Raï: Le peuple souffre et l’État est indifférent
Le patriarche maronite Béchara Raï a dénoncé dimanche le fait que «certains juges sont des outils policiers aux mains des autorités et de personnes influentes» et critiqué le fait que le ministre sortant des Finances, Youssef Khalil, refuse de «signer le décret des permutations judiciaires» qui permettrait au juge Tarek Bitar, chargé d’enquêter sur la double explosion au port le 4 août 2020, de poursuivre son enquête.

Le patriarche maronite, Béchara Raï, a dénoncé dimanche l’indifférence dont fait preuve l’État vis-à-vis du peuple qui vit la catastrophe. «Nous n’aurions jamais imaginé que l’indifférence et l’irresponsabilité pouvaient atteindre ce stade», a-t-il lancé dans son homélie. Mgr Raï a présidé l’office divin en l’église Saint-Antoine-de-Padoue à Baabdate, village natal des bienheureux Thomas Saleh et Léonard Melki, au lendemain de la cérémonie de leur béatification.

«C’est la tendance au blocage et la mentalité de la destruction», a critiqué Mgr Raï, soulignant que le «peuple vit une catastrophe». Il a énuméré dans ce cadre la chute vertigineuse de la livre face au dollar sur le marché noir, la pénurie des médicaments qui «met la vie des malades en danger», la fermeture de plusieurs établissements scolaires et hospitaliers, la hausse des prix qui dépasse «les moyens de nombreux ménages», le «nombre des réfugiés qui a dépassé celui de la moitié des Libanais»… Selon le HCR, le Liban accueille quelque 1,5 million de réfugiés syriens et plus de 13.700 réfugiés d’autres nationalités. «Qui aurait cru que le Liban, phare de l’Orient, pouvait atteindre ce gouffre?» s’est demandé Mgr Raï.


S’en prenant à la justice, Mgr Raï a critiqué le fait que «certains juges sont des outils policiers aux mains des autorités et de personnes influentes». «La vengeance est devenue le moteur pour les convocations, les poursuites et les arrestations», a-t-il constaté, soulignant que «les grands dossiers sont gelés, avec, en tête de liste» celui de l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020. Il a dans ce cadre dénoncé le fait que le ministre sortant des Finances, Youssef Khalil, refuse de «signer le décret des permutations judiciaires» de six des dix présidents des chambres de la Cour de cassation, «ce qui encourage les hors-la-loi à poursuivre dans leurs crimes». Ces nominations permettront à la cour de se réunir et d’examiner les recours présentés contre le juge Tarek Bitar, chargé d’enquêter sur la double explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020, afin qu’il puisse poursuivre son enquête. «N’ont-ils pas honte vis-à-vis des familles des victimes du port?» s’est demandé le patriarche Raï, estimant qu’il est du «devoir du peuple, qui constate que le jeu des intérêts se renouvelle au lendemain des législatives, de lutter pour récupérer ses droits, empêcher la chute du Liban et sauver la vie nationale».

Mgr Raï a en outre salué «les sacrifices de l’armée dans sa lutte contre les hors-la-loi» et rendu hommage au caporal Zein el-Abeddine Chams, 28 ans, tué vendredi lors des affrontements qui avaient opposé une unité de l’armée à des repris de justice à Charawné, à Balbeck. Il a insisté dans ce cadre sur le rôle de l’armée dans la préservation de la sécurité. «Ces constantes sont la base de la réussite de tout dialogue national, qu’il soit mené sous parrainage extérieur ou dans le cadre d’une rencontre locale», a affirmé Mgr Raï. «Certaines parties officielles et politiques nient ces constantes et essaient de créer un Liban coupé de son histoire, ce qui entrave d’emblée le dialogue que nous estimons être le seul langage qui doit prévaloir pour faire sortir le Liban de sa crise».

Et Mgr Raï de conclure: «Il est inacceptable que l’État soit le maillon faible. Il est inacceptable que l’affaiblissement de l’État soit le but commun à la majorité des forces politiques. Il n’est pas acceptable que les forces politiques – anciennes et nouvelles – appellent au changement et optent pour des pratiques qui mènent à un changement dans le pays et non dans l’État. Il n’est pas non plus acceptable que les parties politiques se considèrent comme ennemies, alors que le pays a besoin d’une réconciliation sur des bases nationales claires.»
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