Le ministre sortant de l’Énergie et de l’Eau, Walid Fayad, a présenté lundi une initiative qui consiste surtout à creuser le trou financier de l’État sans pour autant fournir décemment le courant électrique à la population. Les réformes qui permettraient en revanche au Liban de commencer sérieusement à régler la crise de l’électricité restent toujours au stade de vœux pieux.

Le ministre sortant de l’Énergie et de l’Eau, Walid Fayad, a présenté lundi "une initiative" pour une solution globale au problème de l’électricité. Parallèlement, le Premier ministre sortant, Najib Mikati, a convoqué le gouvernement à une réunion mercredi matin pour examiner et, éventuellement, approuver l’ouverture d’une ligne de crédit pour l’achat de carburant grâce auquel les centrales électriques vétustes du pays, à l’arrêt depuis une dizaine de jours, pourraient reprendre leurs activités. C’est-à-dire assurer deux à trois heures de courant aux Libanais par jour.

S’il faut, en gros, résumer l’initiative de M. Fayad, on dira qu’elle s’inscrit dans le prolongement de la politique suivie depuis des dizaines d’années, au niveau de la gestion – désastreuse – du dossier de l’électricité. Au cours d’une conférence de presse qu’il a tenue en fin de matinée, en son bureau, Walid Fayad a présenté son initiative qui porte sur deux volets: le premier consiste à approuver l’ouverture d’une ligne de crédit de 62 millions de dollars, pour que les cargos qui attendent au large des côtes libanaises déchargent le carburant. Le second porte sur l’approbation par les ministres concernés d’une avance de Trésor étalée sur six mois pour l’achat de fuel, ainsi que du montant nécessaire à la maintenance des centrales pour que le ministère puisse, a-t-il dit, mettre en œuvre son plan et pallier les urgences. "Nous proposons une solution d’ensemble (…), et j’ai envoyé les projets de décrets nécessaires, relatifs à quatre lettres de crédit, aux ministres compétents, vendredi dernier, a expliqué M. Fayad. Ils ont été signés en fin de semaine. Nous espérons que le Premier ministre les avalisera et que les autres ministres les signeront. On aura ainsi réglé le problème d’une manière globale et constitutionnelle et sans provocation."

Concrètement, il s’agit de continuer de vider le Trésor au profit d’une administration dont le déficit colossal a grandement contribué à creuser le trou financier du Liban, en attendant d’hypothétiques réformes. Des réformes que Walid Fayad continue de promettre, mais dont la mise en œuvre, on le sait, n’est pas de son ressort puisqu’elles sont tributaires d’une décision politique jusque-là inexistante. Et, c’est parce que ces réformes ne sont pas menées que le Liban, soit-dit en passant, est toujours privé de l’électricité de Jordanie et du gaz d’Égypte, lesquels lui auraient permis de bénéficier un peu plus que les maigres heures de courant promises par le ministère, au prix fort. La Banque mondiale, censée financer l’acheminement du gaz et du courant d’Égypte et de Jordanie, refuse de débloquer l’argent tant que le Liban n’a pas lancé un plan de réformes sérieux pour l’électricité et n’a surtout pas mis en place l’autorité de régulation pour ce secteur. En visite au Liban, en octobre 2022, le vice-président de la Banque mondiale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, Ferid Belhaj, a été, on ne peut plus clair sur ce point.

Walid Fayad a quand même tenté de défendre son initiative en estimant que "la solution au problème de l’électricité n’est pas dans la mise en œuvre d’un plan au coup par coup, mais global". "Les citoyens ont le droit d’avoir de l’électricité", a-t-il indiqué. Il a insisté dans ce cadre sur la hausse des tarifs (qui prendra effet le 1ᵉʳ février) et qui devrait normalement être accompagnée d’une hausse de l’alimentation électrique. Il a rappelé que même après la hausse, les tarifs d’EDL resteront de moitié moins chers que les prix imposés par les propriétaires des générateurs privés.

Pour la prochaine étape, il dit compter sur une meilleure collecte des factures, sans pour autant expliquer comment les autorités comptent s’y prendre pour mettre fin aux branchements illicites et obliger ceux qui ne paient pas leurs factures à s’en acquitter. "L’argent collecté des abonnés sera transféré à la Banque du Liban, et sur cette base, nous terminerons la prochaine étape de financement de l’électricité sans avoir besoin d’avance", a indiqué M. Fayad.

Rappelons que le ministère a établi un plan d’urgence en septembre dernier dont l’objectif est de pouvoir fournir 8 à 10 heures d’électricité à la moitié du prix des groupes électrogènes privés. Pour ceci, il a demandé 600 millions de dollars d’avance à la BDL qui a accepté de financer à hauteur de 300 millions de dollars, ce qui devrait permettre à EDL de fournir 4 à 5 heures d’électricité par jour.

Walid Fayad, proche du Courant patriotique libre (CPL) qui est hostile à la tenue de Conseils de ministres tant qu’un président de la République n’a pas été élu, a annoncé qu’il fera partie de ceux qui boycotteront la réunion du gouvernement, mercredi. "Nous ne voulons pas que d’aucuns utilisent pour prétexte les besoins des Libanais, pour consacrer un état de fait que nous refusons", a-t-il déclaré, en estimant que "ce qui est proposé dans l’ordre du jour ne nécessite pas un Conseil des ministres". L’ouverture d’une ligne de crédit pour le compte d’EDL est à l’ordre du jour de cette réunion.

62, 75 et 54 millions

Dans les détails, le ministre Fayad a assuré que le montant de 62 millions de dollars demandé est une avance du Trésor pour payer Vitol Bahrain E.C. dont les navires attendent au large l’ouverture de la ligne de crédits pour décharger le fuel.

Rappelons qu’un accord avait été conclu concernant l’octroi de ce prêt à EDL et des appels d’offres avaient été lancés pour acheter 66.000 tonnes de fuel. C’est la société Vitol Bahrain E.C. qui avait remporté l’adjudication et envoyé deux cargos, un premier le 15 décembre dernier, destiné à Deir Ammar, et un autre le 22 décembre, à la centrale de Zahrani. Ces navires se trouvent toujours au large des côtes libanaises, parce que la cargaison n’a toujours pas été payée et coûte à l’État la modique somme de 18.000 dollars par jour et par bateau. À noter que depuis, deux autres navires sont arrivés.

À ce sujet, le ministre a affirmé que 75 millions de dollars supplémentaires sont nécessaires pour ces deux autres navires sans compter le coût de la maintenance des centrales qui est estimé à environ 54 millions de dollars.

Un ancien ministre, contacté par Ici Beyrouth, a laissé entendre que c’est le même groupe de personnes qui était impliqué dans l’affaire du fuel frelaté qui avait fait scandale au Liban en 2020, qui serait aujourd’hui concerné par l’importation du fuel qui fait l’objet d’un bras-de-fer entre le CPL et la présidence du Conseil. Il a rappelé que le scénario était le même à l’époque. Le courant électrique était à peine fourni et les navires avaient dû attendre plusieurs jours au large avant de décharger leur marchandise, moyennant bien entendu le paiement d’indemnités colossales, puis EDL avait déposé une plainte contre Sonatrach, une compagnie algérienne et ZR Group, une boîte libanaise, à cause de la livraison de fuel défectueux.

Compte tenu des doutes exprimés par l’ancien ministre en question, est-il possible qu’un dossier de cette importance ne soit pas examiné en Conseil des ministres?

Le Premier ministre sortant Najib Mikati a convoqué lundi matin le gouvernement chargé de l’expédition des affaires courantes à une réunion mercredi à 10h, pour discuter le financement de l’importation de carburant pour les centrales électriques du pays, à l’arrêt depuis plus de dix jours.

Les ministres vont plancher sur plusieurs alternatives pour l’achat de fuel pour EDL, dont la prorogation de l’accord avec l’Irak, l’augmentation d’une ligne de crédit de la Banque du Liban (BDL) et l’approbation d’une avance du Trésor pour payer Vitol Bahrain E.C.