À chaque occasion, et même sans occasion, la rengaine des déposants qui exigent leur argent revient sur le tapis. Des tons qui montent, des associations qui se regroupent, des déposants qui cassent, des Ordres qui menacent. Ce qui est en somme compréhensible; c’est l’épargne de toute une vie.
Les politiques de leur côté plongent dans cette marée humaine (avec des «goggles», question d’allergie), soucieux du bien-être de leurs sujets. Et se chamaillent en permanence sur les responsabilités de l’inaction.
La dernière chicane en date, celle de l’auteur du soi-disant «plan de redressement» avec le président de la Commission parlementaire des Finances, a été hilarante. Comme l’échec a été le lot de tous ceux qui sont au pouvoir (puisqu’on est toujours sans solution), cette altercation a pris l’allure d’une invective risible: «Votre échec est cuisant, alors que le mien est tout relatif, mesuré.» Ce qui met l’autre en ébullition: «Non, mais… c’est votre échec qui est cuisant, le mien est ce qui a de plus habituel, ça n’a pas changé depuis des années, je le connais bien.» Et ainsi de suite.
Laissons donc ces chicanes sur le trottoir, et voyons quels sont les scénarios possibles pour ces dépôts. On rappelle que leur volume est de près de 92 milliards de dollars, à part ceux en LL qui ne posent pas de problème, sauf qu’ils ne valent plus rien. Le reliquat des crédits en devises est de l’ordre de 8 ou 9 milliards de dollars, donc pas de quoi compenser quoi que ce soit, à supposer qu’ils sont tous réglés en dollars frais. Alors, on fait quoi?
1- Premier scénario, illusoire, est que l’État et la BDL, qui doivent beaucoup d’argent aux déposants, font la queue pour les rembourser. Mais comme ils sont eux-mêmes en faillite, cela ne risque pas d’arriver, quoique…
À supposer que l’idée d’un fonds regroupant les actifs de l’État fasse son chemin, des revenus peuvent être dégagés couvrant une partie des dépôts. Plusieurs pôles politiques semblent privilégier cette issue. Pas le duo chiite bien sûr, à moins qu’il soit sûr qu’il aura une part du gâteau proportionnelle à sa nuisance. Mais si cette pâtisserie va être vouée au partage traditionnel, la crème Chantilly fera vite de tourner.
2- Le remplacement des lollars bancaires contre des dollars frais, actuellement autour de 15% de leur valeur, se poursuit, provoquant la fonte de quelques dépôts. Mais cette pratique, surnommée ‘le commerce des chèques’, ne peut être adoptée comme solution formelle, pour la simple raison qu’aucun responsable n’osera prendre une telle initiative. Elle restera un choix personnel, optionnel.
3- Une autre voie consiste à perpétuer les présents circulaires: 15.000 LL le dollar selon la 151, et 400$ ou 300$ par mois selon la 158. Mais il va falloir un jour améliorer ces conditions de paiement, et les moduler selon les cas. Dans ce cadre, les plans de redressement ont établi des catégories de dépôts, vision partagée par le secteur privé: 1- les dépôts qui ont été transférés de LL en dollars au taux de 1.500 après octobre 2019; 2- les montants qui sont nés par accumulation d’intérêts exceptionnellement élevés; 3- et puis les autres, les capitaux de base déposés initialement en dollars.
On peut imaginer alors rembourser ces catégories, avec des combinaisons de dollars frais et de LL avec des taux de change modulés selon la catégorie. Par exemple, verser 1.000$ par mois, avec une partie en dollars, et une partie en LL, divisées, disons, en moitié cash et moitié carte bancaire (pour les LL et les dollars). La répartition dollar/LL, le taux de change, et la distribution cash/carte variera selon la catégorie, en privilégiant la catégorie 3. Maintenant que le gouverneur en exercice, s’il tient parole, ne veut plus concéder aucun sou à l’État, la BDL peut dégager quelques liquidités. Les banques en feront de même si on leur ouvre quelques opportunités de profit.
4- Ceci dit, il ne s’agit pas, il ne s’agira jamais, mais alors jamais, de verser la totalité des dépôts ; c’est absurde, imaginaire, cela n’existe pas. On ne le répétera jamais assez – c’est à développer un ulcère de devoir toujours expliquer! Rien qu’en pensant que soutirer l’ensemble des dépôts veut dire vider les banques, donc les éliminer, et revenir au moyen-âge pour réciter des odes avec Ronsard.
Il s’agit juste de fournir le minimum pour une vie décente à ceux qui n’ont pas d’autres revenus. Les autres n’auront peut-être même pas besoin de retirer ces 1.000 dollars. C’est ainsi que sont nés, d’ailleurs, les 220.000 comptes externes (en dollars frais) actuels.
De telles solutions sont bien sûr provisoires, en attendant une résolution globale, et un pouvoir constitué en bonne et due forme, si quelqu’un y croit encore. Même les organismes internationaux semblent désespérés quant à un déblocage politico-économique. En lisant leurs rapports, on sent les auteurs dopés aux anxiolytiques. Jean-Yves Le Drian a même dépassé la dose prescrite.
Pour rajouter à notre réputation sulfureuse, le substantif «libanisation», né en 1985 (selon Le Robert) pour désigner les risques de guerre civile dans un pays, revient sur le tapis. Mais cette fois pour alerter les autres pays du risque de faillite financière, assortie d’une chute dans un puits sans fond.
Il faut dire que la dérivation grammaticale est facilitée par la forme du nom de notre pays. Quoiqu’il puisse advenir à ce pays d’Asie centrale, ça ne viendrait à personne l’idée de sortir le dérivé «Kirghizistanisation». Quand on a la poisse...
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