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Les réserves obligatoires font l’objet actuellement au Liban d’un débat public. La banque centrale (BDL) peut-elle en disposer librement? Doit-elle les restituer aux banques? Ont-elles un statut différent des autres emprunts que la BDL a reçus des banques? Faut-il garder ce système?

Avant de répondre à ces questions dont la source est la crise inédite libanaise, nous avons d’abord choisi de nous interroger sur la raison d’être des réserves obligatoires. Cela nous a amené à des pistes qui dépassent le simple cadre libanais. Quant aux réponses attendues, plusieurs s’imposent d’elles-mêmes et d’autres nécessitent une réflexion plus approfondie et un nouveau consensus monétaire.

Les réserves obligatoires sont l’un des instruments de la politique monétaire. Elles permettent de réguler l’activité des banques en limitant leur capacité à prêter de l’argent. Si, par exemple, le taux des réserves est de 10% sur les dépôts, les banques ne pourront pas prêter plus de 90% des dépôts qu’elles auront reçus. Ainsi, on pourra limiter la croissance économique en augmentant le taux et la stimuler en le diminuant. Elles aident aussi à stabiliser le secteur bancaire en cas de retraits massifs de dépôts. En effet, si une banque est soumise à des retraits de 100 millions de dollars et que le taux de réserves est de 10%, elle dispose déjà de 10% de ce qui est réclamé.

Cette présentation est très simplificatrice. En effet, l’autorité monétaire peut établir des taux de réserves sur les dépôts libellés dans toutes les devises ou dans certaines d’entre elles. Elle peut le faire sur les crédits, ou sur certains d’entre eux. Elle peut aussi établir des réserves sur certaines tailles de dépôts. Et elle peut considérer que les avoirs en caisse au sein des banques font partie des réserves, ainsi que ceux placés auprès d’autres institutions.

Toutefois, on constate que le débat actuel se limite à disserter sur la propriété de ces fameuses réserves, leur existence et leur sauvegarde. Personne ne va au-delà. Or il faut réfléchir à leur raison d’être et à leurs propriétés particulières.  C’est que les réserves obligatoires ne sont pas le seul outil dans l’arsenal des autorités monétaires. D’ailleurs, dans les pays développés, celles-ci sont de moins en moins utilisées au point que leur taux est proche de zéro dans la zone euro, aux États-Unis, au Canada, en Angleterre et en Australie.

Les autorités dans ces pays ont, de fait, des moyens bien plus efficaces pour agir sur les taux d’intérêt et sur la liquidité. D’autres stabilisateurs automatiques ont été mis en place tels que les ratios de liquidité et de solvabilité dans les banques, des ratios auxquels les institutions financières non bancaires ne sont généralement pas assujetties. En plus, les prêteurs en dernier ressort de ces pays, c’est-à-dire les banques centrales, ont les moyens de faire face aux crises spécifiques ou systémiques quel que soit le niveau des réserves obligatoires.

Dans les pays moins développés, les réserves obligatoires tendent à être utilisées pour renforcer les ressources des banques centrales afin que celles-ci soient en mesure de répondre aux crises de change, à des ruées des déposants vers les banques (les ‘bank-runs’), ou même à financer l’État. Elles se sont donc maintenues à des taux inconnus ailleurs. Au Liban, le taux est actuellement de 14%. En Afrique de l’Ouest, il est de 5%.

On peut résumer en affirmant que cet instrument est considéré dans les pays avancés comme un héritage obsolète, et ailleurs comme un outil à d’autres fins que la politique monétaire et donc dévoyé de sa mission initiale. Faut-il donc condamner les réserves obligatoires et les ranger parmi les vieilles lunes?

Contrairement à ce que l’on peut imaginer, les réserves obligatoires sont beaucoup plus flexibles et précises que les instruments aujourd’hui couramment utilisés.

Ainsi, dans la zone euro, la politique monétaire a conduit, aux débuts de l’euro, à une inflation excessive dans les pays du sud de l’Europe, et à partir de 2009 à une très grave récession dans ces mêmes pays. C’est que la politique monétaire de la Banque centrale européenne allait de l’a priori qu’une seule solution peut convenir à tout le monde (‘one size fits all’). Si, en revanche, l’Union avait choisi, pour l’ensemble de la zone, l’instrument "Open Market", dans lequel la Banque centrale intervient sur le marché monétaire pour fournir ou retirer des liquidités aux établissements financiers et ainsi influencer le taux du marché monétaire, mais avec en plus un instrument complémentaire (réserves obligatoires) pour les pays ayant une conjoncture économique différente des grands pays de l’Union, l’Europe se serait économisée une crise majeure.

De même, les États-Unis pourraient permettre aux Réserves fédérales (Banques centrales) régionales de moduler leur taux de réserves obligatoires locales, selon la situation dans ces régions.

En ce qui concerne les pays moins développés qui, par nature, devraient avoir des taux de croissance élevés, le principe devrait être de stabiliser l’activité économique par le biais des réserves obligatoires. S’il y a un emballement économique, on augmente les réserves pour limiter les crédits bancaires. Puis on les réduit dans le cas contraire. Car en effet, les pays moins développés ont une très faible autonomie monétaire, et les outils à la disposition des grandes banques centrales leur sont inaccessibles. Du coup, leurs banques centrales pourraient se limiter à la mise en place de réserves obligatoires flexibles et dirigées en fonction de la conjoncture.

Quelles conclusions tirer de cet exposé et de cette proposition nécessairement très brefs dans un sujet très technique?

En ce qui concerne le Liban, les réserves obligatoires telles qu’utilisées actuellement sont contraires à leur esprit et contre-productives. Il est impensable de maintenir un taux de réserve de 14% comme si l’économie était en surchauffe. Il faudrait restituer immédiatement aux banques au moins les 3/4 des réserves restantes (soit beaucoup plus que ce que le FMI envisagerait de prêter au Liban et un apport considérable de liquidités compte tenu du PIB actuel). Cela permettrait un début de retour à la confiance, une relance appréciable de l’économie et la reprise par le secteur bancaire de sa vocation, celle d’octroyer des crédits. Le quart restant suffirait à garder une marge de manœuvre à la BDL et la possibilité d’appliquer de nouvelles méthodes de gestion des réserves obligatoires.

Accessoirement, les économistes hors du Liban pourraient utilement se repencher sur cet instrument mal-aimé. Ils y trouveraient de très grands avantages et s’inspireraient peut-être des politiques libanaises sur le bon usage des réserves obligatoires.

(*) Riad Obégi est le PDG de la BEMO Bank

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