La diffusion par la chaîne de télévision France 2 d'un entretien entre les présidents français et russe ayant eu lieu quatre jours avant que Moscou lance son assaut contre l'Ukraine a été vu d'un très mauvais oeil par Moscou. Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov s'est offusqué de la diffusion du documentaire qui inclut cet entretien: "L'étiquette diplomatique ne prévoit pas de fuites unilatérales de (tels) enregistrements", a relevé le ministre. Diffusion dans la presse de SMS, divulgation d'entretien téléphonique, correspondance confidentielle dévoilée: traditionnellement de rigueur en diplomatie, la règle du secret a été, à de rares reprises, écornée ces dernières années, à l'initiative de chancelleries comme à leur insu.
Cette question, à forte charge explosive dans le monde traditionnellement feutré de la diplomatie, a refait surface avec la diffusion d'un documentaire en France reprenant un bout de conservation téléphonique entre le président Emmanuel Macron et son homologue russe Vladimir Poutine.
L'entretien remonte au 20 février, quelques jours seulement avant le déclenchement de l'offensive militaire russe en Ukraine et a été diffusé sur la chaîne France 2 le 30 juin dans le cadre du documentaire "Un président, l'Europe et la guerre".
Au cours de cet échange tonique - parfois tendu -, dont seulement neuf minutes ont été diffusées, Emmanuel Macron ironise notamment sur les connaissances en droit "du juriste" du maître du Kremlin.
Poutine et Macron lors d'une rencontre autour de la fameuse table qui répond aux normes de la distanciation sociale au Kremlin. (AFP)
Cette entorse aux règles tacites de confidentialité n'a pas manqué de faire réagir le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov qui a souligné mercredi que "l'étiquette diplomatique" ne prévoyait "pas de fuites unilatérales de (tels) enregistrements".
Contactée par l'AFP pour savoir si elle avait prévenu en amont le Kremlin, la présidence française n'a souhaité faire aucun commentaire.
Le "secret est l'usage de rigueur dans les conversations diplomatiques, a fortiori entre chefs d'Etat, si on veut qu'elles soient productives", rappelle Aurélien Colson, professeur de sciences politiques et directeur de l'Institut de recherche et d'enseignement sur la négociation, à l'Essec, grande école de commerce près de Paris.
Le président français est le seul dirigeant occidental à vouloir garder une ligne de communication avec Poutine. (AFP)
"Quand on mène des pourparlers diplomatiques, en général on cherche à trouver une solution qui convienne à tout le monde. Et pour y parvenir, chacun va avoir besoin de dire à l'autre un certain nombre d'informations, mais il ne peut lui dire que si c'est entendu que cela reste confidentiel", ajoute-t-il.
"Il faut un minimum de confiance pour négocier", abonde l'ancien ambassadeur de France en Russie Jean de Gliniasty, et "quand vous n'avez plus cette confiance, cela devient très compliqué, donc cela se fait rarement, c'est considéré comme une mauvaise manière".
Et ce, peu importe la sensibilité des éléments révélés. Dans l'échange entre les présidents Poutine et Macron, aucun élément classé secret défense ou nouveau n'a été dévoilé au grand public.
"Ce n'est pas une conversation dans laquelle Poutine dit +si vous me laissez avoir Xkm2 du Donbass, plus l'accès à Ykm2 au bord de la mer Noire alors je suis prêt à....+", relève Aurélien Colson. "Là ça aurait été un secret substantiel révélé, a fortiori si personne n'avait été au courant qu'il y avait ce canal de communication. Or ce n'est pas le cas".
Malgré son attitude mesurée envers la Russie, Emmanuel Macron a maintenu la France au centre du monde occidental. (AFP)
Rare, la divulgation de notes confidentielles ou de verbatim téléphonique n'est toutefois pas inédite. Mais d'ordinaire, le secret diplomatique "est rompu par d'autres que des diplomates", souligne le spécialiste.
En 2010, ce n'est en effet pas l'administration américaine qui est derrière la fuite de 250.000 câbles diplomatiques révélant les dessous de la diplomatie des Etats-Unis, mais le site Wikileaks.
Depuis quelques années, la donne semble avoir toutefois légèrement changé.
En septembre 2020, la teneur d'un entretien entre M. Poutine et M. Macron au sujet de l'empoisonnement de l'opposant russe Alexei Navalny se retrouve dans les pages du quotidien Le Monde. Il y est notamment fait état des "parades artificielles" du président russe qui aurait parlé "avec mépris" de l'opposant.
L'insistance pour une solution négociée du conflit ukrainien a été accueilli avec beaucoup de scepticisme par le président Zelensky. (AFP)
Un an plus tard, Moscou diffuse une partie des correspondances confidentielles des ministres des Affaires étrangères français Jean-Yves Le Drian et allemand Heiko Maas adressées à leur homologue russe.
"Nous considérons cette démarche comme contraire aux règles et usages diplomatiques", réagit alors le Quai d'Orsay. A Berlin, la chancelière de l'époque, Angela Merkel, minimise, en estimant que la publication de cette correspondance n'avait "rien de surprenant" et en assurant n'avoir "rien à cacher".
Quelques semaines plus tôt, la divulgation d'un SMS adressé par Emmanuel Macron au Premier ministre australien d'alors, Scott Morrison, sur le méga-contrat de sous-marins avait fait la Une des journaux, conduisant à Paris réagir pour fustiger des "méthodes très inélégantes".
Reste à savoir l'impact de cette rupture de confiance sur des négociations en cours.
"Pour peu que l'on ait été responsable des intérêts de son pays à l'étranger, on se rend compte que le jour où il n'y aurait plus de secret dans la négociation il n'y aurait plus de négociation du tout", constatait le diplomate français Jules Cambon, en 1926.
Près d'un siècle plus tard, même analyse de la part de Jean de Gliniasty. Quand on rompt la confidentialité, "des discussions peuvent toujours continuer à se tenir, mais il y a le risque qu'il n'y ait plus de négociations au sommet".
"D'une certaine façon sur le plan diplomatique ca revient un peu à brûler ses vaisseaux", ajoute l'ancien ambassadeur.
L'invasion de l'Ukraine par la Russie coïncidait avec la présidence française de l'UE. Le président français avait donc un rôle décisionnel important. (AFP)
Pour une diplomate occidentale en fonction et ayant requis l'anonymat, "il est profondément regrettable de rendre publiques des conversations absolument confidentielles".
"La prochaine fois, peut-être que l'honnêteté et la sincérité ne seront pas totales", ajoute-t-elle. "Si on n'a plus, même au niveau de présidents, l'assurance que la conversation reste confidentielle, alors où est la diplomatie?"
Avec AFP
Cette question, à forte charge explosive dans le monde traditionnellement feutré de la diplomatie, a refait surface avec la diffusion d'un documentaire en France reprenant un bout de conservation téléphonique entre le président Emmanuel Macron et son homologue russe Vladimir Poutine.
L'entretien remonte au 20 février, quelques jours seulement avant le déclenchement de l'offensive militaire russe en Ukraine et a été diffusé sur la chaîne France 2 le 30 juin dans le cadre du documentaire "Un président, l'Europe et la guerre".
Au cours de cet échange tonique - parfois tendu -, dont seulement neuf minutes ont été diffusées, Emmanuel Macron ironise notamment sur les connaissances en droit "du juriste" du maître du Kremlin.
Poutine et Macron lors d'une rencontre autour de la fameuse table qui répond aux normes de la distanciation sociale au Kremlin. (AFP)
Cette entorse aux règles tacites de confidentialité n'a pas manqué de faire réagir le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov qui a souligné mercredi que "l'étiquette diplomatique" ne prévoyait "pas de fuites unilatérales de (tels) enregistrements".
Contactée par l'AFP pour savoir si elle avait prévenu en amont le Kremlin, la présidence française n'a souhaité faire aucun commentaire.
Usage de rigueur
Le "secret est l'usage de rigueur dans les conversations diplomatiques, a fortiori entre chefs d'Etat, si on veut qu'elles soient productives", rappelle Aurélien Colson, professeur de sciences politiques et directeur de l'Institut de recherche et d'enseignement sur la négociation, à l'Essec, grande école de commerce près de Paris.
Le président français est le seul dirigeant occidental à vouloir garder une ligne de communication avec Poutine. (AFP)
"Quand on mène des pourparlers diplomatiques, en général on cherche à trouver une solution qui convienne à tout le monde. Et pour y parvenir, chacun va avoir besoin de dire à l'autre un certain nombre d'informations, mais il ne peut lui dire que si c'est entendu que cela reste confidentiel", ajoute-t-il.
"Il faut un minimum de confiance pour négocier", abonde l'ancien ambassadeur de France en Russie Jean de Gliniasty, et "quand vous n'avez plus cette confiance, cela devient très compliqué, donc cela se fait rarement, c'est considéré comme une mauvaise manière".
Et ce, peu importe la sensibilité des éléments révélés. Dans l'échange entre les présidents Poutine et Macron, aucun élément classé secret défense ou nouveau n'a été dévoilé au grand public.
"Si vous me laissez avoir x km2 du Donbass"
"Ce n'est pas une conversation dans laquelle Poutine dit +si vous me laissez avoir Xkm2 du Donbass, plus l'accès à Ykm2 au bord de la mer Noire alors je suis prêt à....+", relève Aurélien Colson. "Là ça aurait été un secret substantiel révélé, a fortiori si personne n'avait été au courant qu'il y avait ce canal de communication. Or ce n'est pas le cas".
Malgré son attitude mesurée envers la Russie, Emmanuel Macron a maintenu la France au centre du monde occidental. (AFP)
Rare, la divulgation de notes confidentielles ou de verbatim téléphonique n'est toutefois pas inédite. Mais d'ordinaire, le secret diplomatique "est rompu par d'autres que des diplomates", souligne le spécialiste.
En 2010, ce n'est en effet pas l'administration américaine qui est derrière la fuite de 250.000 câbles diplomatiques révélant les dessous de la diplomatie des Etats-Unis, mais le site Wikileaks.
L'affaire Navalny
Depuis quelques années, la donne semble avoir toutefois légèrement changé.
En septembre 2020, la teneur d'un entretien entre M. Poutine et M. Macron au sujet de l'empoisonnement de l'opposant russe Alexei Navalny se retrouve dans les pages du quotidien Le Monde. Il y est notamment fait état des "parades artificielles" du président russe qui aurait parlé "avec mépris" de l'opposant.
L'insistance pour une solution négociée du conflit ukrainien a été accueilli avec beaucoup de scepticisme par le président Zelensky. (AFP)
Un an plus tard, Moscou diffuse une partie des correspondances confidentielles des ministres des Affaires étrangères français Jean-Yves Le Drian et allemand Heiko Maas adressées à leur homologue russe.
"Nous considérons cette démarche comme contraire aux règles et usages diplomatiques", réagit alors le Quai d'Orsay. A Berlin, la chancelière de l'époque, Angela Merkel, minimise, en estimant que la publication de cette correspondance n'avait "rien de surprenant" et en assurant n'avoir "rien à cacher".
Affaires des sous-marins "australiens"
Quelques semaines plus tôt, la divulgation d'un SMS adressé par Emmanuel Macron au Premier ministre australien d'alors, Scott Morrison, sur le méga-contrat de sous-marins avait fait la Une des journaux, conduisant à Paris réagir pour fustiger des "méthodes très inélégantes".
Reste à savoir l'impact de cette rupture de confiance sur des négociations en cours.
"Pour peu que l'on ait été responsable des intérêts de son pays à l'étranger, on se rend compte que le jour où il n'y aurait plus de secret dans la négociation il n'y aurait plus de négociation du tout", constatait le diplomate français Jules Cambon, en 1926.
Près d'un siècle plus tard, même analyse de la part de Jean de Gliniasty. Quand on rompt la confidentialité, "des discussions peuvent toujours continuer à se tenir, mais il y a le risque qu'il n'y ait plus de négociations au sommet".
"D'une certaine façon sur le plan diplomatique ca revient un peu à brûler ses vaisseaux", ajoute l'ancien ambassadeur.
L'invasion de l'Ukraine par la Russie coïncidait avec la présidence française de l'UE. Le président français avait donc un rôle décisionnel important. (AFP)
Pour une diplomate occidentale en fonction et ayant requis l'anonymat, "il est profondément regrettable de rendre publiques des conversations absolument confidentielles".
"La prochaine fois, peut-être que l'honnêteté et la sincérité ne seront pas totales", ajoute-t-elle. "Si on n'a plus, même au niveau de présidents, l'assurance que la conversation reste confidentielle, alors où est la diplomatie?"
Avec AFP
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