Ben Sulayem candidat à la présidence de la FIA
Le personnage, les enjeux et les élections du 7 décembre

C’était en 1993, tôt le matin – très tôt le matin, vers 5h – au départ de la première SS (Special stage : section chronométrée) du Rallye de Montagne (avant qu’il ne devienne Rallye du Liban). Tous les ténors libanais et arabes participants causaient amicalement avant le départ. Il y avait peu de journalistes et encore moins de spectateurs à cette heure. C’était une des « spéciales » de l’Iqlim el-Kharroub. Mohammed ben Sulayem, Michel Saleh, Jean-Pierre Nasrallah et quelques autres ne se gênaient pas de scruter les voitures de leurs concurrents, n’hésitant pas à ouvrir les portières pour mieux regarder l’intérieur. Dans cet esprit, Mohammed demanda à Michel la permission d’entrer dans la fameuse Opel Manta 400 jaune. Rappelons que Ben Sulayem avait fait ses débuts sur ce modèle en 1987. Une fois dans le siège du pilote libanais, qui avait obtenu sa licence aux Émirats, Ben Sulayem trouva la distance entre le siège et le volant trop grande pour un pilotage efficace. Taquinant Michel et son léger surpoids, l’émirati lui lança : « Michel comment peux-tu conduire dans une telle position, aussi loin du volant ? Ou est-ce… ». Rigolade générale. C’est un témoignage vécu, parmi bien d’autres, de la convivialité qui régnait entre pilotes, journalistes et spectateurs au Rallye du Liban, une ambiance unique parmi les autres épreuves du Championnat de Rallye du Moyen-Orient.
Il faut dire que Ben Sulayem et le Rallye du Liban, c’est une longue histoire. Depuis ses débuts à la fin des années 80, Mohammed y avait acquis ses premières expériences sur asphalte et y avait décroché sa première victoire en 1987, suivie de 3 autres en 1991, 1998 et 1999. Passant de l’Opel Manta 400 (propulsion) aux Subaru Impreza (4x4) des années 2000, il rencontre le succès avec ses Toyota Celica GT (1991) et Ford Escort Cosworth (1997 et 1998). Malgré ses grands succès et quatorze titres de champion du Moyen-Orient, l’homme restait toujours accessible et n’hésitait pas à jouer le jeu des journalistes avant les départs. D’ailleurs, pratiquement tous les pilotes libanais l’étaient tout autant.
Presque 20 après, suite à un palmarès unique de 60 victoires dans ce même championnat mais aussi à plusieurs participations mondiales, voilà Ben Sulayem qui se porte candidat à la présidence de la Fédération internationale de l’Automobile. Depuis sa retraite des courses en tant que pilote, il s’est engagé dans la fédération, représentant les Émirats arabes unis, puis jouant un rôle régional et international dans la mise en place des nouvelles initiatives lancées par Jean Todt, l’actuel président de la FIA, qui ne se présentera pas aux prochaines élections, le 17 décembre 2021. Âgé de 75 ans, Todt avait lui-même modifié les statuts de la FIA, afin d’empêcher tout président de cumuler plus de trois mandats et proposé aussi l’interdiction de se porter candidat passé 75 ans d’âge.

Quelques mots sur la FIA, organisme d’origine européenne (spécifiquement française puisqu’elle est issue de l’Automobile Club de France), qui régule les compétitions automobiles mondiales, notamment les différents championnats de rallye (mondial, WRC et régionaux), ainsi que les formules monoplaces (notamment le joyau de la couronne : la Formule 1). Après des périodes de conflits (Jean-Marie Balestre) et de controverses (Max Mosley), Jean Todt (élu la première fois en 2009) avait ramené de la stabilité et une vision stratégique à la fédération. La candidature de Ben Sulayem au poste de président peut être considérée comme la première d’une personnalité non-européenne, possédant assez d’expérience sur le terrain et dans l’organisation. Il y fut vice-président de la mobilité et du sport et connaît de fait les rouages de cette organisation fondée en 1904 à Paris où elle siège encore.
Le tout premier candidat arabe au poste de président de la FIA sera soutenu par son équipe de direction, constituée de Carmelo Sanz de Barros (Espagne), Tim Shearman (Canada), Daniel Coen (États-Unis), Robert Reid (Royaume-Uni), Lung-Nien Lee (Singapour) et surtout Fabiana Flosi Ecclestone (Brésil), l’épouse de Bernie Ecclestone (l’ancien grand manitou de la Formule 1). Cette liste confrontera une autre, composée du Britannique Graham Stoker, qui fait équipe avec Tom Kristensen (neuf fois vainqueur du Mans). Stoker a été vice-président au côté de Jean Todt pendant les trois mandats de ce dernier, soit depuis 2009.
Le programme de Ben Sulayem comporte un plan ambitieux consistant à doubler en 10 ans le nombre de membres de la fédération (donc des pratiquants des différents sports automobiles) au niveau mondial. Le sport automobile fait face, tout comme l’industrie automobile en général, à des défis structurels, auxquels seuls des changements radicaux pourraient constituer des réponses. Une autre grosse nouveauté proposée par Ben Sulayem : séparer les postes de président de la FIA des responsabilités exécutives, en créant le poste de directeur général. Ceci ne manquera pas d’ajouter de la complexité à l’organigramme de cette fédération centenaire, mais permettrait au président de mieux se concentrer sur les aspects stratégiques du sport automobile mondial.
Pour revenir au Liban, la victoire de Ben Sulayem aux élections de la FIA serait à tous les coups bénéfique. Mohammed connaît beaucoup plus le pays du cèdre et le sport automobile libanais que son concurrent Stoker. Le Rallye du Liban avait failli devenir une épreuve du Championnat du monde des Rallye (WRC) entre 2001 et 2004. Régulièrement, les représentant de la FIA y assistaient en tant qu’observateurs et l’ATCL faisait des mains et des pieds pour amadouer la fédération. Il se dit qu’en 2002 en particulier, le pays était à deux doigts de voir les bêtes du WRC foncer à travers les montagnes libanaises, mais que des problèmes de couverture aérienne (le WRC demande un accès inconditionnel aux hélicos des cameramen) avaient saboté l’affaire. Cette mondialisation du sport automobile libanais était bien plus probable que le fameux projet de circuit de Formule 1 à Beyrouth.
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