© (Photo by JOEL SAGET / AFP)
Malgré l'entrée en guerre ratée contre l'Ukraine d'une "armée russe du mensonge" et le soutien des Occidentaux à Kiev, la Russie restera "un compétiteur" qui "ne va pas disparaître", estime le chef d'état-major français, le général Thierry Burkhard.
"Forces morales", "entraînement", "guerre des perceptions": dans un entretien à l'AFP et au New York Times, le plus haut gradé français revient sur les enseignements de plus de deux mois de conflit en Ukraine, en marge d'un déplacement en Estonie où 350 soldats et aviateurs français sont déployés dans le cadre de l'OTAN.
Quelle est votre analyse du conflit en Ukraine ?
Le plan russe initial était de faire tomber le régime du président Zelensky. Quelque chose n'a pas marché. Ce dispositif n'était pas très cohérent tactiquement. La défense ukrainienne, agile et déconcentrée, a infligé de très fortes pertes aux Russes.
Nos yeux de praticiens ont vu des images affolantes, comme celles d'une colonne de 60 chars à l'arrêt... L'armée russe est l'armée du mensonge. Des gens ont menti en disant que l'armée ukrainienne ne se battrait pas, que les forces russes étaient prêtes à faire la guerre, que les chefs savaient commander.
Après l'échec de la phase 1, puis une deuxième phase de réarticulation du dispositif, on est maintenant dans la phase 3, où ils essayent de grignoter le Donbass. Désormais le dispositif russe est cohérent, ils concentrent 80% à 90% de leurs forces dans le Donbass contre 20% dans la première phase.
Quels enseignements tirez-vous de ce conflit pour les armées françaises ?
Tout d'abord, l'importance des forces morales. Les Ukrainiens ont gagné dans ce domaine. Ils ont une armée qui défend son pays et un pays qui soutient son armée. Cela se construit, ce n'est pas quelque chose qui se décrète le jour où une guerre éclate.
Deuxième point, l'importance de la guerre informationnelle, le champ des perceptions. Les Ukrainiens ont réussi à imposer leur narratif face aux Russes, qui étaient un peu les maîtres en la matière.
Troisièmement, l'importance de l'entraînement, qui est coûteux et difficile. L'armée russe est supérieurement équipée mais n'a pas réussi à entraîner ses soldats à la haute intensité.
Ce n'est pas parce que nous, Français, savons faire la guerre au Mali que nous savons faire la guerre de haute intensité. Je ne dis pas que ce que nous faisons au Mali est facile, mais nous n'avons pas d'artillerie en face qui nous frappe dans la profondeur.
Pensez-vous, comme le secrétaire américain à la Défense, qu'il faille affaiblir les Russes au point de leur retirer toute capacité d'agression massive comme en Ukraine?
On est entrés dans une compétition longue avec la Russie. Vladimir Poutine l'a dit: le sujet n'est pas seulement l'Ukraine mais les pays baltes, la Pologne, la Hongrie... Nous devons être bien conscients que les Russes sont dans une vraie stratégie de temps long. Ils ont renforcé leurs capacités militaires, en particulier en développant des armements de niche comme les armes hypersoniques. Ils sont engagés dans la lutte informationnelle, ils ont mis en place une forme de dépendance énergétique des Occidentaux... Aujourd'hui notre manque de liberté d'action provient de l'espèce de toile d'araignée mise en place par la Russie.
L'épisode ukrainien, qui ne se déroule pas comme prévu, va imposer une pause à la stratégie de long terme russe. L'Europe doit en profiter pour se réorganiser et construire aussi sa stratégie de long terme, penser le jour d'après la guerre ukrainienne.
Il faut se réarmer, renforcer la cohésion et se mettre en position d'être compétiteurs avec les Russes. Mais il ne faut pas perdre de vue que la Russie ne va pas disparaître. Elle est au Conseil de sécurité (des Nations unies, ndlr), dispose de plusieurs milliers de têtes nucléaires... Il faut qu'on trouve la capacité à affaiblir la Russie, qui sera certes un pays avec lequel nous serons en compétition, mais avec lequel il faudra peut-être reconstruire une architecture de sécurité.
AFP
"Forces morales", "entraînement", "guerre des perceptions": dans un entretien à l'AFP et au New York Times, le plus haut gradé français revient sur les enseignements de plus de deux mois de conflit en Ukraine, en marge d'un déplacement en Estonie où 350 soldats et aviateurs français sont déployés dans le cadre de l'OTAN.
Quelle est votre analyse du conflit en Ukraine ?
Le plan russe initial était de faire tomber le régime du président Zelensky. Quelque chose n'a pas marché. Ce dispositif n'était pas très cohérent tactiquement. La défense ukrainienne, agile et déconcentrée, a infligé de très fortes pertes aux Russes.
Nos yeux de praticiens ont vu des images affolantes, comme celles d'une colonne de 60 chars à l'arrêt... L'armée russe est l'armée du mensonge. Des gens ont menti en disant que l'armée ukrainienne ne se battrait pas, que les forces russes étaient prêtes à faire la guerre, que les chefs savaient commander.
Après l'échec de la phase 1, puis une deuxième phase de réarticulation du dispositif, on est maintenant dans la phase 3, où ils essayent de grignoter le Donbass. Désormais le dispositif russe est cohérent, ils concentrent 80% à 90% de leurs forces dans le Donbass contre 20% dans la première phase.
Quels enseignements tirez-vous de ce conflit pour les armées françaises ?
Tout d'abord, l'importance des forces morales. Les Ukrainiens ont gagné dans ce domaine. Ils ont une armée qui défend son pays et un pays qui soutient son armée. Cela se construit, ce n'est pas quelque chose qui se décrète le jour où une guerre éclate.
Deuxième point, l'importance de la guerre informationnelle, le champ des perceptions. Les Ukrainiens ont réussi à imposer leur narratif face aux Russes, qui étaient un peu les maîtres en la matière.
Troisièmement, l'importance de l'entraînement, qui est coûteux et difficile. L'armée russe est supérieurement équipée mais n'a pas réussi à entraîner ses soldats à la haute intensité.
Ce n'est pas parce que nous, Français, savons faire la guerre au Mali que nous savons faire la guerre de haute intensité. Je ne dis pas que ce que nous faisons au Mali est facile, mais nous n'avons pas d'artillerie en face qui nous frappe dans la profondeur.
Pensez-vous, comme le secrétaire américain à la Défense, qu'il faille affaiblir les Russes au point de leur retirer toute capacité d'agression massive comme en Ukraine?
On est entrés dans une compétition longue avec la Russie. Vladimir Poutine l'a dit: le sujet n'est pas seulement l'Ukraine mais les pays baltes, la Pologne, la Hongrie... Nous devons être bien conscients que les Russes sont dans une vraie stratégie de temps long. Ils ont renforcé leurs capacités militaires, en particulier en développant des armements de niche comme les armes hypersoniques. Ils sont engagés dans la lutte informationnelle, ils ont mis en place une forme de dépendance énergétique des Occidentaux... Aujourd'hui notre manque de liberté d'action provient de l'espèce de toile d'araignée mise en place par la Russie.
L'épisode ukrainien, qui ne se déroule pas comme prévu, va imposer une pause à la stratégie de long terme russe. L'Europe doit en profiter pour se réorganiser et construire aussi sa stratégie de long terme, penser le jour d'après la guerre ukrainienne.
Il faut se réarmer, renforcer la cohésion et se mettre en position d'être compétiteurs avec les Russes. Mais il ne faut pas perdre de vue que la Russie ne va pas disparaître. Elle est au Conseil de sécurité (des Nations unies, ndlr), dispose de plusieurs milliers de têtes nucléaires... Il faut qu'on trouve la capacité à affaiblir la Russie, qui sera certes un pays avec lequel nous serons en compétition, mais avec lequel il faudra peut-être reconstruire une architecture de sécurité.
AFP
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