Et si l’on entrait dans l’Histoire par la cuisine? Derrière les grands noms qui ont marqué leur époque se cachent souvent des plats simples, obsessionnels ou inattendus, reflets d’un goût personnel et d’un contexte historique. Cette série explore des mets culte associés à des figures célèbres. À chaque épisode, un plat, une histoire, une recette fidèle à l’esprit de son temps. Pour ouvrir ce voyage gourmand, cap sur l’Amérique avec Elvis Presley et son mythique sandwich au beurre de cacahuète, à la banane et au bacon.
Il tient dans la main, se prépare en quelques minutes et ne revendique aucune sophistication. Pourtant, le sandwich au beurre de cacahuète, à la banane et au bacon est devenu l’un des emblèmes les plus persistants de la culture populaire américaine. Associé à Elvis Presley, il raconte une autre histoire du rock’n’roll : celle des nuits tardives, des plaisirs immédiats et d’une Amérique qui mange sans se justifier.
Dans l’Amérique d’après-guerre, le beurre de cacahuète est un aliment central. Économique, nourrissant, omniprésent dans les foyers, il accompagne l’enfance de toute une génération. La banane, fruit accessible et rassasiant, complète naturellement l’équation. Quant au bacon, il symbolise le petit-déjeuner copieux, le gras assumé et surtout la promesse d’énergie. Rien, dans cette association, n’est extravagant à l’origine. Elle relève d’une cuisine domestique simple, presque évidente.
Elvis Presley grandit dans cet univers. Même après l’explosion de sa célébrité, il reste fidèle à ces goûts élémentaires. À Graceland, le sandwich devient un rituel. Les récits concordent : Elvis le consomme souvent la nuit, après les répétitions ou les séances d’enregistrement, parfois à l’aube. Le geste est répétitif, rassurant. Le sandwich est souvent grillé, beurré, chaud, conçu pour apporter un plaisir immédiat. Il n’est pas question de gastronomie, mais de satisfaction.
Avec le temps, cette habitude privée devient une signature publique. Le sandwich prend un nom : « The Elvis ». La recette circule, puis se transforme. Certains affirment que le bacon est indispensable, d’autres soutiennent qu’Elvis préférait parfois une version plus simple, sans viande. Cette incertitude nourrit la légende. Peu importe la variante exacte: ce qui compte, c’est l’image d’un homme qui mange avec l’appétit de son époque, sans retenue.
À Graceland, la cuisine occupe une place singulière. Les employés évoquent des fringales imprévisibles et des envies nocturnes. Le sandwich au beurre de cacahuète et à la banane y circule comme un classique, rapide à préparer, toujours disponible. Plus la vie publique d’Elvis se charge de contraintes, plus ces plats simples prennent une valeur symbolique : ils ramènent à une forme de normalité, à un avant mythifié.
À partir de ce sandwich ordinaire, la légende d’Elvis change d’échelle et glisse vers la démesure. Le Fool’s Gold Loaf n’est plus un simple repas, mais une amplification spectaculaire de la même logique : un pain entier, évidé, garni d’un pot complet de beurre de cacahuète, de gelée de raisin et d’une quantité impressionnante de bacon croustillant. Selon un récit largement relayé, Elvis aurait même pris son jet privé en pleine nuit pour se rendre à Denver, uniquement afin d’en rapporter plusieurs exemplaires. Que l’anecdote soit enjolivée ou non importe finalement peu : à ce stade, le sandwich cesse d’être un plat pour devenir un récit.
Ce récit condense tout un imaginaire américain. Abondance sans limites et satisfaction immédiate des désirs. Le Fool’s Gold Loaf incarne une époque où la célébrité s’exprimait aussi par l’excès, où la frontière entre le quotidien et le spectaculaire se brouillait. Même rarement consommé, il s’impose comme une icône, au même titre que certaines voitures ou costumes du King.
Aujourd’hui, le sandwich d’Elvis a quitté l’intimité de Graceland pour entrer dans les livres de cuisine, les diners rétro et les menus à thème. Il est parfois revisité, parfois caricaturé. Il amuse, intrigue, choque parfois par sa richesse calorique. Mais sa persistance dit autre chose : la force d’un plat qui raconte immédiatement une histoire. En une bouchée, il évoque tout une époque et son rapport au plaisir.
Il ne s’agit pas de glorifier une alimentation excessive ni de réduire Elvis à ses habitudes alimentaires. Ce sandwich est un document culturel. Il témoigne d’un rapport frontal au désir, d’une cuisine populaire qui assume ses contradictions. À travers lui, c’est une certaine idée de l’Amérique qui se donne à goûter : généreuse, simple, parfois déraisonnable, mais profondément mémorable.
Recette du sandwich beurre de cacahuète, banane et bacon (version classique)
Ingrédients (pour 1 sandwich)
– 2 tranches de pain de mie blanc
– 2 cuillères à soupe de beurre de cacahuète crémeux
– 1 banane bien mûre
– 2 à 3 tranches de bacon
– Un peu de beurre pour la cuisson
Préparation
Faites griller le bacon à la poêle jusqu’à ce qu’il soit bien croustillant, puis réservez-le sur du papier absorbant. Tartinez une tranche de pain de beurre de cacahuète. Ajoutez la banane coupée en rondelles ou légèrement écrasée, puis disposez le bacon encore tiède. Refermez avec la seconde tranche de pain. Faites fondre un peu de beurre dans une poêle et faites dorer le sandwich des deux côtés, à feu moyen, jusqu’à obtenir une croûte bien dorée. Servez immédiatement.




Commentaires