Au Liban, les pêcheurs peinent à survivre
Dans un pays qui se nourrissait jadis de la mer, la pêche peine à retrouver ses marques d’antan. Les ressources en poissons se sont amenuisées en raison des pratiques sauvages, du manque de réglementation, de la destruction de l’habitat marin et de la pollution.


Musique: "Pro Sol, par Blue Comme Moi"


«Notre mer n’a plus de poissons! C’est comme si on pêchait dans une piscine!» À Jounieh, un pêcheur raccommode ses filets dans la petite baie du port. Il est déjà midi et il n’a toujours pas de poissons dans son panier. «Si votre caméra pouvait atteindre le fond, vous sauriez pourquoi les poissons se font de plus en plus rares dans notre mer», lance-t-il, en allusion aux déchets qui s’amoncellent dans les profondeurs.

Penché sur ses filets, il explique qu’«il y a vingt à trente ans, à chaque remontée d’un filet de pêche, nous tirions quelque 60 à 100 kilos de poissons». «Aujourd’hui, c’est à peine si nous réussissons à tirer un ou deux kilos, se désole-t-il. La situation vaut pour tous les pêcheurs dans d’autres régions.»

Les principales raisons de cette pénurie de poissons restent «les produits chimiques dont l’utilisation est largement répandue au Liban, s’indigne un autre pêcheur. Tous les résidus des usines, des tanneries, des carrières finissent dans la mer. De plus, il n’y a aucun contrôle sur la pêche. Certains pêcheurs utilisent des filets à maillage très serré qui devraient être interdits.»

De fait, la majorité des filets de pêche utilisés ont des maillages inférieurs aux 2x2 cm exigés par la loi. Leur utilisation a commencé durant la guerre civile et s’est largement répandue après que la flotte de pêche nationale a quadruplé, selon la FAO.

«La loi sur la pêche est archaïque», insiste Michel Bariche, spécialiste en biodiversité marine à l’Université américaine de Beyrouth. «Elle remonte à 1920 et n’est pas appliquée, poursuit-il. Il faut la moderniser de manière à répondre aux défis actuels du secteur.»

La côte libanaise abrite 44 ports de pêche et sites de débarquement qui accueillent environ 3.000 navires de pêche artisanale à petite échelle, selon un rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) paru en juin 2021. Le secteur de la pêche est représenté par 33 coopératives de pêcheurs, selon un rapport de l’Union internationale pour la conservation de la nature, datant de 2017. Sept syndicats/unions de pêcheurs représentent ceux qui œuvrent dans le métier, sachant que les pêcheurs ne bénéficient d’aucun contrat de travail ni de couverture sociale.

Moins 80% de ressources en poissons


Les ressources en poissons ont diminué de presque 80%, estime un autre pêcheur. «Ce phénomène a commencé il y a vingt ans, poursuit-il. Des espèces comme la saupe, le poisson-perroquet et le barracuda ont complètement disparu. Même le fameux rouget se fait rare.»

En revanche, une curieuse espèce est apparue ces derniers temps, lance un marchand de poissons  à Tabarja, issu d’une longue lignée de marins. «Nous le surnommons le poisson-plastique, tellement il y ressemble», précise-t-il. Berar Neaïmé, poissonnier à la longue et fière moustache de marin à Okaibeh, assure de son côté qu’une nouvelle espèce d’oursins se trouve sur le marché. «Ils sont aussi gros qu’une orange, mais insipides, affirme-t-il. Au Liban, nous avions l’habitude de trouver des oursins de taille normale. Les plongeurs les pêchaient alors qu’ils étaient encore petits. Ce qui les a empêchés de se multiplier. Nous n’en trouvons plus!»

Zakhia el-Azzi, vice-président de la coopérative de pêcheurs à Okaibeh, dénonce les effets de la pollution du littoral sur les espèces marines. «Les poissons pondent leurs œufs sur la côte parce que la température y est plus élevée, souligne-t-il. Mais les poissons ne peuvent pas y survivre, en raison de la pollution. Par ailleurs, nous ne trouvons plus une seule cigale de mer sur tout le littoral libanais. Il a été sauvagement chassé de sa tanière, car il se déplace lentement.»

Destruction de l’habitat marin

Des propos que confirme Michel Bariche. Il explique que les poissons natifs de la région Est de la Méditerranée ne sont plus aussi abondants qu’autrefois. «La pêche sauvage, fortement pratiquée sans aucune réglementation pour répondre à une forte demande, en reste la principale cause, souligne-t-il. À cela s’ajoute la destruction de l’habitat marin des poissons, comme les herbiers ou les récifs sous-marins, par les méthodes de pêche agressives, comme la dynamite, les constructions tout au long du littoral ou encore le déversement d’eaux boueuses. Sans oublier la pollution et le changement climatique.»

Les espèces non-indigènes, compétitrices à la niche écologique des espèces natives, menacent également la survie des poissons déjà affaiblis par la surpêche. «Ces espèces sont en forte augmentation, comme le poisson-lion originaire de la mer Rouge, précise M. Bariche. Par ailleurs, la saupe, l’une des espèces les plus communes en Méditerranée, est rarement trouvée au Liban parce qu’elle a été chassée de son habitat par le poisson-lapin, également originaire de la mer Rouge.»

Les principales espèces pêchées sont les sardines, les anchois, les dorades, les poissons à épines et les pageots, toujours selon la FAO. La production du secteur de la pêche ne pouvant couvrir la demande nationale, le Liban dépend des importations de poisson, qui ont atteint en moyenne 35.000 tonnes ces dernières années, avant de tomber à 12.800 tonnes en 2020.

Le mode de vie de la pêche traditionnelle risque ainsi de disparaître dans le contexte actuel du secteur qui rend le métier de la pêche peu attrayant pour la jeune génération.

 
Commentaires
  • Aucun commentaire