Samer Mohdad: «Extraire les préjugés autour de l'identité arabe»...
Photographe célèbre et auteur, Samer Mohdad a eu un parcours de vie qui sort des sentiers battus. Petit, il avait voulu faire sa première communion alors qu’il était druze et qu’il ne le savait pas. C’est dire à quel point on ne parlait pas religion chez lui; chez lui on accordait de l'importance à l'humain. Il a fait carrière dans la photographie, notamment la photographie de guerre, et a eu des clichés exposés dans des musées et des ouvrages devenus objets de collection, parce qu'introuvables. Si son métier de reporter l’a mis face aux conflits guerriers dont il a fait un témoin essentiel, Samer Mohdad est un homme extrêmement sensible qui s’est reconverti, il y a quelques années, à la douceur de la vie, loin des guerres et de la violence des hommes; violence qu’il n’a eu de cesse de dénoncer dans ses ouvrages photographiques. Soucieux du sens profond de l’arabité, il s’est toujours battu pour rendre ses lettres de noblesse à une identité souvent galvaudée. Entretien.

Racontez-nous l’histoire de cet enfant druze qui voulait faire sa première communion…

C'était une pratique courante durant les années 60-70. Beaucoup d’enfants de la communauté unitarienne druze, scolarisés dans des écoles des missions catholiques, suivaient la vague des autres élèves en faisant leur première communion. D’ailleurs, mon frère l’avait fait avant moi et cela s’était passé sans remous.

Pour ma part, j’ai pu participer aux premiers temps de la préparation de la communion avec les autres élèves de la classe. J’ai appris les chants, la gestuelle; la sœur responsable nous guidait pour le grand jour lorsque le Père supérieur est intervenu et m’a dit: tu prépares ta communion, mais es-tu vraiment baptisé? J’ai répondu: «O*ui, bien sûr, comme tout le monde ». Il m’a alors demandé de lui apporter mon certificat de baptême. Lorsque, dans mon innocence d’enfant, j’ai demandé ce document à ma mère, j’ai appris que nous étions druzes.

J’ai dû renoncer à la grande célébration de la communion avec mes amis; premier traumatisme dans une société libanaise fracturée.

Cette histoire, à la fois intime et dramatique, je l’ai racontée dans mon livre «Voyage en pays druze», paru en 2018 aux éditions Erick Bonnier.



Comment êtes-vous devenu reporter de guerre?

J’étais au début de mes études de photographie à Saint Luc, à Liège, en Belgique lorsqu’en 1985, je suis retourné durant les vacances au Liban pour photographier l’autre côté de la guerre. À la fin de mes études, j’avais déjà réalisé un portfolio de photographies conséquent, ce qui m’a permis de rejoindre l’agence VU à Paris. Suite à cela, je suis devenu un des rares photographes œuvrant pour une agence photo internationale à pouvoir séjourner à Beyrouth Ouest et dans la partie du Liban sous contrôle des forces du Mouvement national sans me faire kidnapper. J’ai aussi été parmi les premiers à photographier le centre-ville de Beyrouth à la fin de la guerre pour une commande du New York Times. Je raconte les détails de cette histoire dans l’ouvrage «Beyrouth Mutations», paru aux éditions Actes Sud en 2013.

Comment vos photographies sont-elle devenues des œuvres exposées dans des musées?

C’est quelque part la raison pour laquelle le prix du photographe pionnier du «National Geographic All Roads Program» m’a été attribué en 2011.

Tout a commencé lorsque j’ai remporté le prix Kodak en 1988. La dotation était un voyage aux Rencontres internationales de la photographie d’Arles, lieu de pèlerinage des gens de la photographie mondiale. Résultat des courses, j’ai été engagé par l’agence Vu à Paris et, suite à cela, mon travail sur le Liban a été exposé au Musée de l’Élysée à Lausanne, en Suisse, en 1990, et au Musée de la photographie à Charleroi, en Belgique, en 1991. Lors de ma première visite au Musée de l’Élysée, j’ai été invité à une séance de lecture de portfolios de photographes suisses par Richard Avedon, un des plus grands photographes newyorkais des années 50, 60 et 70, une icône majeure de l’histoire de la photographie. Lorsqu’il a vu mes photographies, il s’est exclamé en public: «Ça, c’est des icônes! J’ai passé toute ma vie à essayer de faire ce genre de photographie, mais n’ai jamais réussi».

Une des photographies avec Avedon est incluse dans la vidéo ci-dessous.




Il faut savoir qu’Avedon travaillait en studio où tout est sous contrôle, la lumière, les personnages, les gestes. Pour ma part, dans mon travail photographique, j’opère dans le monde réel, là où rien n’est prévisible.

Ces deux musées (de l’Élysée et de Charleroi), ainsi que d’autres institutions consacrées exclusivement à l’art photographique ont donc acquis mes photographies pour leurs collections au début des années 90. Comme il n’y avait pas de catégorie pour classer la photographie arabe, nous avons créé la Fondation arabe pour l’Image dans le but de rechercher, documenter et archiver l’histoire de la photographie arabe.

Pourquoi avez-vous quitté le Liban pour vivre en Bourgogne, à Tanlay?

Depuis cinq ans maintenant, je suis installé en Bourgogne, dans une commune rurale de la campagne tonnerroise. Lors d’une de mes expositions, au musée de l’Hôtel Dieu de Tonnerre, en 2016, j’ai expliqué ma démarche et l’importance de ce lieu dans l’archéologie de mon histoire: «Cet hospice a été fondé par la reine Marguerite de Bourgogne, à son retour de Jérusalem en 1293, dans le but de soigner les personnes revenues des croisades. Aujourd’hui, ce lieu accueille les photographies d’un monde arabe malade, afin de soigner les esprits des êtres vivants ici et ailleurs».

Camilla, la responsable de la Librairie Maipiù de Tonnerre, a découvert mon travail récemment. Elle s’est dit: c’est une vraie richesse que nous avons là, il faut faire quelque chose! Le film qui raconte mon parcours artistique est le fruit de cette découverte.

Un nouveau livre est en gestation, parlez-nous de ce projet…

«Les derniers survivants» expriment dans ce projet leurs pensées sans retenue, activité plutôt rare de nos jours... Comme un arbre, un insecte, un cygne, un héron et aussi, parfois, un humain. Dans la vie, nous jouons des rôles en permanence, nous réalisons chacun un film dont nous sommes le héros, nous y intégrons les personnages que nous rencontrons, puis nous créons notre réseau de distribution.

Comme un décalage dans le temps, la publication de mon expression artistique est liée à l’évolution du rêve arabe! Certains rêves se réalisent et d’autres pas, mais, cela dit, ils restent tous existants dans le temps et l’espace.

J’ai consacré la plus grande partie de ma carrière photographique à la réécriture de la définition de l’identité arabe et de son extraction des préjugés établis qui l’annexent d’office à la religion musulmane. À cette fin, j’ai créé et publié six livres de photographies et, dernièrement, un roman: «Les Enfants La Guerre Liban 1985-1992» en 1993, «Retour à Gaza» en 1996, «Mes Arabies» en 1999, «Assaoudia - XXIe s. = XVe h.», «Mes ententes» en 2005, «Beyrouth Mutations» en 2013 et   «Voyage en pays Druze» en 2018.

«Vues de ma fenêtre» - Samer Mohdad

Cette démarche vient s’inscrire dans la continuité de mon travail photographique, pour documenter l’impact de la culture arabe sur la société occidentale, notamment dans la région d’où est partie la première vague des croisades et où l’ordre des Templiers a été fondé. Cette recherche photographique a pris forme dans la série «Vues de ma fenêtre d’ici et d’ailleurs», que j’ai débutée en 2012 dans mon village d’origine du Mont Liban situé au bout de la vallée de Lamartine, à un jet de pierre de Jérusalem et de la Terre sainte, destination des pèlerins en provenance du monde occidental.

«Vues de ma fenêtre» -Samer Mohdad

 
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