Parenthèse dorée
Saint-Paul-de-Vence, un charmant petit village perché au haut d’une petite colline verdoyante à 25 km de Nice. Arrivés sur place, on se laisse emporter par la magie des lieux, tout en suivant le dédale des petites ruelles pavées et piétonnes. En bas, les petits restaurants autour de la fontaine du village invitent à une pause, mais bien vite, on se sent comme happés par les mille et une merveilles offertes à nos yeux ravis... Des boutiques colorées nichées de part et d’autre de ruelles pittoresques ainsi qu’une enfilade de galeries d’artistes nous offrent à chaque détour de chemin, à chaque coin de rue, surprise, émerveillement et surtout le plaisir de belles rencontres avec des artistes passionnés et passionnants ! 

Encouragés à visiter la fondation Maeght à quelques kilomètres au-dessus de Saint-Paul-de-Vence, nous voilà grimpant à nouveau un chemin bordé d’arbres de pin, pour nous retrouver enfin face à la fondation. Un grand jardin planté d’arbres et à la grande pelouse verte nous accueille, avec ses drôles de statues improbables qui hésitent entre le rhinocéros et le chien, la grenouille et la limace, créatures incongrues sortant de l’imaginaire fantastique de Miro, artiste catalan, peintre et sculpteur. Cet univers délirant nous nargue par son audace et sa candeur et nous invite à casser les codes et à cheminer, libérés de tout a priori ou préjugé dans un monde totalement réinventé. Avec Miro, on fait défiler à rebours le fil d’Ariane dans ce labyrinthe artistique où l’on hésite entre art naïf ou primitif, art surréaliste qui désoriente, bouscule concepts préétablis, repères et certitudes... pour un retour aux sources à l’innocence première... Et nous voilà en train de naviguer sans entraves, le vent en poupe pour une vraie évasion sensorielle ; pénétrer dans un énorme cube de filaments-spaghettis agglutinés et suspendus, formant rideau pour une immersion dans un espace jaune absolument fascinant, conçu par l’artiste vénézuélien Soto, dans l’idée de faire participer le spectateur à son œuvre !

Signalons que ce lieu magique, véritable écrin de verdure, fut inventé par Joan Miro lui-même, pour associer la nature à la sculpture monumentale et à l’architecture ! C’est ainsi que nous découvrons aussi, en plus des sculptures de Miro, la céramique de Fernand Léger, la fontaine ludique de Pol Bury à tête de grenouille, le stabile monumental d’Alexander Valser, la sculpture éolienne de Takis et j’en passe.

Nous pénétrons enfin dans le bâtiment de la fondation Maeght. Cette dernière a été créée par un couple de marchands visionnaires qui avait organisé des expositions légendaires telles que la première exposition surréaliste en 1947, autour d’André Breton et Marcel Duchamp et qui, inspiré par la fondation Guggenheim, avait décidé d’ouvrir la première fondation dédiée à l’art en France.

Le bâtiment en lui-même est doté d’une structure élégante et minimaliste, subtil mélange de murs blancs, revêtements couleur brique et larges panneaux vitrés. Certaines œuvres sont intégrées au bâtiment tels la mosaïque de Pierre Tal-Coat et celle de Marc Chagall (les amoureux installés sur le mur de la librairie), le bassin de Braque, le vitrail de Miró, la céramique de Léger, entre autres.

Après avoir été subjugués à l’extérieur par les animaux fantastiques issus de la mythologie de Miró, l’exposition dédiée à la famille Giacometti à l’intérieur du bâtiment nous révèle encore bien des surprises ! En effet, de salle en salle, défilent devant nous les peintures de Giovanni Giacometti (1868-1933), artiste suisse, au grand talent de coloriste, oscillant entre impressionnisme, postimpressionnisme et fauvisme et dont les œuvres aux aplats de couleurs, aux touches serrées et rythmées fascinent par leur puissance chromatique.


Dans une salle polyvalente, on retrouve Augusto (1877-1947), cousin de Giovanni, considéré comme l’artiste suisse le plus polyvalent et original de la première moitié du XXe siècle et comptant parmi les pionniers de la peinture non figurative avec Kandinsky, Mondrian et Malevitch. J’avoue avoir été particulièrement touchée par l’art d’Augusto qui fait écho à ma propre sensibilité artistique et esthétique. En effet, ses peintures sont animées d’une lueur propre, l’exaltation de la lumière et la force des couleurs constituant la substance essentielle de sa peinture.



La suite du parcours nous conduit à découvrir avec ébahissement les sculptures d’Alberto Giacometti (1901-1966), fils de Giovanni, dont les bronzes longilignes, à la force compacte et obscure, semblent défier le spectateur de leur inquiétante majesté ! Ces formes faméliques s’étirant à souhait, comme façonnées par une main hésitante et maladroite dans un effet volontaire d’inachevé, suscitent toutes sortes de questionnements...

Le créateur aurait-il raté son œuvre ? La créature au visage de momie serait-elle condamnée à une perpétuelle quête d’achèvement à l’instar des créatures humaines ? Cette verticalité du bronze serait-elle l’expression d’une élévation spirituelle, une recherche de perfection ? Toutefois, ce chemin vers la perfection doit-il, à peine entamé, ramener inéluctablement à la finitude, à cette matière incertaine qui se décompose pour redevenir poussière ?

La peinture de Miró aux couleurs vives et joyeuses vient heureusement nous tirer de notre sombre rêverie pour nous rappeler qu’en art, comme dans la vie, rien n’est écrit de manière inéluctable et que s’ouvrent, encore et à jamais, tous les infinis possibles... !

Jocelyne Ghannagé : www.joganne.com
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