Siniora: Nous avons eu raison du boycottage
Recevant des journalistes à son bureau de la rue Bliss, l’ancien Premier ministre préconise une présidentielle anticipée, quitte à amender la constitution, «pour atténuer la douleur des Libanais», à quatre mois de la fin du mandat de Michel Aoun.

L’ancien Premier ministre Fouad Siniora est déterminé à maintenir son engagement «politique national», sans convoiter de poste politique, et se félicite d’avoir contribué à mettre en échec le boycottage des élections qu’aurait pu induire la suspension de l'activité politique de Saad Hariri.

Même si une opposition parlementaire à même de faire contrepoids au Hezbollah et aux pratiques du mandat n’a pas encore pris forme, Fouad Siniora appelle à être patient. «Nous avons vécu un séisme (électoral) et les plaques tectoniques ne se sont toujours pas stabilisées», répète-t-il, lors d’une discussion à bâtons rompus mercredi avec des journalistes dans son bureau de la rue Bliss.

C’est avec un même optimisme qu’il fait le point sur les législatives en relevant plusieurs «victoires», malgré la défaite de candidats sunnites-clés qu’il soutenait, notamment à Beyrouth II, Saïda et la Békaa-Ouest-Rachaya.

Sept candidats victorieux

Dans les sept circonscriptions où il était impliqué (Beyrouth II, Tripoli et Saïda, le Chouf, Baalbeck-Hermel, la Békaa-Ouest-Rachaya, Zahlé), il affirme avoir contribué à la victoire de sept députés: Fayçal el-Sayegh à Beyrouth II (candidat du Parti socialiste progressiste sur la liste soutenue par Siniora), Abdel Aziz el-Samad et Ahmad el-Kheir à Tripoli sur la liste de l’ancien député Moustafa Allouche, candidat malheureux aux élections, Bilal Hocheimi à Zahlé, Waël Bou Faour (PSP) et Ghassan Skaff à Békaa-Ouest-Rachaya, et Saïd el-Asmar à Jezzine.

Fouad Siniora salue aussi «le passage d’une majorité à une autre, même si celle-ci est pour l’instant morcelée et disparate».

Une troisième victoire résiderait dans le fait que «les grands symboles du pays n’ont pas gagné», indique-t-il, en référence notamment à l’amenuisement du groupe du Courant patriotique libre, relevant du régime.

Induire un changement

Et par-delà les calculs arithmétiques, «nous avons prouvé que le boycottage n’était pas un bon choix», et «nous avons prouvé la possibilité du changement (…) et notre capacité à l’induire».

«N’y a-t-il pas eu deux percées à Sud III ? Imaginez ce qu’il y aurait pu y avoir si la participation avait été plus grande?», ajoute-t-il.

Même si le sursaut électoral ne s’est pas forcément traduit en voix favorables à Fouad Siniora, mais plutôt en votes pour des listes issues de la contestation, l’ancien député continue de le valoriser comme antidote au boycottage: «Dès le début, j’ai appelé à voter pour le principe», indépendamment de l’orientation du vote.

Autocritique 

Il inclut dans le décompte de ses sept victoires, celles de ses alliés, à savoir Walid Joumblatt, Samir Geagea et d’autres personnes souverainistes, auxquels il avait dit que «l’important n’est pas combien de sièges chacun de nous remporte individuellement mais combien nous remportons ensemble, dans le cadre de la ligne souverainiste».

Il reconnaît cependant sans plus de détails les limites des choix électoraux qu’il a pris avec ses alliés. «Nous n’avons pas fait autant qu’il aurait fallu faire». Il rappelle s’être engagé dans la course électorale «avec 45 jours de retard», face à des rivaux «mais aussi à des parties qui le sont devenues alors qu’elles n’étaient pas censées l’être» (dans une allusion à peine voilée à Saad Hariri et d’anciens cadres du Courant du Futur).

Il estime toutefois possible de bâtir sur les résultats des élections. C’est d’ailleurs «une action politique cumulative» qu’il envisage de mener, dans un pays qui se prête mal selon lui aux actions subversives.

Il dit avoir l’ambition d’être «un homme d’État et non un homme politique», et situe son action sur le terrain libanais national, arabe et sunnite.


Le sunnisme par-delà la communauté

Le fait que la communauté sunnite soit majoritaire, selon lui, ajoute aux responsabilités de celle-ci sans lui accorder de privilèges ni de droits supplémentaires par rapport aux autres communautés. Répartie aux quatre coins du pays, elle a pour «rôle d’être le ciment de la mosaïque libanaise (…) du vivre-ensemble». «D’aucuns essayent de forcer les sunnites à agir comme une communauté pour justifier leur propre fanatisme», dit-il, en rappelant qu’il appelait lui-même en 2007 et en 2009 à ne pas faire du sunnisme une confession, dans un sens identitaire.

Fouad Siniora affirme ainsi s’opposer à l’idée de confier un rôle politique à Dar el-Fatwa, en dépit de la fonction «fédératrice fondamentale» de cette autorité religieuse. Il rejette ainsi une désignation du Premier ministre sunnite sur une base strictement sunnite. Il précise en même temps que «la communauté sunnite n’est pas un terrain ouvert» aux candidatures aléatoires.

De la même manière, il rejette la logique aouniste qui a voulu que le choix du président de la République soit avant tout un choix chrétien. «Notre constitution est celle d’un État civil et non d’un État confessionnel», relève-t-il, en citant les articles 12 et 95 de la constitution.

Une majorité nationale autour d’un Premier ministre

S’il confie que des efforts sont en cours pour unifier la position autour du nom d’un Premier ministre, il confie ne pas soutenir de candidat en particulier et contourne une question sur un possible retour au club des anciens chefs de gouvernement.

Prié de définir le fondement actuel de la légitimité sunnite, il répond que «la légitimité est au Parlement». Comment remédier alors à l’éclatement de la représentation sunnite au sein de la Chambre? «Nous sommes dans une situation d’absence de poids, mais viendra un temps où les choses se remettront en place».

Il révèle qu’un travail est en cours pour constituer le «noyau dur» d’une dynamique de recouvrement du pouvoir de décision libre de l’État. «Nous comptons sur une majorité pluricommunautaire pour désigner un Premier ministre», dit-il, même s’il reconnaît que «le Hezbollah est le seul pour l’instant à avoir un bloc cohésif». Fouad Siniora défend en tout état de cause un retour au jeu de la majorité au pouvoir face à l’opposition, plutôt que la formation d’un cabinet d’union nationale.

Présidentielle anticipée

En attendant, il appelle le président de la République à respecter la constitution et son serment en entamant les consultations parlementaires contraignantes pour désigner un Premier ministre. Ces consultations sont contraignantes autant par leur tenue (même si la constitution ne mentionne pas de délai) que par leurs résultats, souligne-t-il. Il met en garde contre une tentative du chef de l’État de trancher officieusement la formation du cabinet avant de procéder à la désignation du Premier ministre, comme il l’avait fait lorsqu’il suspendait la désignation de Saad Hariri à des conditions relatives à sa quotepart au sein du cabinet. Il rappelle que le président de la République n’est pas responsable comme l’est le Premier ministre, et ce n’est donc pas à lui de former le cabinet, mais au chef du gouvernement qui en assume les conséquences devant le Parlement.

Il prévoit d’ici à la fin du mandat de Michel Aoun «quatre mois où certains vont jouer la montre». Fouad Siniora préconise donc, «pour atténuer la douleur des Libanais», une présidentielle anticipée, même au-delà du délai «d’un à deux mois» avant la fin du mandat prévu par la constitution, quitte à l’amender.

Échec de la théorie du président fort

Il rejette en outre la méthode restreignant aux quatre leaders chrétiens traditionnels, y compris son allié Samir Geagea, les candidatures à la présidentielle. Cette méthode, qui a fait parvenir Michel Aoun à Baabda, s’est avérée en contradiction avec le rôle fédérateur du chef de l’État, «qui ne doit pas être le président d’une partie des Libanais mais capable de rassembler tous les Libanais».

«Nous avons atteint un stade où les anciennes pratiques ont prouvé leurs limites et ne servent plus», comme l’idée de «président fort» telle que véhiculée par Michel Aoun, c’est-à-dire un président fort dans sa seule communauté. Il préconise «une présidence de la République en harmonie avec une présidence du Conseil», sans quoi aucun redressement ne serait envisageable, face aux «scénarios du Venezuela et de l’Iran qui nous sont proposés».

Les frontières maritimes

Il s’exprime enfin sur les frontières maritimes en défendant la Ligne 23, entérinée par son gouvernement puis par le gouvernement de Nagib Mikati en 2011. Un comité d’experts incluant des officiers de l’armée et des fonctionnaires représentant les différentes parties politiques a décidé en 2009 que cette ligne est plus favorable que celle proposée par le bureau hydrographique britannique (UKHO), et récemment défendue comme étant la Ligne 29, demande maximaliste qui vient d’intégrer le débat, provoquant des divisions injustifiées selon lui autour de la position que devrait défendre le Liban.

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