Les nombreuses fresques médiévales ornant ça et là nos églises, nos grottes et nos chapelles, nous font toujours rêver avec leurs couleurs chatoyantes, leur odeur de sainteté et leur histoire millénaire. Cet art, qui semblait mort avec le génocide et les dévastations perpétrés par les Mamelouks à la fin du XIIIᵉ siècle, va renaître quatre siècles plus tard sur les parois d’une grotte au monastère patriarcal de Qannoubine.

Dans ce monastère fondé par Théodose le Grand (à moins qu’il ne s’agisse de Théodose le Cénobiarque) vers la fin du IVᵉ siècle, un patriarche décide de faire revivre l’art de la fresque syriaque et de couronner la Vierge célébrée comme reine du Liban. Ce patriarche, Mar Estéphanos Douayhi, est lui-même le fruit de la Renaissance libanaise initiée par le Collège maronite de Rome à sa fondation en 1584.

La Renaissance italienne s’est libérée des contraintes des canons iconographiques chrétiens qui imposent la frontalité, le regard infini ou hiératique, et l’absence de volume et de perspective. Elle s’autorise même la représentation de ce qui est "sans nom et sans visage" : Dieu le Père. La tradition chrétienne respectueuse des écritures, ne permet la représentation que de ce qui fut dévoilé et révélé à l’homme. Dans la Bible, nous lisons "celui qui m’a vu a vu le père" (Jean 14 :9) et encore, "il est l’image du Dieu invisible" (Colossiens 1 :15). Ainsi, on ne peut peindre Dieu que sous les traits de son fils incarné. L’iconographie possède également ses normes liées au concept de dualité entre le Bien et Mal. Le Bien c’est le monde spirituel qui ne connaît ni la matière ni les ténèbres évoquées par les volumes, la troisième dimension et les ombres. Le Mal est lié au monde matériel et charnel. Ces éléments, bannis dans les fresques médiévales et remis à l’honneur par la Renaissance, vont faire leur apparition dans les peintures murales de Notre-Dame de Qannoubine.

Le patriarche Estéphanos Douayhi a déjà rédigé plusieurs volumes sur l’art et la culture, lorsqu’il commande la fresque du Couronnement, d’environ 4,40m x 4,40m, à l’artiste Boutros le Cypriote. Si Saint Jean Maron avait fondé le Liban avec sa langue syriaque, son Église et son armée, Estéphanos Douayhi l’inscrit dans l’histoire et dans les beaux-arts. Il compose des ouvrages sur l’architecture maronite, la musique syriaque, la peinture iconographique, l’histoire et la liturgie. Le Couronnement de la Vierge est son ultime chef-d’œuvre, l’expression de toute sa pensée et de ses aspirations pour le Liban consacré à la mère de Dieu. Il en fait la reine du Liban, sa protectrice et la garante de sa spiritualité.

Le patriarche choisit "Le monastère" par excellence, le couvent principal de l’Église maronite. Car son nom, Qannoubine, en syriaque Qénoubine, est un mot d’origine grecque qui signifie simplement monastère par excellence. Par sa primauté, il conserve cette appellation alors que le reste des couvents du Liban sont tous désignés par le terme syriaque habituel de Deir. Le siège patriarcal de l’Église maronite demeure à Qannoubine durant quatre siècles, depuis l’ultime razzia des Mamelouks contre le siège d’Ilige en 1440, jusqu’à son établissement à Bkerké en 1854.

L’abside

Qannoubine comprend quatre fresques dont celle de l’abside, celles des deux absidioles et la grande peinture du couronnement. L’abside représente une Déisis conforme à celles que nous retrouvons dans les églises maronites médiévales, notamment à Saint-Théodore de Béhdidét. Il s’agit de la représentation du Christ en gloire dans une vision théophanique, porté par le tetramorphe, dans une mise en scène entre la Vierge Marie et saint Jean-Baptiste.

La Déisis de Qannoubine, cependant, contrairement à l’exemple médiéval de Béhdidét, présente des corps amples qui tentent de reproduire les volumes de la peinture italienne. Par ailleurs, de part et d’autre, c’est Saint Etienne et non Saint Jean-Baptiste qui fait face à Marie, car le patriarche porte son nom (Estéphanos en syriaque).

Les absidioles

De chaque côté, les absidioles reprennent ce nouveau style volumineux avec, dans l’une, le prophète Daniel dans la fosse aux lions, et dans l’autre, Saint-Joseph portant l’enfant Jésus. L’inscription syriaque dit "Saint Joseph, intercède en notre faveur". Ici et là, jouxtant le syriaque, c’est le latin qui remplace les inscriptions grecques qui caractérisaient les peintures maronites médiévales.

La fresque du couronnement
À côté de ces riches témoignages du patrimoine artistique maronite, c’est la quatrième composition qui constitue l’élément le plus important et emblématique. Il s’agit de la grande fresque du couronnement de la Sainte Vierge. Commanditée par le patriarche Estéphanos Douayhi, elle est adossée à la paroi naturelle dans laquelle prend naissance la voûte. Ce chef-d’œuvre raconte la consécration du Liban et de l’Église maronite à la Vierge Marie.

L’art de ce monastère patriarcal illustre la latinisation des maronites, à la fois dans leur peinture et dans leurs inscriptions. Qannoubine adopte les nouvelles techniques de la renaissance italienne. On y voit apparaître les effets d’ombres, de volumes et de perspectives. Le grec, qui a toujours accompagné les inscriptions syriaques, est ici remplacé par le latin. Le garshouné (de l’arabe écrit en lettres syriaques) commence également à faire son apparition. En ce tout début du XVIIIᵉ siècle, les anciens du Collège maronite de Rome instaurent la Renaissance libanaise inspirée de celle de l’Italie et de la langue du Vatican, tout en conservant les thèmes de leur tradition et leur attachement à leur langue syriaque, garante de leur spiritualité et de leur pérennité.