Saliba Douaihy a fait preuve d’un esprit de synthèse entre les atmosphères de la Renaissance et celles des montagnes du Liban et de leurs habitants. Ses acquis, tantôt classiques, tantôt baroques, s’y mélangent aux visages, aux villages et aux paysages de la Qadisha. Les couleurs et les lumières des montagnes s’y invitent en introduisant leurs tonalités enclines au mysticisme.
Saliba Antonios Douaihy est né à Ehden en 1915, avec le début de la Grande Famine qui sévit au Liban. Comme toutes les familles durant cette période de guerre mondiale, les siens connaissent des moments durs où il s’agit avant tout de survivre. Très croyants, ses parents l’appellent Saliba, qui signifie en syriaque la Croix.
La nef de Notre-Dame de Dimén vue vers l’ouest. Photo prise du site www.lebanoninapicture.com
Après la Grande Guerre, le Liban est mis sous mandat français et connaît une relance culturelle et artistique. Dès 1929, le talent du jeune Saliba âgé, de 14 ans, est remarqué par ses professeurs qui le présentent à l’artiste Habib Srour. Conquis, ce dernier l’emmène à son atelier de Beyrouth en tant qu’apprenti. Srour avait été lui-même formé en Italie à la peinture occidentale et cultivait ses affinités européennes. À cette époque, Beyrouth est une ville francophone tournée vers la France, et c’est tout naturellement qu’en 1932, Saliba remporte la bourse du gouvernement libanais qui lui permet de poursuivre ses études à l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris. Durant cette période parisienne, ses œuvres sont exposées dans plusieurs salons français de premier plan.
De Qannoubine à Diman
Diplômé en 1936, il rentre au Liban pour ouvrir son premier atelier qui deviendra le point de rencontre de l’élite beyrouthine assoiffée de renouveau et d’avant-garde. Très vite, il reçoit du patriarche Antonios Pierre Arida la commande pour les peintures murales et les voûtes de l’église patriarcale maronite de Diman. Il y réalise son chef-d’œuvre dans la continuité du manifeste artistique exprimé par le patriarche Estéphanos Douaihy en 1704 dans la grande fresque du Couronnement de la Vierge à Qannoubine.
Dans ces deux œuvres monumentales de Qannoubine et de Diman, la forêt des cèdres trône au cœur de la composition. À Qannoubine, l’artiste Boutros le Chypriote en a couvert l’intégralité de la scène, avec les processions de patriarches sur les deux côtés et la Vierge couronnée en son sommet. À Diman, la voûte de la nef présente sur toute sa longueur les flancs de la Qadisha qui culminent vers le cirque des cèdres au-dessus de l’abside.
Des scènes bibliques
L’osmose est totale entre les scènes des évangiles et la vallée sainte avec ses villages, ses cèdres et les sommets de montagnes rassemblés dans une vue panoramique. Au milieu de ce défilé, nous assistons à une douzaine d’épisodes de la vie de Jésus. Les personnages y sont tantôt en drapés de facture classique, tantôt vêtus à la manière des montagnards de la région.
Dans la première travée de la nef, trois scènes mariales présentent l’Immaculée conception, l’Annonciation et le Couronnement qui, comme à Qannoubine, fait appel à la peinture occidentale qui adjoint à la tradition chrétienne, la représentation du Père auprès du Fils et du Saint-Esprit. Dans la seconde travée, en avançant vers l’autel, la scène de la Transfiguration rappelle que selon la tradition maronite, le Christ aurait accompli cet acte dans la forêt des cèdres du Liban. En avançant encore par trame, toujours vers l’Orient, ce sont les scènes de la Crucifixion et de la Nativité, suivies de celle du Baptême et de la Résurrection, pour finir auprès de l’abside et des cèdres du Liban, avec la grande vision triomphale de l’Ascension.
La nef de Notre-Dame de Dimén vue vers l’est. Photo prise du site www.Najbkhalaf.com
Un manifeste
Si la fresque du Couronnement formait le manifeste du patriarche Estéphanos Douaihy, celle de Diman représente celui du patriarche Antonios Arida. Il se trouve que ces deux chefs de l’Église maronite étaient les plus grands défenseurs de la langue syriaque, de l’art et de l’héritage culturel dans leur pays. Pour eux, les peintures de Notre-Dame de Qannoubine et de Notre-Dame de Diman incarnent le sens qu’ils voudraient donner au Liban dans sa mystique et dans sa raison d’être.
Bien qu’inspirée par le classicisme, auquel s’ajoute une puissante lumière qui évoque le maniérisme d’un Pontormo (1494-1557) et d’un Greco (1541-1614), cette peinture est loin d’être restreinte à un académisme à l’occidentale. Saliba Douaihy a fait preuve d’un esprit de synthèse entre les atmosphères de la Renaissance et celles des montagnes du Liban et de leurs habitants. Ses acquis, tantôt classiques, tantôt baroques, s’y mélangent aux visages, aux villages et aux paysages de la Qadisha. Les couleurs et les lumières des montagnes s’y invitent en introduisant leurs tonalités enclines au mysticisme. Saliba Douaihy les déconstruit avec une sensualité et un brutalisme saisissants qui évolueront, dans une phase ultérieure, vers des réinterprétations empreintes de fauvisme.
La renommée
Cet artiste devenu représentant culturel du Liban de 1950 jusqu’à sa mort en 1994 a été exposé au Salon des artistes français à Paris (1934), au pavillon libanais de l’exposition universelle de New York (1939), au Musée Guggenheim, à la Argile Gallery de Londres (1988) et dans tant d’autres galeries à travers les États-Unis. Aujourd’hui, ses œuvres figurent parmi les collections du Butler Institute of American Art, du Albright Knox Museum et du MoMA (Museum of Modern Art).
Saliba Antonios Douaihy avait profondément saisi les traits de son pays, ses couleurs et ses lumières, mais aussi ceux de ses «peuples» qu’il avait représentés au pavillon de New York en 1939. Dans un style allant du classicisme au fauvisme, il a exprimé les vibrations de l’âme libanaise. Mais malgré cette puissance à la fois spirituelle et expressive dans son art figuratif, c’est surtout à partir de 1950 que son exploration des confins de l’abstrait fera sa renommée. Durant les années 1960, il sera perçu à New York comme le principal promoteur du style abstrait plat et dur de l’art, un style qu’il développera à partir de sa déconstruction caléidoscopique de la graphie syriaque.
Saliba Douaihy dans son atelier. Photo Tony Hage prise du site www.prestigemag.co
Saliba Antonios Douaihy est né à Ehden en 1915, avec le début de la Grande Famine qui sévit au Liban. Comme toutes les familles durant cette période de guerre mondiale, les siens connaissent des moments durs où il s’agit avant tout de survivre. Très croyants, ses parents l’appellent Saliba, qui signifie en syriaque la Croix.
La nef de Notre-Dame de Dimén vue vers l’ouest. Photo prise du site www.lebanoninapicture.com
Après la Grande Guerre, le Liban est mis sous mandat français et connaît une relance culturelle et artistique. Dès 1929, le talent du jeune Saliba âgé, de 14 ans, est remarqué par ses professeurs qui le présentent à l’artiste Habib Srour. Conquis, ce dernier l’emmène à son atelier de Beyrouth en tant qu’apprenti. Srour avait été lui-même formé en Italie à la peinture occidentale et cultivait ses affinités européennes. À cette époque, Beyrouth est une ville francophone tournée vers la France, et c’est tout naturellement qu’en 1932, Saliba remporte la bourse du gouvernement libanais qui lui permet de poursuivre ses études à l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris. Durant cette période parisienne, ses œuvres sont exposées dans plusieurs salons français de premier plan.
De Qannoubine à Diman
Diplômé en 1936, il rentre au Liban pour ouvrir son premier atelier qui deviendra le point de rencontre de l’élite beyrouthine assoiffée de renouveau et d’avant-garde. Très vite, il reçoit du patriarche Antonios Pierre Arida la commande pour les peintures murales et les voûtes de l’église patriarcale maronite de Diman. Il y réalise son chef-d’œuvre dans la continuité du manifeste artistique exprimé par le patriarche Estéphanos Douaihy en 1704 dans la grande fresque du Couronnement de la Vierge à Qannoubine.
Dans ces deux œuvres monumentales de Qannoubine et de Diman, la forêt des cèdres trône au cœur de la composition. À Qannoubine, l’artiste Boutros le Chypriote en a couvert l’intégralité de la scène, avec les processions de patriarches sur les deux côtés et la Vierge couronnée en son sommet. À Diman, la voûte de la nef présente sur toute sa longueur les flancs de la Qadisha qui culminent vers le cirque des cèdres au-dessus de l’abside.
Des scènes bibliques
L’osmose est totale entre les scènes des évangiles et la vallée sainte avec ses villages, ses cèdres et les sommets de montagnes rassemblés dans une vue panoramique. Au milieu de ce défilé, nous assistons à une douzaine d’épisodes de la vie de Jésus. Les personnages y sont tantôt en drapés de facture classique, tantôt vêtus à la manière des montagnards de la région.
Dans la première travée de la nef, trois scènes mariales présentent l’Immaculée conception, l’Annonciation et le Couronnement qui, comme à Qannoubine, fait appel à la peinture occidentale qui adjoint à la tradition chrétienne, la représentation du Père auprès du Fils et du Saint-Esprit. Dans la seconde travée, en avançant vers l’autel, la scène de la Transfiguration rappelle que selon la tradition maronite, le Christ aurait accompli cet acte dans la forêt des cèdres du Liban. En avançant encore par trame, toujours vers l’Orient, ce sont les scènes de la Crucifixion et de la Nativité, suivies de celle du Baptême et de la Résurrection, pour finir auprès de l’abside et des cèdres du Liban, avec la grande vision triomphale de l’Ascension.
La nef de Notre-Dame de Dimén vue vers l’est. Photo prise du site www.Najbkhalaf.com
Un manifeste
Si la fresque du Couronnement formait le manifeste du patriarche Estéphanos Douaihy, celle de Diman représente celui du patriarche Antonios Arida. Il se trouve que ces deux chefs de l’Église maronite étaient les plus grands défenseurs de la langue syriaque, de l’art et de l’héritage culturel dans leur pays. Pour eux, les peintures de Notre-Dame de Qannoubine et de Notre-Dame de Diman incarnent le sens qu’ils voudraient donner au Liban dans sa mystique et dans sa raison d’être.
Bien qu’inspirée par le classicisme, auquel s’ajoute une puissante lumière qui évoque le maniérisme d’un Pontormo (1494-1557) et d’un Greco (1541-1614), cette peinture est loin d’être restreinte à un académisme à l’occidentale. Saliba Douaihy a fait preuve d’un esprit de synthèse entre les atmosphères de la Renaissance et celles des montagnes du Liban et de leurs habitants. Ses acquis, tantôt classiques, tantôt baroques, s’y mélangent aux visages, aux villages et aux paysages de la Qadisha. Les couleurs et les lumières des montagnes s’y invitent en introduisant leurs tonalités enclines au mysticisme. Saliba Douaihy les déconstruit avec une sensualité et un brutalisme saisissants qui évolueront, dans une phase ultérieure, vers des réinterprétations empreintes de fauvisme.
La renommée
Cet artiste devenu représentant culturel du Liban de 1950 jusqu’à sa mort en 1994 a été exposé au Salon des artistes français à Paris (1934), au pavillon libanais de l’exposition universelle de New York (1939), au Musée Guggenheim, à la Argile Gallery de Londres (1988) et dans tant d’autres galeries à travers les États-Unis. Aujourd’hui, ses œuvres figurent parmi les collections du Butler Institute of American Art, du Albright Knox Museum et du MoMA (Museum of Modern Art).
Saliba Antonios Douaihy avait profondément saisi les traits de son pays, ses couleurs et ses lumières, mais aussi ceux de ses «peuples» qu’il avait représentés au pavillon de New York en 1939. Dans un style allant du classicisme au fauvisme, il a exprimé les vibrations de l’âme libanaise. Mais malgré cette puissance à la fois spirituelle et expressive dans son art figuratif, c’est surtout à partir de 1950 que son exploration des confins de l’abstrait fera sa renommée. Durant les années 1960, il sera perçu à New York comme le principal promoteur du style abstrait plat et dur de l’art, un style qu’il développera à partir de sa déconstruction caléidoscopique de la graphie syriaque.
Saliba Douaihy dans son atelier. Photo Tony Hage prise du site www.prestigemag.co
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