La procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban, la juge Ghada Aoun, a de nouveau frappé mardi en court-circuitant une décision prise plus tôt dans la journée par le juge des référés du Metn, Ralph Karkabi en faveur de la compagnie Mecattaf de transferts de fonds, qui se trouve depuis avril 2021 dans le collimateur de la magistrate.
Mardi à midi, Ralph Karkabi a autorisé la levée des scellés sur la société, accusée toujours sans preuves par Ghada Aoun, proche du camp présidentiel, d’être impliquée dans des affaires de transferts de fonds illégaux vers l’étranger. En soirée, Mme Aoun devait donner l’ordre au service de Sécurité de l’Etat, également proche du camp présidentiel, d’apposer de nouveau les scellés sur les portes de la société. Il lui aura fallu une dizaine d’heures pour tenter de trouver un motif convaincant à sa décision. « Un juge civil n’a pas à casser la décision du parquet de la cour d’appel », a-t-elle avancé à la chaîne de télévision al-Jadeed, en précisant que les agents de la Sécurité de l’Etat étaient en train de remettre les scellés. Selon elle, il appartient au juge d’instruction en charge de l’enquête (dormante) de prendre ce genre de décision.
Pour la petite histoire, Ghada Aoun, dont l’acharnement contre des cibles bancaires et financières qui se trouvent toutes dans la ligne de mire du camp présidentiel, avait failli provoquer une crise politique dans le pays, avait été dessaisie de l'affaire Mecattaf, actuellement pendante devant le juge d'instruction du Mont-Liban, Nicolas Mansour. « La procureure générale n'a pas compétence en la matière et s'acharne à vouloir fermer la société sans raison légale valable. Un tel abus devrait inciter l'inspection judiciaire à prendre les mesures qui s'imposent", a déclaré en soirée Alexandre Najjar, l'un des avocats de la société Mecattaf à Ici Beyrouth.
Pour remettre en contexte cette procédure judiciaire, rappelons d’abord que la société Mecattaf, présente depuis des dizaines d’années sur le marché local, dispose de plusieurs branches, dont l’une est spécialisée en transferts de fonds. Elle effectue des opérations de change sous le contrôle de la Commission de contrôle des banques (CCB) et, en tant que transporteur, elle ne traite qu'avec les banques et déclare tout montant transporté aux douanes, selon les règles. En général, et d’après l’ancien ministre de la Justice et avocat de la société, le professeur Ibrahim Najjar, tout « transporteur de fonds devrait disposer d’une licence délivrée par la Banque du Liban (BDL) et obéissant à un certain nombre de règles, dont deux qu’il est important de souligner : la première impose le transport des fonds et leur déclaration aux douanes et la deuxième édicte qu’ils soient comptabilisés et déclarés auprès d’une section spéciale à la BDL ». Lorsque Ghada Aoun a pris la décision de suspendre les activités professionnelles de la société et d’y apposer les scellés, saisissant des dossiers et ordinateurs par la force, parce qu’elle considérait que l’entreprise avait procédé à des transferts illicites de fonds et à du blanchiment d’argent, son acte avait été contesté pour la raison suivante : « la juge faisait l’objet d’une demande en récusation qui l’obligeait à se dessaisir du dossier selon l’article 125 du Code de procédure civile. Parallèlement, le procureur de la République l’avait également dessaisie de tous les dossiers financiers qui sont normalement de la compétence du Parquet financier. Le 23 février 2022, ce dernier a classé sans suite la plainte contre la société Mecattaf, après avoir vérifié que toutes ses opérations étaient parfaitement légales », comme l’indique Alexandre Najjar.
Le sort des ordinateurs et des dossiers saisis par la juge Aoun fait l’objet de plusieurs versions : certains avocats interrogés par Ici Beyrouth considèrent que le matériel a été confié à des experts nommés par le procureur avant d’être caché –bizarrement- dans un couvent (tenu dit-on par une religieuse proche du régime du président syrien Bachar el-Assad). D’autres assurent qu’il a été restitué à la société, alors que d’autres encore estiment qu’il a été remis au juge d’instruction, Nicolas Mansour, qui, lui-même, fait l’objet d’une demande de récusation. Ce dernier s’est donc momentanément dessaisi du dossier, raison pour laquelle l’affaire Mecattaf est toujours pendante.
L’impact sur la dévaluation de la livre
Durant toute cette période de suspension des activités de la société Mecattaf, les décisions de Ghada Aoun ont incessamment été attaquées devant le procureur général près la Cour de cassation et devant le Conseil supérieur de la magistrature. Rappelons aussi que la juge Aoun avait aussi été déférée devant l’inspection judiciaire. Malgré tous les recours engagés contre elle, elle n’est jamais revenue sur ses décisions. « De ce fait, toute l’activité de transfert des fonds a été perturbée au Liban. Cette suspension a eu des effets néfastes sur le volume des devises étrangères dans le pays, notamment le dollar et l’euro, et cela a contribué, sans aucun doute à la flambée du prix du dollar et à la dépréciation de la livre libanaise », précise le professeur Ibrahim Najjar.
Devant cette impasse, les avocats de la société Mecattaf, à savoir, Alexandre Najjar, l’ancien bâtonnier Rachid Derbas, Ibrahim Najjar et Marc Habka, ont saisi le juge des référés du Metn, Ralph Karkabi, affilié au tribunal où œuvre Ghada Aoun. Ils ont fait valoir devant lui, que celle-ci avait « outrepassé ses droits, invoquant des troubles et des voies de fait, et qu’elle avait, par conséquent, empêché de manière illégale la société Mecattaf de poursuivre ses activités », explique le professeur Ibrahim Najjar.
A la question de savoir s’il est de la compétence du juge des référés de rendre un tel jugement, l’avocat Ramzi Haykal répond : « vu que la décision du procureur de la République qui a cassé la décision de Ghada Aoun, n’a pas été exécutée depuis 10 mois, le juge Karkabi a considéré qu’il existe une atteinte à des droits qui sont protégés par la loi. Sa compétence consiste de ce fait à lever l’agression contre ces droits, d’autant que les décisions prises par la juge Aoun ont été annulées par celle du procureur de la République qui est son supérieur hiérarchique ».
La compétence du juge des référés est donc triple à ce niveau: d’abord parce que les avocats de la société l’on saisi, ensuite parce qu’il est territorialement compétent et, enfin, parce que d’après l’article 579 du Code de procédure civile, le juge des référés, considéré par le principe général du droit garant de la liberté individuelle et de la propriété privée, a compétence pour faire cesser toute atteinte à des droits protégés. Or, la société a considéré que le maintien des scellés sur ses bureaux portait une atteinte manifeste à ses droits, sans compter l’impact de la fermeture sur le marché des devises.
Alors que certains avocats considéraient que la juge Aoun est complètement dessaisie de cette affaire et que la décision du Parquet financier qui avait blanchi la société montre que le dossier est vide, d’autres ont supposé que la procureure générale pourrait, même si elle n’a pas compétence à le faire, interjeter appel de la décision du juge Karkabi, en considérant qu'il s'agit d'une action publique qu’elle cherche à préserver.
Mardi à midi, Ralph Karkabi a autorisé la levée des scellés sur la société, accusée toujours sans preuves par Ghada Aoun, proche du camp présidentiel, d’être impliquée dans des affaires de transferts de fonds illégaux vers l’étranger. En soirée, Mme Aoun devait donner l’ordre au service de Sécurité de l’Etat, également proche du camp présidentiel, d’apposer de nouveau les scellés sur les portes de la société. Il lui aura fallu une dizaine d’heures pour tenter de trouver un motif convaincant à sa décision. « Un juge civil n’a pas à casser la décision du parquet de la cour d’appel », a-t-elle avancé à la chaîne de télévision al-Jadeed, en précisant que les agents de la Sécurité de l’Etat étaient en train de remettre les scellés. Selon elle, il appartient au juge d’instruction en charge de l’enquête (dormante) de prendre ce genre de décision.
Pour la petite histoire, Ghada Aoun, dont l’acharnement contre des cibles bancaires et financières qui se trouvent toutes dans la ligne de mire du camp présidentiel, avait failli provoquer une crise politique dans le pays, avait été dessaisie de l'affaire Mecattaf, actuellement pendante devant le juge d'instruction du Mont-Liban, Nicolas Mansour. « La procureure générale n'a pas compétence en la matière et s'acharne à vouloir fermer la société sans raison légale valable. Un tel abus devrait inciter l'inspection judiciaire à prendre les mesures qui s'imposent", a déclaré en soirée Alexandre Najjar, l'un des avocats de la société Mecattaf à Ici Beyrouth.
Pour remettre en contexte cette procédure judiciaire, rappelons d’abord que la société Mecattaf, présente depuis des dizaines d’années sur le marché local, dispose de plusieurs branches, dont l’une est spécialisée en transferts de fonds. Elle effectue des opérations de change sous le contrôle de la Commission de contrôle des banques (CCB) et, en tant que transporteur, elle ne traite qu'avec les banques et déclare tout montant transporté aux douanes, selon les règles. En général, et d’après l’ancien ministre de la Justice et avocat de la société, le professeur Ibrahim Najjar, tout « transporteur de fonds devrait disposer d’une licence délivrée par la Banque du Liban (BDL) et obéissant à un certain nombre de règles, dont deux qu’il est important de souligner : la première impose le transport des fonds et leur déclaration aux douanes et la deuxième édicte qu’ils soient comptabilisés et déclarés auprès d’une section spéciale à la BDL ». Lorsque Ghada Aoun a pris la décision de suspendre les activités professionnelles de la société et d’y apposer les scellés, saisissant des dossiers et ordinateurs par la force, parce qu’elle considérait que l’entreprise avait procédé à des transferts illicites de fonds et à du blanchiment d’argent, son acte avait été contesté pour la raison suivante : « la juge faisait l’objet d’une demande en récusation qui l’obligeait à se dessaisir du dossier selon l’article 125 du Code de procédure civile. Parallèlement, le procureur de la République l’avait également dessaisie de tous les dossiers financiers qui sont normalement de la compétence du Parquet financier. Le 23 février 2022, ce dernier a classé sans suite la plainte contre la société Mecattaf, après avoir vérifié que toutes ses opérations étaient parfaitement légales », comme l’indique Alexandre Najjar.
Le sort des ordinateurs et des dossiers saisis par la juge Aoun fait l’objet de plusieurs versions : certains avocats interrogés par Ici Beyrouth considèrent que le matériel a été confié à des experts nommés par le procureur avant d’être caché –bizarrement- dans un couvent (tenu dit-on par une religieuse proche du régime du président syrien Bachar el-Assad). D’autres assurent qu’il a été restitué à la société, alors que d’autres encore estiment qu’il a été remis au juge d’instruction, Nicolas Mansour, qui, lui-même, fait l’objet d’une demande de récusation. Ce dernier s’est donc momentanément dessaisi du dossier, raison pour laquelle l’affaire Mecattaf est toujours pendante.
L’impact sur la dévaluation de la livre
Durant toute cette période de suspension des activités de la société Mecattaf, les décisions de Ghada Aoun ont incessamment été attaquées devant le procureur général près la Cour de cassation et devant le Conseil supérieur de la magistrature. Rappelons aussi que la juge Aoun avait aussi été déférée devant l’inspection judiciaire. Malgré tous les recours engagés contre elle, elle n’est jamais revenue sur ses décisions. « De ce fait, toute l’activité de transfert des fonds a été perturbée au Liban. Cette suspension a eu des effets néfastes sur le volume des devises étrangères dans le pays, notamment le dollar et l’euro, et cela a contribué, sans aucun doute à la flambée du prix du dollar et à la dépréciation de la livre libanaise », précise le professeur Ibrahim Najjar.
Devant cette impasse, les avocats de la société Mecattaf, à savoir, Alexandre Najjar, l’ancien bâtonnier Rachid Derbas, Ibrahim Najjar et Marc Habka, ont saisi le juge des référés du Metn, Ralph Karkabi, affilié au tribunal où œuvre Ghada Aoun. Ils ont fait valoir devant lui, que celle-ci avait « outrepassé ses droits, invoquant des troubles et des voies de fait, et qu’elle avait, par conséquent, empêché de manière illégale la société Mecattaf de poursuivre ses activités », explique le professeur Ibrahim Najjar.
A la question de savoir s’il est de la compétence du juge des référés de rendre un tel jugement, l’avocat Ramzi Haykal répond : « vu que la décision du procureur de la République qui a cassé la décision de Ghada Aoun, n’a pas été exécutée depuis 10 mois, le juge Karkabi a considéré qu’il existe une atteinte à des droits qui sont protégés par la loi. Sa compétence consiste de ce fait à lever l’agression contre ces droits, d’autant que les décisions prises par la juge Aoun ont été annulées par celle du procureur de la République qui est son supérieur hiérarchique ».
La compétence du juge des référés est donc triple à ce niveau: d’abord parce que les avocats de la société l’on saisi, ensuite parce qu’il est territorialement compétent et, enfin, parce que d’après l’article 579 du Code de procédure civile, le juge des référés, considéré par le principe général du droit garant de la liberté individuelle et de la propriété privée, a compétence pour faire cesser toute atteinte à des droits protégés. Or, la société a considéré que le maintien des scellés sur ses bureaux portait une atteinte manifeste à ses droits, sans compter l’impact de la fermeture sur le marché des devises.
Alors que certains avocats considéraient que la juge Aoun est complètement dessaisie de cette affaire et que la décision du Parquet financier qui avait blanchi la société montre que le dossier est vide, d’autres ont supposé que la procureure générale pourrait, même si elle n’a pas compétence à le faire, interjeter appel de la décision du juge Karkabi, en considérant qu'il s'agit d'une action publique qu’elle cherche à préserver.
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