Malgré la volatilité des prix et les alertes gouvernementales, le Bitcoin et autres cryptomonnaies affirment leur présence un peu partout. Mais qui a intérêt à les détenir ? Et, marginalement, est-ce que cette alternative est propice pour les Libanais en pleine crise financière et monétaire ?

L’Histoire de la monnaie est fascinante. La monnaie a eu plusieurs formes à travers l’Histoire. Les coquillages, le bétail, les métaux précieux, ou même les cigarettes dans les prisons, ont servi de monnaie. L’Histoire montre aussi comment une initiative peut émerger de manière spontanée par les interactions volontaires des individus sur le marché, sans qu’elle ne soit conçue par une autorité centrale.

Ce qui fait qu’un bien soit adopté comme monnaie, c’est sa cessibilité – la facilité avec laquelle on peut le revendre sans qu’il ne perde sa valeur. L’expérience historique montre que les monnaies ayant survécu aux épreuves du marché étaient les plus " dures ", c’est-à-dire les monnaies dont la quantité en circulation était difficile à augmenter. Quand une monnaie tend à être créée sans limite, elle perd progressivement sa valeur. Et ceux qui stockaient leur épargne dans cette monnaie sont ruinés.

Une monnaie venue de nulle part

Au milieu de cet amas est née la cryptomonnaie. Une cryptomonnaie est une monnaie numérique ou virtuelle sécurisée par cryptographie (code secret ou écriture codée), ce qui rend presque impossible la contrefaçon ou la double utilisation d’une même unité. Cette innovation permet aux individus d’envoyer et recevoir des paiements à travers le monde, ou d’acquérir des biens, sans avoir recours à une tierce partie.

Une caractéristique déterminante des cryptomonnaies est qu’elles ne sont ni émises ni régulées par une autorité centrale, ce qui les rend théoriquement à l’abri de l’ingérence du gouvernement. Plutôt que de charger une banque (centrale) de tenir le livre des comptes, cette fonction est décentralisée et ne repose sur aucun organisme spécifique. Comme toute monnaie, le but des cryptomonnaies est de servir principalement d’intermédiaire d’échange, de réserve de valeur et d’unité comptable. Le Bitcoin est la cryptomonnaie la plus connue et la plus valorisée.

Étude de cas : le Salvador

Comment l’usage des cryptomonnaies se traduit-il à l’échelle nationale ? Le Salvador répond à cette question. En septembre 2021, le pays latino-américain est devenu le premier du monde à adopter le Bitcoin comme cours légal, obligeant toutes les entreprises à accepter le Bitcoin comme moyen de paiement. Selon les autorités, cette mesure aidera de nombreux Salvadoriens, dont environ 70% n’ont pas de compte bancaire, à passer à l’économie formelle. En particulier, elles s’attendent à ce que cette décision permette aux citoyens de recevoir des virements de l’étranger plus rapidement. Les virements ont totalisé 5,9 milliards de dollars en 2020, soit plus d’un cinquième du PIB du pays! La mesure devrait aussi réduire les commissions annuelles sur les virements d’environ 400 millions de dollars.

Pendant ce temps, environ la moitié seulement des Salvadoriens utilisent Internet, indispensable pour faire des transactions en Bitcoins, et une grande partie de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. La plupart des répondants à une enquête récente ont indiqué qu’ils avaient peu d’intention d’utiliser le Bitcoin. Les grandes institutions sont sceptiques, elles aussi. La Banque mondiale et le FMI considèrent que l’adoption du Bitcoin par le Salvador fait potentiellement de ce pays une destination de choix pour le blanchiment d’argent et d’autres activités financières illégales: ‘’Cela pourrait présenter des risques pour le système financier, l’équilibre budgétaire et les relations avec les pays étrangers et les banques correspondantes.’’ L’expérience est donc mal partie, mais il est trop tôt pour en juger, car on n’a que quelques mois de recul.

Bitcoin au Liban ?

Certains experts, dont Saifedean Ammous, auteur du best-seller l’Étalon Bitcoin (traduit en une dizaine de langues) et ancien professeur d’économie à notre LAU, affirment que le Bitcoin est la monnaie la plus ‘dure’ ayant jamais existé. Cela veut dire que le Bitcoin est la monnaie dont la quantité en circulation est la plus difficile à augmenter. En effet, pour ‘miner’ (ou créer, pour résumer simplement une opération compliquée) des Bitcoins, un logiciel sophistiqué est nécessaire, ainsi qu’une grande consommation d’énergie. Qui plus est, la masse monétaire du Bitcoin est limitée à 21 millions de Bitcoins, alors que le nombre actuel est de 19 millions. Une fois le nombre final atteint, aucun nouveau Bitcoin ne sera créé. Ce qui le rend, en théorie, moins sujet à l’inflation.

La Livre Libanaise a perdu par exemple une grande part de sa valeur du fait de sa multiplication rapide au cours de ces deux dernières années. Dans ce contexte, est-ce faisable, et bénéfique, pour le Liban d’adopter une cryptomonnaie comme alternative partielle ? Ici Beyrouth a correspondu avec une des références en la matière, Saifedean Ammous lui-même, pour répondre à cette question.

Pour M. Ammous, ‘’oui les gens peuvent adopter le Bitcoin individuellement et ceux qui le feront en bénéficieront énormément. Il est inutile d’imaginer que le gouvernement l’adopte, car il n’a aucune incitation qui le pousse à le faire. Mais les gens peuvent et doivent l’adopter, et ils n’ont pas besoin d’une permission gouvernementale. Cela fait des années que je donne ce conseil…’’

Selon M. Ammous, il y a des choses que le Bitcoin peut offrir aux Libanais, d’autres qu’il ne peut pas. D’une part, même s’ils en détiennent une petite quantité, le Bitcoin leur permettra d’être protégés de la dévaluation, de gagner de l’argent à l’intérieur et à l’extérieur du pays, d’envoyer et de recevoir des virements sans frais, et d’effectuer des paiements internationaux. Mais d’autre part, comme la liquidité du Bitcoin est faible, sa volatilité est forte et sa valeur peut changer rapidement.

Au niveau des ressources, il est effectivement difficile de miner et d’envoyer des Bitcoins. Mais utiliser ou recevoir des Bitcoins – ce que feraient la plupart des gens – nécessite uniquement un appareil électronique et une connexion Internet.

Pour d’autres experts, la technologie blockchain perturbera de nombreux secteurs, notamment la finance et le droit. Ils insistent eux aussi sur les inconvénients des cryptomonnaies, dont la volatilité de leurs prix et leur utilisation potentielle dans des activités criminelles.

Rien n’indique cependant que les cryptos sont un phénomène passager, mais le futur lointain reste incertain. Tout dépendra, comme l’aurait dit Carl Menger, fondateur de l’École autrichienne d’économie, des valeurs subjectives des individus. Ceux-ci interagissent sur le marché afin de satisfaire chacun son propre intérêt personnel, mais finissent par créer ainsi un ordre spontané. C’est un peu l’histoire et le cheminement des cryptomonnaies.

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