Débat à l’USJ sur les médias et l’éthique journalistique
La désinformation accentuée par la prolifération des réseaux sociaux impose de plus en plus au journaliste de faire preuve de rigueur et au lecteur d’avoir un esprit critique, notamment à l’ombre de la situation actuelle au Liban. Un thème discuté à l’occasion d’un débat organisé par le Master Info. Com. de l’Université Saint-Joseph.

Une table ronde a réuni à l’Université Saint-Joseph (USJ) trois journalistes de différents horizons et un colonel des Forces de Sécurité Intérieure (FSI) qui ont exposé leur vision de la question de l’éthique dans la profession de journaliste. La table ronde, organisée par le master Info. Com. de l’USJ, avait pour thème “Entre éthique et clientélisme : les médias libanais, du 17 octobre aux élections législatives”.

Les étudiants du master Info. Com. (et d’autres départements de la faculté des Lettres et des sciences humaines de l’USJ) ont pu ainsi débattre de l’exercice du métier de journaliste, notamment au Liban, avec Michel Touma (directeur de la rédaction à Ici Beyrouth), le colonel Joseph Moussallem (chargé des relations publiques aux Forces de Sécurité intérieure), Charbel Maroun (rédacteur en chef de la Voix du Liban), et Khaled Soubeih (journaliste à l’AFP).

Le débat a principalement porté sur certains codes éthiques tels que respectés - ou pas - dans différents types de médias, tant sur le plan international que libanais. Michel Touma, interrogé sur son passage récent du quotidien L’Orient-Le Jour à Ici Beyrouth, a souligné que sa décision à cet égard a été motivée par deux facteurs : la volonté de contribuer à la fondation d’un média qui soit engagé de façon plus claire, plus nette et sans équivoque dans le courant souverainiste, d’une part, et qui ait les caractéristiques d’un « média global », d’autre part, c’est-à-dire qui soit le reflet de la convergence de deux mondes médiatiques qui devraient être complémentaires, celui de la presse écrite et celui  de l’audiovisuel, le tout reposant aussi sur un vaste usage du graphic design et des réseaux sociaux.

Abordant la question de l’éthique journalistique, M.Touma a souligné que face aux nombreux défis et problèmes auxquels est confronté le monde actuellement, notamment au Liban et dans la région, un journaliste « ne peut pas être neutre ». « Un journaliste doit s’engager dans la défense de grandes causes nobles, sans pour autant être partisan, dans le sens réducteur du terme », a-t-il précisé, ajoutant qu’il est nécessaire de faire preuve « d’honnêteté intellectuelle » dans un tel engagement et surtout de « ne pas verser dans les attaques personnelles et la diffamation car le respect de l’individu doit prévaloir, même s’il n’est pas du même bord que nous ».

Interrogé sur la performance médiatique du mouvement de contestation du 17 octobre, M. Touma a estimé qu’elle « n’a pas été à la hauteur de la crise ». « Au-delà du premier élan impulsif de ras-le-bol, totalement légitime et justifié, a-t-il relevé, le mouvement de contestation a été nébuleux et manquait de cohérence en raison de l’absence de dénominateur commun et de projet politique crédible, ce qui a eu pour conséquence une performance médiatique médiocre ».

Charbel Maroun

L’intervention du rédacteur en chef de la Voix du Liban (Kataëb). Charbel Maroun, a porté principalement sur des cas d’absence d’éthique au niveau de certains médias audiovisuels qui, lors des dernières élections législatives, ont enregistré des gains substantiels en invitant les candidats qui avaient les moyens de verser des montants importants pour passer à l’antenne et booster ainsi leur campagne électorale. «Ces montants ont dépassé largement le plafond des dépenses électorales autorisées par la loi, et dans un autre pays, ils auraient abouti à l’invalidation de l’élection du candidat», indique Charbel Maroun.


Le rédacteur en chef de la VDL a déploré dans ce cadre la faillite du Conseil national de l’audiovisuel (CNA) qui s’abstient d’assumer son rôle, notamment au niveau du contrôle du financement des médias, de sorte que ces derniers finissent par être financièrement totalement dépendants de partis politiques. Pour Dr Maroun, les médias doivent assurer leur pérennité essentiellement à travers les publicités, et non pas par le biais du financement de certaines parties ou des pôles d’influence. A défaut, a souligné M. Maroun, les médias deviennent totalement dépendants de ceux qui les financent au lieu d’être des vecteurs d’information qui reflètent autant que possible les orientations de l’opinion publique et qui permettent à ces médias de jouer réellement leur rôle de quatrième pouvoir.

La vision des FSI

À son tour, c’est en citant Montesquieu, qui a élaboré la théorie de la séparation des pouvoirs (judiciaire, législatif et exécutif) que le colonel Joseph Moussallem a exposé aux étudiants présents sa vision de ce que devrait être le quatrième pouvoir et du rôle que les journalistes devraient assumer au niveau du respect des codes éthiques. À titre d’exemple, il a cité certains commentaires qui ont abondé sur les réseaux sociaux durant la contestation du 17 octobre. Dans ce cadre, des membres des FSI présents durant les manifestations se sont vus critiqués pour leur attitude, parfois agressive, face aux manifestants. Cela a déclenché des campagnes contre les agents des FSI, certains activistes s’empressant de poster les photos et les noms de quelques membres des FSI sans s’assurer au préalable que ces derniers sont réellement coupables d’exactions gratuites. « Avant de stigmatiser une personne publiquement, il faut d’abord que le pouvoir judiciaire se prononce sur la véracité de l’accusation », a souligné le colonel Moussallem.

Conformément à l’éthique professionnelle et à la législation en vigueur, l’identité d’un suspect ne doit pas être mentionnée tant qu’il n’a pas été reconnu coupable par le tribunal, a relevé le colonel Moussallem qui a dénoncé à cet égard le fait que nombre d’éléments des FSI se sont fait faussement attaquer à travers les réseaux sociaux, ce qui a eu pour résultat leur révocation, sachant que la crise économique aiguë que traverse le Liban actuellement a fortement atteint les membres de l’armée et des forces de sécurité, du fait que leurs salaires sont au plus bas.

L’information fragmentée  

De son côté, Khaled Soubeih, coordinateur de la vérification (fact checking) des informations à l’AFP a évoqué le problème des informations “fragmentées”, déplorant le fait que dans certains cas, les médias n’exposent qu’un seul aspect d’un problème qui se pose au pays au lieu d’aborder tous les aspects de manière plus crédible. De même pour les nouvelles diffusées sur certaines chaînes de télévision, qu’il critique pour leur présentation des informations sous le seul angle du point de vue de la chaîne.

Affirmant que l’opinion publique a besoin d’informations « équilibrées et non fragmentées », M. Soubeih a critiqué également la ligne de conduite des médias locaux et internationaux qui durant la pandémie du Covid-19 ont donné la parole à des “pseudos-professionnels” qui ont transmis de fausses informations en matière de santé, mettant des vies en danger, ce qui reflète, a-t-il souligné, un manque d’éthique et de responsabilité de la part des médias.

Ce débat a été clôturé par l’intervention de quelques étudiants en Info. Com. et par des propositions intéressantes avancées par les intervenants afin de trouver les moyens de s’assurer que ce quatrième pouvoir qu’est le journalisme, soit toujours performant de manière libre, en respectant des codes éthiques et moraux. Le colonel Moussallem a notamment proposé à ce sujet la création, dans le cadre des facultés de journalisme, d’un observatoire médiatique qui veillerait au respect de l’éthique professionnelle.
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