Une patiente, jeune femme au demeurant charmante et nullement dépourvue de qualités, s’est exprimée ainsi, un jour, en séance: «Ce matin, je suis passée devant une affiche de Vanessa Paradis à la devanture de mon kiosque à journaux, et je me suis dit: qu’a-t-elle donc de plus que moi pour qu’elle se trouve là, en haut de l’affiche, et pas moi?»
À la lumière de la psychanalyse et d’une expérience thérapeutique ayant accompagné de nombreuses trajectoires de vie, je suis en mesure d’affirmer ceci: la victoire, le succès ou l’aura d’un être humain ne procèdent pas tant de ses mérites comparés que d’une logique, dominante et puissamment investie, qui régit son esprit. Cette logique est la culture de la réussite.
Qu’est-ce que l’esprit ou la culture de la réussite, telle qu’elle habite un être humain et façonne sa vie?
À l’origine comme au principe de toute entreprise humaine, il y a le désir. Pas un espoir ou un souhait, mais un désir, primordial et ardent. Ce désir n’est pas forcément conscient d’emblée, il n’a pas encore pris forme dans une perspective, un projet ou une voie. Au commencement, un enfant joue au ballon, du matin au soir, comme aimanté; une jeune fille écrit sans cesse, chaque sensation, chaque sentiment. C’est parce qu’il était pauvre et ne possédait rien d’autre que son ballon, dira-t-on plus tard du garçon parvenu au firmament de l’histoire du football; c’est parce qu’elle était si seule qu’elle n’avait que ses propres mots pour lui faire écho, analysera-t-on de la jeune fille s’étant désormais accomplie comme auteur.
Tout désir est de l’ordre de l’intime et prend son départ des mystères de l’inconscient, aux limites du connaissable. Mais l’esprit de la réussite requiert de chercher à le cerner, pour le mettre en lumière. C’est d’ailleurs l’une des tâches essentielles d’une psychanalyse, quand celle-ci apparaît comme nécessaire. Au commencement, il faut un désir clair.
Avec le désir, que manifestent déjà les rêves d’enfants – devenir danseur, avocat, conducteur de train, entrepreneur, instituteur, écrivain ou footballeur – émerge l’irréductible et précieuse unicité de chacun. Nous marchons tous sur une mine d’or particulière, et même quand le terrain semble socialement balisé, aucune trajectoire, aucune réussite n’emprunteront un tracé similaire à un autre. L’ordre du désir, et plus précisément l’objet si singulier qui cause le désir de chacun se trouvant ainsi éclairé, l’être humain pourra, selon la belle formule de Lacan, «savoir s’il veut ce qu’il désire». Dans l’esprit de la réussite, vient, en effet, ce temps du vouloir, qui est comme un temps pour renaître, un temps pour la réalisation, et d’abord de soi-même. Je mets un accent spécial sur cette dimension d’expansion vitale, dans mon livre La vie augmentée.
«L’homme énergique et qui réussit est celui qui parvient à transformer en réalité les fantaisies du désir», a écrit Sigmund Freud. Le lieu, ou laboratoire, de cette transformation est celui de la pensée et, plus spécifiquement, de cette forme de pensée nommée «imagination créatrice». L’homme ne peut rien inventer, construire ou conquérir qu’il n’ait d’abord pensé. La réussite est alors sculptée par l’imagination créatrice, qui porte avec elle l’intuition, l’interaction avec l’esprit d’autrui, la conception des idées neuves ou l’agencement des connaissances antérieures dans des systèmes nouveaux, l’élaboration des feuilles de route.
Dans la culture de la réussite – à prendre aussi au sens où la réussite se cultive chaque jour – le conscient et l’inconscient œuvrent ensemble. Le conscient prend en charge la focalisation volontaire sur le but, la mise en place organisée de toutes les vertus nécessaires au succès de l’entreprise, l’analyse des victoires d’étape et échecs provisoires, le réajustement constant des plans. Freud appelait «frayages» la propension de notre activité psychique à reprendre toujours les mêmes sillons. Certaines habitudes mentales sont favorables à la réussite désirée, d’autres sont nuisibles. L’esprit de réussite conduit à ouvrir intentionnellement de nouveaux chemins de pensée et à les parcourir le plus possible, de sorte qu’ils deviennent nos sillons principaux. S’agissant de notre monde intérieur, nous avons une immense marge d’intervention comme d’évolution. Rappeler inlassablement aux patients cette puissante raison de croire en leurs possibles est, à mon sens, l’une des missions inhérentes au métier de psychanalyste.
La même confiance, enthousiaste et sereine, peut être accordée à l’inconscient, qui va lui aussi travailler à la réalisation du désir. La culture de la réussite inclut une relation amicale avec son propre inconscient. Sur l’un de ses versants, l’inconscient est un savoir. Savoir profond sur la personne propre, prêt à se révéler à quiconque veut se connaître. Savoir fulgurant sur les êtres et les choses, défini comme intuition, inspiration, ou même «sixième sens», qui vient livrer à l’homme une connaissance exacte par d’autres voies que celles de la perception classique et de la pensée rationnelle.
Pourquoi tel grand sportif a-t-il une vision du jeu si totale et si claire qu’il sent avec certitude et avant tous les autres quel mouvement ou quelle action sont appelés par la situation? Pourquoi tel chercheur accède-t-il à une stupéfiante vérité de l’univers avant même de l’avoir démontrée ou déduite? Parce que l’inconscient sait. Il sait aussi transformer le désir authentique en réussite par les moyens les plus ingénieux, les plus efficaces, et parfois les plus malicieux.
Comment confier notre projet de réussite à la participation de l’inconscient, alors que celui-ci constitue pour nous l’invisible, parfois l’impénétrable? Souvenons-nous de ce fait d’expérience, accessible à chacun de nous: notre inconscient d’enfant a adopté naguère les plus puissantes de nos croyances, de nos pensées, de nos logiques dans un état émotionnel intense, essentiellement déterminé par le lien affectif aux parents. Transposons cela au présent: quand la représentation de notre désir est animée par la foi, la passion ou l’amour, un alignement des plus propices se produit au cœur de nous-mêmes.
Conjuguer la foi à un ardent désir a un suprême pouvoir créateur. Dès lors, la culture de la réussite suppose une conception des revers, non comme échecs irrémédiables ou désaveux, mais comme marches vers l’ascension à venir. Des trajectoires de réussite, on ne connaît souvent que les temps de triomphe et non ceux des défaites, pourtant inévitables. Là où les rêveurs stériles abandonnent avant d’avoir réussi, les conquérants et les «gagneurs» persévèrent, s’inscrivant dans la mouvance de cette formule admirable, énoncée par Nelson Mandela: «Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends».
Toute psychanalyse constitue la preuve même d’une telle expérience féconde, car elle vient toujours en réponse à une impasse, celle du symptôme et de la souffrance morale pouvant aller jusqu’à une forme implacable conceptualisée par Freud comme «névrose d’échec». Une psychanalyse est cette aventure lumineuse qui s’ouvre sur une déroute pour aboutir à une création, une réussite et un bonheur inédits.
Lorsque l’actualité, quelques fois sportive, s’y prête, laissons le mot de la fin à ce message délivré par une marque qui a fait sien l’esprit de la réussite: «La victoire est en nous». Nous singulier ou nous collectif, dont l’ultime visée triomphale, si manifeste en toute victoire humaine, est la joie.
@sabinecallegari
À la lumière de la psychanalyse et d’une expérience thérapeutique ayant accompagné de nombreuses trajectoires de vie, je suis en mesure d’affirmer ceci: la victoire, le succès ou l’aura d’un être humain ne procèdent pas tant de ses mérites comparés que d’une logique, dominante et puissamment investie, qui régit son esprit. Cette logique est la culture de la réussite.
Qu’est-ce que l’esprit ou la culture de la réussite, telle qu’elle habite un être humain et façonne sa vie?
À l’origine comme au principe de toute entreprise humaine, il y a le désir. Pas un espoir ou un souhait, mais un désir, primordial et ardent. Ce désir n’est pas forcément conscient d’emblée, il n’a pas encore pris forme dans une perspective, un projet ou une voie. Au commencement, un enfant joue au ballon, du matin au soir, comme aimanté; une jeune fille écrit sans cesse, chaque sensation, chaque sentiment. C’est parce qu’il était pauvre et ne possédait rien d’autre que son ballon, dira-t-on plus tard du garçon parvenu au firmament de l’histoire du football; c’est parce qu’elle était si seule qu’elle n’avait que ses propres mots pour lui faire écho, analysera-t-on de la jeune fille s’étant désormais accomplie comme auteur.
Tout désir est de l’ordre de l’intime et prend son départ des mystères de l’inconscient, aux limites du connaissable. Mais l’esprit de la réussite requiert de chercher à le cerner, pour le mettre en lumière. C’est d’ailleurs l’une des tâches essentielles d’une psychanalyse, quand celle-ci apparaît comme nécessaire. Au commencement, il faut un désir clair.
Avec le désir, que manifestent déjà les rêves d’enfants – devenir danseur, avocat, conducteur de train, entrepreneur, instituteur, écrivain ou footballeur – émerge l’irréductible et précieuse unicité de chacun. Nous marchons tous sur une mine d’or particulière, et même quand le terrain semble socialement balisé, aucune trajectoire, aucune réussite n’emprunteront un tracé similaire à un autre. L’ordre du désir, et plus précisément l’objet si singulier qui cause le désir de chacun se trouvant ainsi éclairé, l’être humain pourra, selon la belle formule de Lacan, «savoir s’il veut ce qu’il désire». Dans l’esprit de la réussite, vient, en effet, ce temps du vouloir, qui est comme un temps pour renaître, un temps pour la réalisation, et d’abord de soi-même. Je mets un accent spécial sur cette dimension d’expansion vitale, dans mon livre La vie augmentée.
«L’homme énergique et qui réussit est celui qui parvient à transformer en réalité les fantaisies du désir», a écrit Sigmund Freud. Le lieu, ou laboratoire, de cette transformation est celui de la pensée et, plus spécifiquement, de cette forme de pensée nommée «imagination créatrice». L’homme ne peut rien inventer, construire ou conquérir qu’il n’ait d’abord pensé. La réussite est alors sculptée par l’imagination créatrice, qui porte avec elle l’intuition, l’interaction avec l’esprit d’autrui, la conception des idées neuves ou l’agencement des connaissances antérieures dans des systèmes nouveaux, l’élaboration des feuilles de route.
Dans la culture de la réussite – à prendre aussi au sens où la réussite se cultive chaque jour – le conscient et l’inconscient œuvrent ensemble. Le conscient prend en charge la focalisation volontaire sur le but, la mise en place organisée de toutes les vertus nécessaires au succès de l’entreprise, l’analyse des victoires d’étape et échecs provisoires, le réajustement constant des plans. Freud appelait «frayages» la propension de notre activité psychique à reprendre toujours les mêmes sillons. Certaines habitudes mentales sont favorables à la réussite désirée, d’autres sont nuisibles. L’esprit de réussite conduit à ouvrir intentionnellement de nouveaux chemins de pensée et à les parcourir le plus possible, de sorte qu’ils deviennent nos sillons principaux. S’agissant de notre monde intérieur, nous avons une immense marge d’intervention comme d’évolution. Rappeler inlassablement aux patients cette puissante raison de croire en leurs possibles est, à mon sens, l’une des missions inhérentes au métier de psychanalyste.
La même confiance, enthousiaste et sereine, peut être accordée à l’inconscient, qui va lui aussi travailler à la réalisation du désir. La culture de la réussite inclut une relation amicale avec son propre inconscient. Sur l’un de ses versants, l’inconscient est un savoir. Savoir profond sur la personne propre, prêt à se révéler à quiconque veut se connaître. Savoir fulgurant sur les êtres et les choses, défini comme intuition, inspiration, ou même «sixième sens», qui vient livrer à l’homme une connaissance exacte par d’autres voies que celles de la perception classique et de la pensée rationnelle.
Pourquoi tel grand sportif a-t-il une vision du jeu si totale et si claire qu’il sent avec certitude et avant tous les autres quel mouvement ou quelle action sont appelés par la situation? Pourquoi tel chercheur accède-t-il à une stupéfiante vérité de l’univers avant même de l’avoir démontrée ou déduite? Parce que l’inconscient sait. Il sait aussi transformer le désir authentique en réussite par les moyens les plus ingénieux, les plus efficaces, et parfois les plus malicieux.
Comment confier notre projet de réussite à la participation de l’inconscient, alors que celui-ci constitue pour nous l’invisible, parfois l’impénétrable? Souvenons-nous de ce fait d’expérience, accessible à chacun de nous: notre inconscient d’enfant a adopté naguère les plus puissantes de nos croyances, de nos pensées, de nos logiques dans un état émotionnel intense, essentiellement déterminé par le lien affectif aux parents. Transposons cela au présent: quand la représentation de notre désir est animée par la foi, la passion ou l’amour, un alignement des plus propices se produit au cœur de nous-mêmes.
Conjuguer la foi à un ardent désir a un suprême pouvoir créateur. Dès lors, la culture de la réussite suppose une conception des revers, non comme échecs irrémédiables ou désaveux, mais comme marches vers l’ascension à venir. Des trajectoires de réussite, on ne connaît souvent que les temps de triomphe et non ceux des défaites, pourtant inévitables. Là où les rêveurs stériles abandonnent avant d’avoir réussi, les conquérants et les «gagneurs» persévèrent, s’inscrivant dans la mouvance de cette formule admirable, énoncée par Nelson Mandela: «Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends».
Toute psychanalyse constitue la preuve même d’une telle expérience féconde, car elle vient toujours en réponse à une impasse, celle du symptôme et de la souffrance morale pouvant aller jusqu’à une forme implacable conceptualisée par Freud comme «névrose d’échec». Une psychanalyse est cette aventure lumineuse qui s’ouvre sur une déroute pour aboutir à une création, une réussite et un bonheur inédits.
Lorsque l’actualité, quelques fois sportive, s’y prête, laissons le mot de la fin à ce message délivré par une marque qui a fait sien l’esprit de la réussite: «La victoire est en nous». Nous singulier ou nous collectif, dont l’ultime visée triomphale, si manifeste en toute victoire humaine, est la joie.
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