En Turquie, les musiciens dans le viseur des conservateurs
©La chanteuse Melek Mosso - Crédit: Yasin Akgul / AFP
Sa tenue décolletée et ses propos féministes l’ont privée de scène. Avec ses épaules nues et tatouées, la chanteuse pop Melek Mosso est tout ce que détestent les conservateurs turcs qui tentent de reprendre en main la vie musicale du pays.

À l’approche des élections présidentielles et législatives, prévues en juin 2023 et qui s’annoncent périlleuses pour le président Recep Tayyip Erdogan et son parti islamoconservateur, l’AKP, tout est bon pour flatter les franges les plus conservatrices de l’électorat. Concerts annulés, festivals interdits : de nombreux musiciens turcs n’ont pu monter sur scène ces derniers mois en raison de comportements jugés « inappropriés » ou parce qu’ils chantent dans une langue régionale.

La mairie d’Isparta (centre), où devait se produire Melek Mosso début juin, a cédé à un groupe conservateur qui l’accusait d’attitude « immorale » et s’émouvait de sa tenue vestimentaire. Mais ses appels aux femmes à s’habiller et s’exprimer librement étaient tout autant visés.

La chanteuse a dénoncé ceux qui « questionnent sa moralité » et promis que, tôt ou tard, elle reviendrait chanter dans la capitale des roses de Turquie.
Fin mai, le festival de musique AnadoluFest d’Eskisehir (centre) a lui aussi été interdit par le gouverneur après les appels d’un groupe islamo-conservateur qui s’insurgeait que « des filles et garçons y campent ensemble » et dénonçait « des scènes inappropriées dues à la présence d’alcool », selon les médias locaux.

Des milieux qui tentent de « façonner la société »

« Ces interdictions sont inacceptables », juge Recep Ergul, de l’Union professionnelle des auteurs d’œuvres musicales, qui s’inquiète de voir ces milieux tenter « de façonner la société » en cherchant à contrôler la culture.
Avec les chanteurs de variété ou idoles pop, ceux qui chantent dans des langues des minorités de Turquie sont particulièrement visés.

Ainsi, l’artiste d’origine kurde Aynur Dogan, tout comme Niyazi Koyuncu, qui chante dans les langues de la Mer noire, ou encore Metin et Kemal Kahraman, musiciens d’origine zaza (communauté kurde parlant le zazaki), ont vu leurs concerts annulés.

Tous ont été jugés « inappropriés » par les mairies AKP des villes où ils devaient se produire.

Apolas Lermi, dont le répertoire puise dans les mélodies traditionnelles de la mer Noire, s’est attiré les foudres des responsables locaux après avoir affiché sa solidarité avec un musicien grec, Matthaios Tsahouridis, accusé par des milieux nationalistes turcs de tenir des propos « hostiles à la Turquie ».

En mai, un concert de M. Tsahouridis a été annulé à la dernière minute par l’équipe de football de Trabzon (nord-est), le Trabzonspor, qui l’avait initialement invité pour fêter son titre de champion de Turquie.


M. Lermi a alors refusé, par solidarité, de monter sur scène.

« Un politicien m’a accusé sur Twitter d’être un ennemi de la Turquie, un séparatiste », déplore le chanteur qui, outre un lynchage subi dans les médias et sur les réseaux sociaux, a vu deux de ses concerts annulés à la dernière minute par des organisateurs, dont un par la mairie AKP de Pamukkale (ouest).

Ces annulations à répétition ont été condamnées fin mai par les barreaux de 57 villes.

« Ces décisions arbitraires sont discriminatoires pour les langues, les cultures, les modes de vie et les genres. (...) Nous rejetons ces interdictions archaïques », ont-ils déploré dans un communiqué.

« Ils essaient de nous faire peur » …

Des interdictions ont aussi frappé en cette fin d’année universitaire des « festivals de printemps » organisés sur les campus, provoquant un tollé sur les réseaux sociaux et un élan de solidarité envers les musiciens visés.

Début juin, une foule impressionnante a ainsi convergé place de Sishane, à Istanbul, pour un concert de Melek Mosso autorisé par la mairie d’opposition.

« Ils essaient de nous faire peur et d’écarter les femmes de la vie publique. Mais nous n’allons pas les laisser faire », assurait au pied de la scène Ezgi Aslan, venue « exprès » pour afficher sa solidarité.
Le ministre de la Culture Mehmet Nuri Ersoy réfute ces accusations.
« Nous soutenons l’art et la culture. Notre ministère ouvre plus que jamais la voie aux festivals », a-t-il affirmé à une télévision privée. Mais ces interdictions contribuent à ternir l’image du président Erdogan auprès des jeunes.

« Annuler des festivals ou interdire les artistes... Arrêtez ça ! », a lancé récemment le maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu, une des figures de l’opposition.
« Un environnement libre pour l’art et la culture est un élixir de jeunesse pour la société. Nous en produirons en abondance », a-t-il promis.

AFP
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