la femme à octroyer la nationalité à ses enfants.

Prisonnières du système confessionnel, les femmes doivent être mieux représentées au Parlement pour obtenir l’égalité dans les droits et les devoirs. Aux dernières élections législatives, seules six femmes ont fait leur entrée à l’hémicycle. Cette année les candidates en lice et les ONG qui œuvrent en faveur des droits des femmes espèrent qu’elles seront plus nombreuses à être élues et voir le quota féminin instauré pour les prochaines législatives de 2026.

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