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Au début de la " révolution " l’idée de récupérer l’argent mal acquis faisait fureur. Beaucoup avançaient même des chiffres, basés sur rien du tout. Et l’on misait sur cet argent qui, une fois récupéré, pourrait couvrir la dette, les dépôts perdus, et relancer l’économie. 

Comme aucune feuille de route n’était disponible, tout un chacun peut s’amuser à émettre des hypothèses à sa guise. C’est ludique, ça ne coûte rien, ça sonne bien dans la tête des gens victimisés, et ça peut rapporter quelques hébétés applaudisseurs de plus.  

Puis, peu à peu, voyant que le sable de ces châteaux ne tient plus debout, on entend parler de moins en moins de cette affaire. On se contente, par acquit de conscience, de faire figurer dans les différents ‘plans’ un petit alinéa couvrant l’hypothétique récupération de l’argent de la corruption. Sans grande conviction, ni même petite.

D’où notre question: comment faire pour être plus précis? En fait, la corruption a pris depuis toujours et jusqu’à maintenant plusieurs formes: contrats d’État surfacturés, trafic de tout genre, dessous-de-table, trafic d’influence, fraudes fiscales, embauches bidon, règlementations au profit de la ‘clientèle’, et bien d’autres méthodes couvrant la totalité du champ des possibles. Les opportunités les plus juteuses sont liées aux douanes, aux départements chargés de délivrer des permis, et aux gros travaux d’infrastructure.  

Pour compliquer l’affaire, il faut constater aussi que cet argent de la corruption est souvent redistribué – vers le bas et vers le haut. Un agent donné qui reçoit un gros pourboire ne peut se permettre de garder tout pour lui. Il se doit de distribuer une partie à ses supérieurs et ses subalternes pour que la machine continue de fonctionner sans accroc.

Le sponsor politique doit avoir sa part aussi, dont une partie est elle-même redistribuée à ses partisans pour les fidéliser. En plus, l’origine de l’argent soutiré peut être le Trésor public ou l’acteur privé qui a intérêt à faire conclure une affaire. Remonter la filière devient alors presque impossible.

À la lumière de ce constant désolant, il faut se rendre à l’évidence que les petits larcins ne seront jamais dévoilés. Restent alors ceux qui ont fait fortune, en accumulant des rétributions substantielles. Pour ceux-ci, il y a deux moyens de les dévoiler : 1- en disséquant les comptes de l’État, un détail après l’autre, ou alors 2- en appliquant la loi en vigueur, dont l’intitulé en France est ‘signes extérieurs de richesse’, mais qui a son équivalent au Liban.

Concernant la première voie, les comptes de l’État ont été, selon les dires de l’ancien directeur général des Finances Alain Bifani, complètement reconstitués depuis 1993. Et quand on lui demandait s’ils peuvent contenir des éléments compromettants, il affirmait que c’est tout à fait faisable: ‘’Il suffit d’éplucher les 53.000 pages de ces rapports’’. Des liasses qui sont toujours stockés à la Cour des comptes, censée les vérifier avant de les transmettre dans une étape finale au Parlement. Ce qui ne va jamais être réalisé par manque de personnel suffisant ou par manque d’enthousiasme.  Ou les deux.

Reste la seconde méthode, les signes extérieurs de richesse. Tout un chacun peut constater que tel ministre, député ou haut fonctionnaire mène une vie au-dessus des moyens de ce qu’il est supposé avoir. 

Prenons à cet effet un exemple: Jamil Al-Sayed, ancien directeur général de la Sûreté générale. En tant que tel, il devait toucher entre 4.000 et 5.000 dollars par mois, de quoi vivre plutôt bien, mais pas de quoi accumuler des richesses. Comment se fait-il alors qu’il soit actionnaire d’une banque chypriote, Astro Bank, créée par Maurice Sehnaoui avec d’autres partenaires? Jamil Al-Sayed est, depuis octobre 2021, sous le coup de sanctions américaines pour corruption, notamment pour avoir cherché à ‘’contourner les réglementations bancaires locales afin de transférer 120 millions de dollars à l’étranger, vraisemblablement pour s’enrichir et enrichir ses associés’’, selon le communiqué du Trésor américain.

Le député qu’il est devenu peut rétorquer que ce n’est pas vrai. Il pourrait aussi arguer du fait que son argent provient d’un héritage, d’un gros lot à l’EuroMillion, ou alors qu’il a eu la main heureuse dans un investissement donné. C’est possible, mais dans ce cas, il suffit de dévoiler la source de ce revenu, de montrer qu’il est légal et de prouver qu’il a payé l’impôt dû. On rappelle qu’Al-Capone, en dépit de son trafic gigantesque durant la Prohibition, n’a pu être condamné et emprisonné que pour fraude fiscale.   

Bref, les histoires de corruption ressemblent un peu à celles de l’État lui-même. Tout le monde en entend parler, mais personne n’a pu encore mettre la main dessus.

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