Léa Paulikévitch, la mémoire est la sentinelle de l’esprit*
Qui sont-ils, ces gardiens de notre mémoire? Ces traqueurs de l’hier? Ces traceurs du temps? Qu’est-ce qui les anime tant? Portraits hauts en couleurs de ces amoureux du noir et blanc.

Tout a commencé par un choc. Celui de voir le Beyrouth où elle vivait, le Beyrouth qu’elle aimait, si défiguré par deux ans de conflit absurde mais meurtrier. Alors, comme pour enlacer ses souvenirs, ne surtout rien oublier et tenter de reconstituer à jamais les choses perdues, Léa est allée à la recherche frénétique de sa ville. Ville - port d’ancrage d’une famille qui était venue de beaucoup plus loin. Des racines reconstituées, donc, auxquelles on s’accroche surtout quand on sait combien il est précieux d’en avoir.

Parce qu’en réalité tout avait aussi commencé à la naissance de Léa Paulikevitch dans une famille aux origines multiples, qui était partie de là, et puis de là aussi, avait quitté et perdu des villes, des pays et des ports d’attache pour venir trouver au Liban une terre où l’on aimerait s’établir… enfin.

«Depuis toute jeune, j’ai toujours aimé l’histoire. Ma mère était abonnée à quelques revues, dont Historia. Quand la famille avait fini de les lire, je pouvais découper les articles et les photos qui m’intéressaient. Je gardais ces trésors dans des boîtes à chaussures. Puis j’ai commencé une collection de timbres, puis de billets et de pièces de monnaie. J’ai toujours en ma possession une grande partie de ces collections qui, au fil du temps, se sont vues augmentées de cartes postales. J’ai centralisé toutes les photos de famille, fouillant les tiroirs chez mes deux grands-mères, les bombardant de questions, leur soutirant mille et une anecdotes. Je ne savais pas que je préparais le terreau pour mes futures passions.»

Les livres d’abord pour la jeune femme férue d’histoire, infirmière de formation, puis le parcours classique de tout passionné d’archives qui va des cartes postales, des photos, jusqu’aux documents inédits. «Mon Beyrouth n’existait plus. Sans m’en rendre compte au début, je me suis mise tout doucement à reconstruire MA ville. À travers toutes les cartes postales que je pouvais trouver, tous les livres que j’avalais, j’ai collecté pendant vingt ans tout ce qui touchait de près ou de loin à Beyrouth, au Liban, à la Syrie, à la Palestine, bref à l’ancienne province ottomane.»

C’est l’avènement d’Internet qui bouleversera la routine de Léa Paulikévitch qui, de ce fait, se transformera en traqueuse de l’impossible. «En 1998, équipée de mon premier PC, j’empruntai alors une voie royale. Grâce à l’Internet, je pus accéder aux collections (livres, photos, archives sonores, films) de divers sites, des archives nationales françaises, de musées, d’universités... Vingt-quatre années de recherches et quelques achats m’ont permis de constituer des archives qui font aujourd’hui mon bonheur.»


Archives de bibliothèques, d’universités, vieux documents exhumés, c’est sur les sites du monde entier que la jeune femme va surfer des heures durant. Et c’est là qu’elle va accumuler des tonnes et des tonnes d’informations relatives au pays et à la région. Et c’est là aussi que la véritable aventure commence.

C’est donc sur la toile que les fils vont tous se recouper et se rejoindre. Qui connaît ce bâtiment? Comment s’appelle cette rue? Qu’abrite ce pan de mur? Qui étaient les propriétaires de cette demeure? Avec les autres passionnés archivistes que Léa croise sur le net, et aux termes d’échanges enflammés, l’histoire de Beyrouth se dessine, s’envole, se clarifie, se dévoile, se consolide. De véritables jeux s’organisent, des chasses aux trésors se mettent en place et la vieille ville renaît…

Partager les informations, c’est aussi lancer des pistes, répondre à des interrogations, lever des mystères, résoudre des énigmes. Durant quelques années, stimulée par ses recherches qui ne lui accordent aucun répit, Léa Paulikevitch, maintenant à la retraite, va classifier méthodiquement les histoires dans l’histoire. Revanche sur le destin qui n’épargne rien. Mais aussi éprouver toute la satisfaction de voir défiler devant ses yeux et en détail les diverses thématiques d’un pays qui est tout de même et malgré tout, dans son histoire et dans sa géographie, un pays fantastique.

«Pour illustrer cet article, j’ai choisi ces quelques photos provenant de mes archives familiales, d’achats personnels et de divers sites d’archives en ligne ayant pour thème la rue qui, une fois franchi Bab Santyé, courait vers le soleil couchant. Ce quartier qui portait alors le nom de Ras Beyrouth, et connu sous le nom de quartier des consuls, est lié à l’histoire de ma famille. La branche Boucopoulos, arrivée à Beyrouth vers 1855, et la branche Pavlicevich (aka Paulicevich, Paulikévitch) vers 1860 y ont habité. Mon trisaïeul Andréa Boucopoulos était propriétaire de l’hôtel Bellevue, qui se trouvait au milieu du boulevard de la Corniche qui deviendra plus tard l’avenue des Français. Mon bisaïeul, Pietro Pavlicevich, qui parlait plusieurs langues, se fit engager comme drogman à l’hôtel Bellevue avant d’épouser Athina, la fille d’Andréa Boucopoulos.»



 
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