Berry ou personne !
L'insistance affichée par le tandem chiite pour reconduire le président Nabih Berry à la présidence du Parlement a dissipé toute illusion de changement, née chez le peuple libanais au lendemain des élections législatives. Cette illusion balayée chez certains, mais pas pour tous les Libanais, provient en premier lieu de la loi électorale en vigueur qui a permis au Hezbollah de faire élire au Parlement 27 députés chiites sur 27.

Partant, il devient impossible de désigner une personnalité chiite pour briguer la présidence du Parlement, autre que Nabih Berry, qui occupe ce poste depuis trente ans. Face à cette réalité, les adversaires de Nabih Berry, le candidat du Hezbollah, se retrouvent complétement démunis. Soit ils acceptent qu’il soit reconduit, soit le Parlement se retrouve sans président, ce qui ne sera pas sans conséquence sur la présidence de la République, puisqu'il est devenu interdit d'avoir une personnalité maronite à la tête de l’État qui ne soit pas nommée par le Hezbollah et imposée aux Libanais et au monde entier.

Il est à craindre que le vide régnera en maître mot après les élections. Cette appréhension provient des nombreux points d'interrogation concernant la voie qu’emprunteront les députés indépendants issus du mouvement de contestation du 17 octobre 2019, sachant que leur efficacité et leur capacité à induire un changement sont limitées. Concrètement, on redoute que le Liban n'entre dans un vide à tous les niveaux. En d’autres termes, un vide au niveau de la présidence du Parlement, puis de la présidence de la République et du gouvernement. Éviter le vide en l'absence du retour de Nabih Berry à la tête du Parlement, au regard de tout ce qu'il représente, sera impossible. Indépendamment du fait que Nabih Berry est une personnalité politique aguerrie, il représente une continuation du système existant, un système fondé sur deux équations : les armes qui protègent la corruption d’une part, et celles (qui se trouvent entre les mains du Hezbollah) qui sont plus importantes que les élections et leurs résultats, d’autre part.

S'il est encore prématuré d’évaluer les résultats des élections, il est cependant plus aisé de faire le bilan du mandat de Michel Aoun et de son gendre Gebran Bassil, un mandat que leurs aficionados qualifient de «mandat fort». Pendant ce mandat, l'électricité s’est retrouvée aux abonnés absent, le port de Beyrouth a été pulvérisé, l'éducation est aux oubliettes, les moyens de subsistance se font rares, et le secteur bancaire s'est effondré... sans compter la vague de départ des chrétiens qui pouvaient émigrer.

En effet, le «régime fort» a surtout réussi à détruire les institutions libanaises et à bloquer les moyens de subsistance du peuple libanais, de manière qu'il n’ait d'autre choix que celui d'émigrer. Le problème est simplement que Michel Aoun appartient à une école qui œuvre à contrôler le Liban et à le maintenir sous la coupe de l'Iran. Gardons à l’esprit que Michel Aoun a accepté d'accéder au palais de Baabda comme candidat du Hezbollah.

Cette école est celle du racisme, de l'ignorance et de la haine de tout succès. Une école qui croit que les chrétiens du Liban peuvent recouvrir leurs droits grâce aux armes d'une milice sectaire appelée Hezbollah. Une milice qui n'est rien d'autre qu'une brigade des Gardiens de la Révolution iraniens. Cette dernière ne peut qu'entraîner le Liban vers d’autres cataclysmes après avoir réussi, grâce à Michel Aoun et Gebran Bassil, à l'isoler sur la scène arabe.


Depuis son accès au palais de Baabda à la tête d'un gouvernement intérimaire en 1988, Michel Aoun enchaîne les exploits. À cette époque, il avait mené deux guerres dans le but d’accéder à la présidence de la République. La première étant dirigée contre les musulmans et s'appelait la «guerre de libération», et la seconde, dirigée contre les chrétiens, s'appelait la «guerre d'élimination». Utilisant les brigades de l'armée libanaise qui lui étaient fidèles, Michel Aoun avait attaqué les positions syriennes au Liban, faisant des victimes parmi les citoyens libanais et non les soldats syriens. Puis il avait enchaîné avec une équipée contre les Forces libanaises, pensant satisfaire ainsi le président syrien Hafez al-Assad qui le propulserait à la présidence de la République...

La situation actuelle au Liban, où la pauvreté augmente à un rythme alarmant, n’est qu’une suite logique au parcours de Michel Aoun. Par conséquent, le processus d'isolement du Liban du monde arabe n'était qu'un épiphénomène dans un jeu bien plus grand qui risquerait d’emporter à jamais le pays.

Le Liban perd progressivement la quintessence de sa raison d’être, à un moment où le «régime fort» arrive à son terme en octobre prochain, soit dans cinq mois et quelques jours.

Où les élections ont elles mené le Liban et les Libanais ? Cette question se posera avec acuité lorsque les parlementaires, y compris les députés du mouvement de la contestation, découvriront qu'ils n'ont qu'un choix, à savoir élire Nabih Berry comme président du Parlement... sinon ce sera le vide. Le Hezbollah aura réussi une fois de plus à imposer sa volonté aux Libanais qui n'auront d'autre choix que de se plier aux desiderata de la formation armée, qui décide de la guerre et de la paix dans le pays. Ce sera le bulletin de Nabih Berry ou personne... Nabih Berry ou le vide.

 
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