Quel bilan dresse-t-on des incendies de forêts au Liban ?
©Cartographie des risques d'incendie de forêt au Liban (en terme physiques et socio-économiques)
Le bilan est sombre, très sombre : Les données satellites montrent que 2838 hectares de surfaces vertes sont partis en fumée en 2021 au Liban, et cela sans compter les incendies de lundi et mardi à Bchemoun, dans le caza de Aley. L’année dernière, ce bilan était de 7132 hectares, et en 2019, il se chiffrait à 2679.
Ces chiffres ont été fournis à Ici Beyrouth par le ministre de l’Environnement, Nasser Yassine, au lendemain du sinistre de Bchemoun, dans lequel non moins de 50 hectares ont été engloutis par un feu ravageur.

Metn, Liban-Nord, Batroun, Liban-Sud, Békaa. Les feux de forêts ont touché toutes les régions cette année, mettant en relief, encore une fois, la faillite des autorités au niveau de la prévention, de la planification et de la gestion de ces sinistres.

« Grâce aux efforts de la Défense civile, aucun mort n’a été déploré. Il y a eu des blessés dont un grave, actuellement en soin à l’hôpital », a commenté Nasser Yassine au sujet des incendies de Bchemoun, en estimant à 50 hectares la surface brûlée. Interviewé par Ici Beyrouth, il a affirmé que le feu qui a dévasté la pinède de cette région a pu être maîtrisé dans le nuit avant qu’il n’atteigne les maisons. Non sans peine, compte-tenu du peu de moyens -qui plus est, sont souvent archaïques- dont disposent la Défense civile et les municipalités.



Nature des incendies

Au cœur du débat, la nature des incendies qui dévorent les espaces verts du Liban. Leur étendue et leur violence font craindre une origine criminelle. Ce que le ministre de l’Environnement confirme en estimant que la plupart sont d’origine humaine. Dans ce contexte, on rappelle que deux Syriens avaient été arrêtés dans le cadre de l’enquête sur les incendies de Beit Mery, dans le Metn, en novembre. Ils avaient reconnu avoir provoqué le sinistre en « chauffant leurs plats ».

Une enquête a été aussi lancée sur l’incendie de Bchemoun dont la cause reste à ce jour inconnue. Le ministre attire l’attention sur le fait que les conditions climatiques de ce 30 novembre étaient propices : température élevée, sécheresse, vents forts. Il pointe du doigt en même temps la négligence de la municipalité, sa mauvaise gestion des espaces verts, le manque de maintenance et de surveillance de la forêt de pin.

Les municipalités peuvent-elles cependant êtres seules tenues responsables pour ce genre de sinistres lorsqu’à l’échelle du pays, un plan national d’alerte précoce et de gestion des feux de forêts fait cruellement défaut ?

« Nous travaillons sur une nouvelle stratégie de prévention des incendies, car la dernière remonte à 12 ans et a besoin d’être mise à jour. Celle-ci consiste à protéger les forêts dans leur état actuel en les mettant sous la surveillance du ministère de l’Agriculture et des municipalités », explique Nasser Yassine.
Le problème n’est cependant ni dans les études, ni dans les plans ni dans les stratégies, mais dans la mise en œuvre des mesures préconisées pour préserver ce qui reste comme espaces verts au Liban.


Alors que les incendies font des ravages monumentaux chaque année, les pompiers et la Défense civile disposent toujours de moyens limités et le Liban reste sans avions bombardiers d'eau, ce qui témoigne de la faillite des autorités libanaises, dont les promesses saisonnières de mise en place de mesures drastiques pour lutter contre les incendies restent lettre morte. La crise économique ne fait qu’empirer la situation. Non seulement parce que le peu de moyens dont disposent la Défense civile et les pompiers sont rognées, mais parce que la flambée des prix des carburants et les longues heures de coupures du courant électrique font que des Libanais se rabattent sur le bois pour le chauffage. Dans certaines régions, les incendies servent ainsi de couverture à un abattage illégal d’arbres, un autre phénomène qui contribue à la déforestation galopante du Liban.

Un hélicoptère de l'armée libanaise largue de l'eau sur un incendie de forêt dans la région de Qobayat au Akkar, le 29 juillet 2021. (Photo par JOSEPH EID / AFP)

Les paniers que transportent les hélicoptères militaires pour éteindre les flammes ne sont pas entretenus et présentent parfois des trous. Le nombre de gardes forestiers est cruellement insuffisant. Une loi approuvée il y a trois ans par le Parlement pour la nomination de gardes forestiers n’avait pas été signée par le président Michel Aoun pour le futile motif de déséquilibre confessionnel, le nombre de candidats musulmans étant supérieur à celui des chrétiens.

Des volontaires prennent soin d'un homme tout en aidant les pompiers à éteindre un incendie dans la région de Qobayat, le 29 juillet 2021. Un jeune Libanais avait été tué alors qu'il rejoignait des volontaires luttant contre des incendies de forêt dévastateurs. (Photo de Joseph Eid/AFP)

Des conséquences graves pour l’environnement

Pourtant, les risques auxquels le Liban est exposé au niveau de la déforestation du fait, entre autres, de l’étendue des feux de forêts, sont supposés inciter les autorités à agir sans tarder et à emboîter le pas aux pays qui essaient de contrer les effets du réchauffement climatique sur leur territoire, à travers une panoplie de mesures. Selon George Mitri, directeur du Programme des ressources naturelles et terrestres à l’Institut de l’Environnement et professeur à l’Université de Balamand, le risque d’incendies s’est accru au cours des dernières années en raison du changement climatique. « Les feux se déclarent à présent en altitude, dans des zones pourtant catégorisées à faible risque », constate-t-il.

M. Mitri alerte sur l’importante quantité de biomasse prête à s’enflammer si aucun plan n’est mis en œuvre de manière urgente. « Nous avons pu le constater avec les incendies au Akkar en été, les plus dévastateurs des dernières années, et jusqu’hier au Mont Liban, une zone où il est anormal d’avoir des incendies en cette période de l’année », souligne-t-il.

L’accent doit être mis aujourd’hui sur la prévention et la restauration des zones dégradées, selon Mitri. « Le problème est que nous avons désormais à faire à de gigantesques incendies, provoquant la perte de surfaces cultivables et des dommages irrémédiables sur le sol », prévient-il, alors que pour l’heure, il est difficile de prévoir les conséquences des sinistres sur la biodiversité locale. «Les forêts se régénèrent généralement en quelques années, sauf en cas de forts incendies et d’abattage important », signale cependant Mitri.

Pour ce lanceur d’alerte, la stratégie de 2008 pour la lutte contre les incendies de forêts n’a pas été mise en œuvre de façon coordonnée : « Il faut la revoir en assignant des rôles clairs à chaque ministère et institution, en bâtissant des compétences techniques, et en misant davantage sur les ressources humaines. » D’où l’importance de la stratégie que Nasser Yassine compte mettre en place, si jamais elle est appliquée, alors que la superficie des forêts ne fait que régresser du fait de plusieurs phénomènes dont l’urbanisation galopante, la multiplication anarchique des carrières et la mauvaise gestion du territoire.
Commentaires
  • Aucun commentaire