©Des partisans du Parti libre destourien manifestent contre le président tunisien devant la Haute Autorité indépendante pour les élections dans la capitale Tunis le 7 juillet 2022. (AFP)
Le projet constitutionnel du président Kais Saïed génère d'importantes tensions au sein de la société tunisienne ,entre partisans du Président face à un régime parlementaire jugé corrompu, et une opposition divisée et qui ne s'est toujours pas remise du coup d'État du 25 juillet 2021. Le texte contient d'importants retours en arrière vis-à-vis de la Constitution précédente, et semble octroyer au Président les quasi-pleins pouvoirs, accompagné d'une irresponsabilité judiciaire et politique.
De nombreux Tunisiens affichent un soutien sans faille au président, qui incarne le rejet du système parlementaire né de la Révolution, jugé corrompu et à l'origine des maux socio-économiques du pays. (AFP)
Comme il fallait s’y attendre, tous les partis politiques tunisiens, hormis un, ont déclaré leur opposition au projet de nouvelle Constitution et appelé les Tunisiens soit à boycotter le référendum, soit à voter contre. Les critiques ont immédiatement fusé contre une Constitution jugée «rétrograde», « despotique» et «moyenâgeuse». La puissante Union générale tunisienne du Travail, elle aussi, estime que le texte ne « répond pas aux attentes des forces patriotiques ayant soutenu le processus entamé depuis le 25 juillet 2021 ».
Mais, au-delà de l’opposition politique, c’est un véritable vent de consternation et d’incrédulité qui souffle dans le pays. « Les gens sont sonnés, tous ceux que j’ai contactés ne comprennent rien. » souffle Jamil Sayah, citoyen tunisien et professeur de droit constitutionnel à Science Po Grenoble. Et pour cause : contrairement à la Constitution de 2014, considérée comme la plus libérale du monde arabe, le nouveau texte renoue avec des pratiques qu’on pensait jetées aux oubliettes de l’histoire tunisienne, telles que l’ultra-présidentialisme, la politisation de la justice ou la domestication du Parlement.
Au contraire de la Constitution précédente, née de la « révolution de Jasmin », le nouveau texte constitutionnel semble motivé par un seul but : octroyer les pleins pouvoirs au président Kais Saied en supprimant les contre-pouvoirs et les instances intermédiaires. Dans ce cadre, le retour du référent religieux, critiqué par de nombreux activistes, ne constitue qu’un instrument normatif entre les mains du président, qui s’arroge le monopole de l’interprétation des « préceptes de l’Islam ».
Si plusieurs articles de la Constitution de 2014 concernant les libertés individuelles et les droits de l’homme ont été repris tels quels, ils sont vidés de leur substance par l’architecture institutionnelle que dessine la nouvelle Constitution. Aucun obstacle à l’action du président n’est prévu dans le texte qui lui octroie de vastes prérogatives, comme la possibilité de faire voter des lois « en priorité », nommer le gouvernement et les membres de la Cour constitutionnelle, contrôler l’instance de supervision des élections, ou diriger les armées. En parallèle, il échappe à toute forme de responsabilité politique ou juridique durant et après son mandat.
Au contraire, le Parlement perd l'essentiel de ses prérogatives, qui sont partagées de manière égalitaire avec une "Chambre des régions", censée représenter des élus locaux. Les députés, eux, ne disposent plus d'immunité judiciaire, et peuvent se voir congédiés à tout moment par vote du peuple en raison du "mandat impératif". Une guerre contre le régime parlementaire, en cours depuis un an à présent, que le Président semble sur le point de gagner.
« C’est la fin de la démocratie tunisienne, si cette Constitution est adoptée », affirme Radwan Masmoudi, ancien membre du bureau politique d'Ennahda, indigné par « un système autoritaire, dépourvu de système d’équilibre des pouvoirs dans la mesure où il est impossible de questionner le président sur ses actions ». Selon lui, le projet présidentiel n’est appuyé que par une petite minorité de Tunisiens.
Ce projet de Constitution n’est cependant qu’un élément parmi d’autres dans le processus de démantèlement des institutions, entamé depuis des mois. Le président n’a pas ainsi attendu le référendum du 25 juillet prochain pour dissoudre le Parlement et le Conseil supérieur de la magistrature, s’arroger les prérogatives du Premier ministre, et limoger 57 juges par simple décret présidentiel.
Ce référendum constitutionnel ne semble être qu'un moyen pour le Président d'acquérir une légitimité populaire à travers le vote des Tunisiens. Ainsi, les Tunisiens n'ont que 25 jours pour se prononcer avant le référendum, alors que la moyenne des référendums constitutionnels se situe habituellement autour de deux mois. Mais surtout, les organisations de la société civile et les partis politiques n'ont eu que 48 heures pour se déclarer en campagne pour ou contre le projet de Constitution auprès des autorités. "Il y a un total désintérêt vis-à-vis du texte, qui a été publié en pleine nuit, comme si on cherchait à le cacher. C'est en réalité une dérive référendaire, le Président ne souhaite aucun débat sur le contenu du texte constitutionnel lui-même. " explique Jamil Sayah.
Une opposition sur le fond et la forme que partage la Commission internationale des juristes, qui a qualifié dans un rapport publié en début juillet le processus constitutionnel de "illégal, illégitime et opaque", et violant les obligations légales de la Tunisie concernant la protection des droits de l'homme et des normes démocratiques.
« Je suis déçu de ce projet de Constitution, je m’attendais à quelque chose de plus progressiste » déplore Aziz Beddiar, jeune tunisien qui avait appuyé le coup d’État du Président. « On se retrouve dans un régime présidentiel où le président est intouchable, il a quasiment les pleins pouvoirs » se plaint-il, ajoutant que « une grande partie de l’opinion croit en Saied sans regard critique, car il incarne malgré tout le rejet du système politique en vigueur jusqu'à l’an dernier. »
De nombreux Tunisiens affichent un soutien sans faille au président, qui incarne le rejet du système parlementaire né de la Révolution, jugé corrompu et à l'origine des maux socio-économiques du pays. (AFP)
Comme il fallait s’y attendre, tous les partis politiques tunisiens, hormis un, ont déclaré leur opposition au projet de nouvelle Constitution et appelé les Tunisiens soit à boycotter le référendum, soit à voter contre. Les critiques ont immédiatement fusé contre une Constitution jugée «rétrograde», « despotique» et «moyenâgeuse». La puissante Union générale tunisienne du Travail, elle aussi, estime que le texte ne « répond pas aux attentes des forces patriotiques ayant soutenu le processus entamé depuis le 25 juillet 2021 ».
Mais, au-delà de l’opposition politique, c’est un véritable vent de consternation et d’incrédulité qui souffle dans le pays. « Les gens sont sonnés, tous ceux que j’ai contactés ne comprennent rien. » souffle Jamil Sayah, citoyen tunisien et professeur de droit constitutionnel à Science Po Grenoble. Et pour cause : contrairement à la Constitution de 2014, considérée comme la plus libérale du monde arabe, le nouveau texte renoue avec des pratiques qu’on pensait jetées aux oubliettes de l’histoire tunisienne, telles que l’ultra-présidentialisme, la politisation de la justice ou la domestication du Parlement.
Le président, leader suprême de la Nation
Au contraire de la Constitution précédente, née de la « révolution de Jasmin », le nouveau texte constitutionnel semble motivé par un seul but : octroyer les pleins pouvoirs au président Kais Saied en supprimant les contre-pouvoirs et les instances intermédiaires. Dans ce cadre, le retour du référent religieux, critiqué par de nombreux activistes, ne constitue qu’un instrument normatif entre les mains du président, qui s’arroge le monopole de l’interprétation des « préceptes de l’Islam ».
Si plusieurs articles de la Constitution de 2014 concernant les libertés individuelles et les droits de l’homme ont été repris tels quels, ils sont vidés de leur substance par l’architecture institutionnelle que dessine la nouvelle Constitution. Aucun obstacle à l’action du président n’est prévu dans le texte qui lui octroie de vastes prérogatives, comme la possibilité de faire voter des lois « en priorité », nommer le gouvernement et les membres de la Cour constitutionnelle, contrôler l’instance de supervision des élections, ou diriger les armées. En parallèle, il échappe à toute forme de responsabilité politique ou juridique durant et après son mandat.
Au contraire, le Parlement perd l'essentiel de ses prérogatives, qui sont partagées de manière égalitaire avec une "Chambre des régions", censée représenter des élus locaux. Les députés, eux, ne disposent plus d'immunité judiciaire, et peuvent se voir congédiés à tout moment par vote du peuple en raison du "mandat impératif". Une guerre contre le régime parlementaire, en cours depuis un an à présent, que le Président semble sur le point de gagner.
« C’est la fin de la démocratie tunisienne, si cette Constitution est adoptée », affirme Radwan Masmoudi, ancien membre du bureau politique d'Ennahda, indigné par « un système autoritaire, dépourvu de système d’équilibre des pouvoirs dans la mesure où il est impossible de questionner le président sur ses actions ». Selon lui, le projet présidentiel n’est appuyé que par une petite minorité de Tunisiens.
Une dérive référendaire et populiste
Ce projet de Constitution n’est cependant qu’un élément parmi d’autres dans le processus de démantèlement des institutions, entamé depuis des mois. Le président n’a pas ainsi attendu le référendum du 25 juillet prochain pour dissoudre le Parlement et le Conseil supérieur de la magistrature, s’arroger les prérogatives du Premier ministre, et limoger 57 juges par simple décret présidentiel.
Ce référendum constitutionnel ne semble être qu'un moyen pour le Président d'acquérir une légitimité populaire à travers le vote des Tunisiens. Ainsi, les Tunisiens n'ont que 25 jours pour se prononcer avant le référendum, alors que la moyenne des référendums constitutionnels se situe habituellement autour de deux mois. Mais surtout, les organisations de la société civile et les partis politiques n'ont eu que 48 heures pour se déclarer en campagne pour ou contre le projet de Constitution auprès des autorités. "Il y a un total désintérêt vis-à-vis du texte, qui a été publié en pleine nuit, comme si on cherchait à le cacher. C'est en réalité une dérive référendaire, le Président ne souhaite aucun débat sur le contenu du texte constitutionnel lui-même. " explique Jamil Sayah.
Une opposition sur le fond et la forme que partage la Commission internationale des juristes, qui a qualifié dans un rapport publié en début juillet le processus constitutionnel de "illégal, illégitime et opaque", et violant les obligations légales de la Tunisie concernant la protection des droits de l'homme et des normes démocratiques.
« Je suis déçu de ce projet de Constitution, je m’attendais à quelque chose de plus progressiste » déplore Aziz Beddiar, jeune tunisien qui avait appuyé le coup d’État du Président. « On se retrouve dans un régime présidentiel où le président est intouchable, il a quasiment les pleins pouvoirs » se plaint-il, ajoutant que « une grande partie de l’opinion croit en Saied sans regard critique, car il incarne malgré tout le rejet du système politique en vigueur jusqu'à l’an dernier. »
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