Quand le vinyle ne tourne plus rond
©AFP- Martin Bureau
Depuis le retour en verve du vinyle en France il y a cinq ans, c’était un marché de niche porteur, avec une progression de 10,2 % et 4,5 millions d’unités vendues en 2020 dans le pays, d’après le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep).

Désormais, il y a plusieurs grésillements autour des platines. D’abord, «une politique prix qui augmente déraisonnablement» et «met en péril notre marché du disque» comme l’ont consigné dans un communiqué récent le Syndicat des musiques actuelles (Sma) et la Fédération nationale des labels et distributeurs indépendants (Félin).

Car la pénurie de matière première -- dommage collatéral de la crise sanitaire qu’on retrouve dans d’autres secteurs industriels -- est répercutée par les majors du disque sur les prix de vente au détail du vinyle (il n’y pas de prix unique, contrairement au livre).

«Dans des dimensions délirantes», dénonce auprès de l’AFP Christophe Ouali, membre de la direction du Groupement des disquaires indépendants (Gredin). Ce responsable vise principalement Warner et Universal, ainsi que, dans une moindre mesure, Sony dont les hausses s’appliquent sur moins de références d’après ses constats.

«Jeu très malsain»


«Chez certaines majors, les prix sont montés à 30-40 euros, c’est un jeu très malsain», dit aussi à l’AFP Aurélie Hannedouche, du Sma. Sont concernés ce qu’on appelle les fonds de catalogues, soit les disques d’artistes emblématiques.

Christophe Ouali, qui constate des hausses médianes autour de 35 %, évoque un «calcul court-termiste criminel». Et d’illustrer : «+Nevermind+ de Nirvana (qui fêtait ses 30 ans cette année) a connu une baisse de 40 % des ventes en juin après augmentation ; l’album (culte) à la banane du Velvet Underground and Nico, en passant de 20 à 30 balles, a subi moins 80 % de ventes».

«Avec les confinements, certains ont remis des disques sur la platine et se sont refait une discothèque aux déconfinements, dans une frénésie de conso qui tape dans les stocks : quand +Harvest+ (incontournable de Neil Young) reviendra dans les bacs entre 45 et 50 euros, les clients ne vont pas prendre un crédit à la consommation pour l’acheter», tonne-t-il encore.


Les artistes aussi ont des sueurs froides. Dominique A, qui fêtera l’an prochain les 30 ans de son premier album «La fossette», s’est opposé sur Facebook à Warner qui voulait «opérer» sur le prix de ses vinyles «d’importantes majorations». Soit «contribuer à faire du disque un objet destiné aux privilégiés».

«On est à bout»


«La deuxième mi-temps du match sera peut-être sifflée en début d’année prochaine avec l’évaluation de l’effondrement des ventes. C’est beaucoup d’épuisement, on est à bout», souffle Christophe Ouali.

La pénurie (de polymère, indispensable au vinyle) provoque aussi un embouteillage dans les usines de pressage. C’est l’autre point qui fâche. Les majors du disque réservent «les chaînes de production, car elles ont de plus gros volumes, sont prioritaires», déplore Aurélie Hannedouche. Ce qui lèse les labels indépendants (1 500 en France, selon Sma et Félin) qui produisent aussi des vinyles.

Or, «la période des fêtes de Noël est très importante pour le marché physique des labels indépendants», poursuit la responsable du Sma. Les genres musicaux qu’ils représentent - comme le rock et la pop - ne peuvent pas se reposer sur le marché numérique, à la différence des musiques urbaines, esthétiques dominantes courtisées par les majors.

Et ceux placés sur liste d’attente doivent désormais absorber des délais de fabrication passés de 8-13 semaines «à 6-9 mois, c’est le temps d’une grossesse !», grogne encore Christophe Ouali.
Même en anticipant, les retards sont là, comme «Mr Maserati», best of de Baxter Dury, avec une sortie décalée du 3 décembre au 11 février 2022, chez Pias qui manque donc le rendez-vous sous le sapin.

L’AFP a sollicité les antennes françaises des majors. «Pas de communication», fait savoir Universal. Warner et Sony n’ont pas donné suite.

Par Philippe GRELARD
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