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Le 15 mars, en l’église Saint-Joseph, rue Monnot, et dans le cadre du Festival al-Bustan, l’ensemble dirigé par Gianluca Marcianò a livré une prestation de bon aloi de la Petite messe solennelle de Rossini, offrant des moments de pure jubilation et d’émotion intense, portés par des solistes d’exception et un chœur universitaire robuste.

"Bon Dieu, la voilà terminée cette pauvre petite Messe. Est-ce bien de la musique sacrée que je viens de faire ou bien de la sacrée musique? J’étais né pour l’opera buffa, tu le sais bien! Peu de science, un peu de cœur, tout est là. Sois donc béni, et accorde-moi le Paradis." C’est par ces mots figurant sur la dernière page du manuscrit de la Petite messe solennelle que Gioachino Rossini (1792-1868) exprime une humilité face à la "sombre vérité du glas", pour reprendre les mots du poète Alain Tasso. Ce destin ultime et imminent vers lequel se rapprochait le compositeur afin de rejoindre le ciel de béatitude enlacé par les vieux bras de l’Éternel. Rossini aura donc exprimé ces propos loin de toute ironie désinvolte envers la musique religieuse, comme cela a souvent été interprété. Le vendredi 15 mars, Gianluca Marcianò, à la tête d’un ensemble formé de quatre solistes, un pianiste, un accordéoniste et le Chœur de l’Université Notre-Dame de Louaizé, a offert une interprétation prenante du chef-d’œuvre rossinien qui a fait plus d’une fois dresser l’oreille.

Effectif réduit

La Petite messe solennelle se distingue musicalement par son approche unique du genre, combinant des éléments de l’opéra italien, notamment le bel canto, avec la tradition liturgique de la messe catholique. Contrairement à ses contemporains, tels que Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Ludwig van Beethoven (1770-1827) ou Hector Berlioz (1803-1869), qui ont souvent composé des messes monumentales et grandioses, Rossini adopte une approche plus intimiste. Il opte pour un effectif vocal et un accompagnement instrumental réduits, faisant appel à deux pianos et un harmonium. L’accent est, de plus, mis sur des passages purement choraux, certains étant fugués, tandis que d’autres sont exécutés a capella.

Les organisateurs du concert avaient expressément indiqué que cette œuvre serait interprétée avec fidélité dans sa version originale, mais cette promesse n’a toutefois pas été tenue. En effet, la version originale de la messe requiert deux pianos. Bien que le second piano double le premier dans certaines parties, il enrichit l’harmonie, voire le discours musical, dans d’autres, jouant un rôle crucial, particulièrement dans le Credo. En outre, le remplacement de l’harmonium par l’accordéon ne respecte pas non plus l’authenticité de l’œuvre, même si cette substitution a parfois renforcé l’harmonie, notamment dans le Qui tollis, le Cum sancto Spiritu, l’Agnus Dei et évidemment le Preludio religioso. Cependant, sur le plan sonore, l’harmonium produit un son plus doux et plus feutré, avec des nuances tonales riches et chaudes, tandis que l’accordéon offre un son plus percutant, avec des variations dynamiques plus prononcées et une sonorité souvent plus vive et expressive.

En outre, le compositeur avait spécifié que, outre le choix d’une instrumentation réduite, un effectif choral restreint est requis, comprenant huit choristes et quatre solistes, afin de préserver une atmosphère intimiste, d’où le nom de "petite messe", tout en permettant une interprétation précise et nuancée des lignes vocales. Lors de sa première représentation, le 14 mars 1864, l’effectif choral avait néanmoins été étendu à quinze choristes et quatre solistes, démontrant ainsi une certaine souplesse dans son exécution sans pour autant compromettre l’intimité de l’œuvre. Il convient alors de souligner que l’emploi d’un grand chœur, tel que celui mis en avant lors du Festival al-Bustan, bien que courant, s’écarte de la version originale, donnant une impression de grandiloquence injustifiée. Quoique cela contrevienne à la volonté du compositeur, une telle approche a permis d’engendrer des moments de jouissance, voire d’exaltation musicale.

Prestation vibrante

Si le début du concert pâtit d’un manque de vitalité et d’homogénéité dans l’exécution du Kyrie, qui aurait dû constituer l’un des moments forts de la messe, c’est à partir du Gloria que le chœur universitaire révèle son véritable potentiel. L’ensemble retrouve un second souffle dans l’exubérant Gratias agimus, où l’expression spirituelle et la jubilation musicale du trio, formé par Mariano Orozco (basse), Irina Makarova (alto) et David Ferri Durà (ténor), se manifestent à travers une prestation vibrante, grouillante de vie. Makarova, à la base mezzo-soprano, séduit d’emblée par une musicalité raffinée d’une grande pureté, tandis qu’Orozco, avec un timbre viril, fait preuve d’une appréciable souplesse. Ce dernier propose une interprétation bouleversante du Quoniam et creuse dans un grave particulièrement opulent. En revanche, la voix de Ferri Durà manque d’ampleur, mais le chant reste correctement exprimé. Cette lacune a malheureusement limité la pleine appréciation du Domine Deus, l’un des solos les plus sublimes de la partition. Ses compétences vocales convainquent à défaut d’emporter l’auditoire.

Le coup de cœur de la soirée revient à la soprano Julie Fuchs, qui aura porté jusqu’à leur paroxysme les subtilités vocales que le compositeur italien a infusé dans son chef-d’œuvre. Quelle délectation auditive que de l’entendre chanter, auprès de Makarova, le Qui tollis, avec autant de dévouement et de sensibilité! On ne saurait qu’éprouver une admiration profonde à l’égard de la versatilité remarquable de cette soprano au charisme indéniable. Sur le plan vocal, en sus d’un magnifique sens du phrasé, d’une maîtrise absolue du souffle et d’un chant d’une générosité constante, particulièrement perceptible dans l’interprétation du Crucifixus, mais également dans celle du O salutaris hostia, Fuchs imprègne cette messe supposée solennelle d’une touche lyrique saisissante. Doté d’une énergie élégante, le chœur se montre exemplaire dans le Et resurrexit et sublime, avec Makarova, la poésie intrinsèque à l’Agnus Dei, faisant entendre une harmonie cristalline, presque séraphique. Saluons au passage le père Khalil Rahmé, le maître de ce chœur universitaire, pour son travail titanesque, tant en ce qui concerne la diction du texte et la cohésion des parties vocales que la cohérence du discours musical.

Alphonse Cemin, au piano, module habilement les dynamiques et les tempi tout au long de son accompagnement, et sert avec brio la partition avec une palette infinie de nuances. Félicien Brut, à l’accordéon, enrichit cette performance en apportant ses propres couleurs orchestrales à l’ensemble, faisant montre d’une technique infaillible, mais également d’une sensibilité à fleur de peau, spécialement lors du Prélude religieux, un magnifique clin d’œil à Jean-Sébastien Bach.

Ce soir-là, on aura tout vu et entendu. Sacrée musique!